Résumé de "Merci mais non merci | Comment les femmes redessinent la réussite sociale" de Céline Alix : à travers une enquête approfondie, Céline Alix partage comment de plus en plus de femmes brillantes, en abandonnant leurs carrières prestigieuses - non pas par échec, mais pour créer un nouveau modèle de réussite - initient aujourd'hui une révolution silencieuse. En réinventant les espaces et temps de travail et en privilégiant le sens, l’équilibre, la sororité à la performance pure, ces femmes sont en train de redessiner les codes du monde professionnel.
Par Céline Alix, 2021, 224 pages.
Chronique et résumé de "Merci mais non merci | Comment les femmes redessinent la réussite sociale" de Céline Alix
Introduction | La tentation de l'échec
La tentation de l'échec et le sentiment de gâchis
L'auteure, Céline Alix commence son ouvrage "Merci mais non merci" en partageant son propre parcours et ses doutes.
Ancienne avocate d'affaires dans de prestigieux cabinets anglo-saxons, elle a choisi, un jour, de tourner le dos à sa carrière. Une décision radicale qui lui a longtemps laissé un sentiment d'échec. Elle revient, en effet, sans fard, sur la culpabilité qui l'a habitée d'avoir "baissé les bras" et "laissé la situation en plan" à sa fille et aux futures générations de femmes.
Même après avoir fondé un réseau de traductrices juridiques épanouissant et aligné avec ses valeurs, elle raconte comment elle est restée hantée par cette rupture, se laissant longtemps définir par ce qu'elle considérait comme un échec : "Lorsque l'on me demandait ce que je faisais dans la vie, je commençais toujours par dire : "Avant j'étais avocate", comme pour m'excuser de ce qui allait suivre", confie-t-elle.
Un phénomène répandu mais invisible
En observant autour d'elle, Céline Alix réalise que ce parcours n'est pas isolé.
Elle découvre que 76 % des hommes ayant prêté serment en 1996 étaient toujours avocats 20 ans plus tard, contre seulement 63 % des femmes. Plus frappant encore, parmi les 60 consœurs qu'elle avait côtoyées dans ses anciens cabinets, seules 9 d'entre elles (soit 15 %) ont continué à exercer ce métier.
Ce constat amène alors l'auteure à s'interroger sur un phénomène plus large : pourquoi tant de femmes abandonnent-elles des carrières en pleine progression ?
Céline Alix s'aperçoit, en effet, que dans son cercle d'amies et de connaissances, les "ex" (ex-avocates, ex-banquières, ex-consultantes...) sont partout, et qu'elles forment "un vaste mouvement qui, loin d'être anecdotique et de se limiter au seul métier d'avocat, constituait un véritable phénomène de société".
Une génération qui a eu toutes les chances
Née en 1973, l'auteure de "Merci mais non merci" rappelle qu'elle appartient à la génération qui a eu l'opportunité d'intégrer les dernières professions considérées comme typiquement masculines.
Elle souligne l'évolution positive de l'égalité professionnelle en France, avec aujourd'hui 55 % d'étudiantes dans l'enseignement supérieur et une proportion croissante de jeunes femmes diplômées accédant aux postes de cadres en début de carrière.
Un gâchis social ou une révolution silencieuse ?
Alors face à ces avancées, Céline Alix s'interroge : ces départs massifs représentent-ils un échec collectif ? Ne s'agit-il pas d'un "gâchis social, un gaspillage de talents" ? Et quel message ces femmes envoient-elles aux jeunes générations ?
Pour répondre à ces questions, l'auteure a mené des dizaines d'entretiens avec d'anciennes avocates, banquières et dirigeantes. Des femmes brillantes qui, elles aussi, ont changé de cap. Mais à la différence du mouvement d’opting-out observé aux États-Unis – où beaucoup de femmes quittent leur emploi pour se consacrer à leur foyer – elle a découvert que les Françaises, elles, ne rentrent pas "à la maison". Elles poursuivent leur activité professionnelle, mais à leurs conditions, en bâtissant un environnement de travail qui leur ressemble, libéré des codes masculins traditionnels.
C’est là que se dessine alors la thèse centrale du livre : ce que certains prennent pour une fuite est peut-être en réalité une révolution. Un nouveau modèle de réussite sociale, enraciné dans des valeurs contemporaines, fédératrices, plus durables et inclusives.
Dans la première partie de l’ouvrage, Céline Alix analyse les failles d’un monde du travail à bout de souffle. Dans la seconde, elle met en lumière l’alternative déjà en marche : un écosystème inventé par ces femmes, en parfaite résonance avec les enjeux de notre époque.
Première partie | Un monde du travail périmé
Céline Alix commence cette partie en s'appuyant sur une idée forte de l'écrivaine Yasmina Reza : dans nos sociétés, le métier que l’on exerce façonne profondément notre identité. Il nous définit, socialement et symboliquement.
Elle annonce aussi le fil rouge de son enquête, à savoir le parcours de ces femmes qui ont quitté des fonctions prestigieuses : un chemin qui s'est fait en 3 temps : intégration, désengagement et réinvention professionnelle.
Chapitre 1 - Une seule injonction : entrer dans le moule
Dans le premier chapitre de "Merci mais non merci", Céline Alix dresse le portrait des femmes qu'elle a interrogées pour son étude.
Toutes occupaient autrefois des postes en vue : directrices en entreprise, managers dans des cabinets de conseil, avocates, banquières d'affaires... Des carrières brillantes, construites dans des milieux exigeants, souvent masculins. Leur point commun ? Elles ont toutes suivi des études supérieures, performé dans leurs métiers, gravi les échelons… avant de faire le choix de tout réinventer.
Céline Alix insiste : ces femmes sont les premières à avoir réellement accédé à des positions historiquement réservées aux hommes. Elles incarnent cette égalité professionnelle longtemps théorique qui a mis du temps à se concrétiser, rendue finalement possible quelques décennies après l’obtention du droit de vote par les Françaises en 1944.
1.1 - Les jeunes filles modèles
Céline Alix revient ensuite sur son propre parcours d'avocate d'affaires dans un grand cabinet anglo-saxon. Elle se remémore ses longues nuits blanches à travailler, et ce moment-clé où, à cinq heures du matin, elle s'est interrogée sur l'absurdité de sa situation professionnelle.
Comme beaucoup des femmes qu’elle a interrogées, elle confie avoir longtemps suivi le script de la réussite sans jamais le remettre en question. Élève exemplaire et perfectionniste, elle visait toujours l’excellence : "Sérieuse, appliquée et travailleuse, j'étais très attentive en classe, j'aimais faire mes devoirs et récolter de bonnes notes, mes cahiers étaient impeccables, soulignés bien droit et avec les bonnes couleurs. Mes instituteurs, mes professeurs et mes parents étaient contents de moi, donc j’étais contente" se souvient-elle.
Ce comportement modèle s’est naturellement prolongé dans sa vie professionnelle : elle est devenue la "collaboratrice idéale", déterminée à donner le meilleur d'elle-même, investie corps et âme pour satisfaire aux attentes…
1.2 - Entre deux vagues féministes
L'auteure s'attarde ensuite sur l'influence décisive des mères sur le parcours professionnel de ces femmes.
Elle explique que sa génération, née entre 1965 et 1981, s'est trouvée à la croisée de deux courants féministes.
D'un côté, leurs mères - qu'elles aient été femmes au foyer ou actives - leur ont martelé l’importance de travailler pour gagner leur indépendance financière. De l'autre, la vague suivante leur a lancé un défi de taille, celui de tout avoir : une carrière brillante, une vie de couple épanouie et une maternité accomplie.
Céline Alix souligne aussi comment les mères au foyer dissuadaient activement leurs filles de suivre leur exemple. Elle rapporte le témoignage de Camille : "Ma mère, la seule chose qu'elle m'a répétée en boucle, c'est : "tu travailleras ma fille, tu travailleras ma fille, tu travailleras ma fille"".
Quant aux filles de femmes ayant déjà construit des carrières solides, elles héritaient, souvent sans le dire, de la mission de pousser le combat féministe encore plus loin. Être à la hauteur, et même au-delà.
1.3 - L'influence décisive des pères
Céline Alix met ensuite en lumière le rôle déterminant des pères dans le choix de carrière de ces femmes.
Si leurs mères leur transmettaient l’injonction de l’indépendance, ce sont bien souvent leurs pères - cadres supérieurs, médecins, ingénieurs ou avocats - qui incarnaient concrètement le modèle de réussite à suivre.
L'auteure raconte son propre parcours dans des cabinets d’avocats à Londres puis à Paris, où elle s’efforçait de marcher dans les pas de son père :
"Je menais exactement la vie professionnelle que j'avais vu mon père mener : je travaillais énormément, dans le monde des affaires, je me conformais en tout point à son modèle".
Pour Céline Alix, cette prévalence du modèle paternel s’explique par une réalité contextuelle : à l’époque, la réussite ne se conjuguait qu’au masculin. Il n’existait qu’une seule voie possible vers le prestige professionnel. Et si ces pères étaient souvent bienveillants, ils étaient loin d’imaginer les obstacles spécifiques que leurs filles rencontreraient dans des environnements pensés par et pour des hommes.
1.4 - Une ambition féminine incontestable
Céline Alix termine ce premier chapitre en démontant un mythe : celui d’un prétendu manque d’ambition chez les femmes.
Elle affirme qu'au contraire, toutes les femmes qu'elle a rencontrées ont toujours fait preuve d’un engagement sans failles. Exécutantes brillantes, elles ont déployé "une extraordinaire capacité de travail" en s'impliquant totalement dans leurs fonctions. Ces femmes ont obtenu des résultats impressionnants, ont vu leurs chiffres d'affaires "exploser", ont reçu des promotions à la chaîne et des responsabilités toujours plus importantes.
Des études récentes menées par McKinsey et le Boston Consulting Group vont d’ailleurs dans le même sens. Le BCG le dit sans détour :
"La théorie persistante selon laquelle les femmes sont moins ambitieuses que les hommes est tout simplement fausse".
Céline Alix conclut que ces femmes ont bel et bien atteint les sommets auxquels elles aspiraient, comblant l’écart entre les sexes dans l’accès aux postes de prestige. Mais une fois au sommet, elles se sont heurtées à une réalité désenchantée : un monde du travail figé, peu ouvert, emprisonné dans des mécanismes obsolètes. C’est là qu’elles ont compris : "la réussite qu'elles avaient atteinte n'était pas la bonne. Pas la leur."
Chapitre 2 - Un code et des pratiques d'un autre âge
Dans le chapitre 2 de "Merci mais non merci", Céline Alix analyse les raisons pour lesquelles les anciennes cadres brillantes qu'elle a interrogées ont fini par décrocher d'un monde professionnel dont les codes et les pratiques leur semblaient dépassés.
Ce qui les animait toutes, ce n’était pas le pouvoir ou la reconnaissance à tout prix, explique l'auteure, mais une motivation bien plus simple : l’efficacité. Leur idéal ? "Faire le travail et le faire efficacement". Aller droit au but, produire du concret, être utile.
C’est justement cette exigence d’efficacité qui les a portées vers les plus hauts niveaux de responsabilité. Et, paradoxalement, c’est aussi elle qui les a poussées à s’en détourner. Car plus elles gravissaient les échelons, plus elles constataient l’inefficacité criante, les jeux de pouvoir absurdes, les pratiques usées jusqu’à la corde. Ce système-là, elles ne pouvaient plus y croire.
2.1 - "The American Dream" : le mirage de la vie de working girl
Céline Alix replonge ici dans son parcours d’avocate d’affaires, d’abord dans un cabinet londonien réputé, puis au sein d’une firme new-yorkaise encore plus intense.
À l’époque, elle est persuadée de mener "la belle vie" : "nous gagnions extrêmement bien notre vie, nous partions en week-end à l'étranger, nous faisions des fêtes dans notre grand appartement". Tout semblait cocher les cases de la réussite.
Mais son passage par New York amorce une fissure, marque le début d'une prise de conscience. Peu à peu, elle supporte de moins en moins "de passer ses soirées au cabinet lorsque cela n'était pas vraiment nécessaire" et toutes ces heures perdues à donner le change. L’inefficacité du système lui saute aux yeux. Le vernis craque.
Un épisode en particulier reste gravé : pour préserver un week-end personnel qu’elle s’était promis, elle ment à son supérieur. Découverte, elle fond en larmes. "Ce jour-là, pour la première fois, j'ai ressenti une sensation d'emprisonnement" raconte l'ancienne avocate.
La cage dorée venait de révéler ses barreaux.
2.2 - Manœuvres politiques, fanfaronnades et sexisme quotidien
Céline Alix met ici en évidence la frustration unanime des femmes interrogées face aux jeux politiques en entreprise.
Toutes dénoncent les stratégies d'influence, les alliances de couloirs, la cooptation et les manœuvres destinées à s'attirer les faveurs de la hiérarchie... Pour elles, ces pratiques ne sont pas seulement inefficaces, elles sont "injustes" et profondément "contraires à leur éthique de travail".
Une ancienne directrice de communication résume avec amertume : "Dans les grosses boîtes, avant de commencer à lever le petit doigt pour faire un truc, tu as déjà perdu tellement d'énergie à essayer d'aligner tout le monde (...) c'est épuisant."
L'auteure de "Merci mais non merci" identifie trois dérives particulièrement contestées par ces femmes :
Les manœuvres politiques, perçues comme une perte de temps chronophage et stérile.
Les fanfaronnades et la vantardise, cette surenchère d'autopromotion considérée comme improductive et fatigante.
Le sexisme quotidien, qui va des remarques déplacées à l'invisibilisation plus insidieuse.
Le témoignage de Béatrice, ex-avocate d’affaires devenue directrice d’école, illustre bien ce ras-le-bol : elle a claqué la porte de son poste d’associée avec, confie-t-elle, un sentiment d'être de trop, celui "de ne pas être à ta place et donc d'occuper un bout de strapontin parce qu'on a bien voulu te le donner".
2.3 - Le culte du présentéisme
Parmi toutes les critiques adressées au monde de l’entreprise, une est dénoncée systématiquement et avec virulence par les interviewées : celle du présentéisme.
Le présentéisme est ici présenté comme le symbole d’un système archaïque et stérile. À ce propos, Céline Alix s’appuie sur les mots de la sociologue américaine Anne-Marie Slaughter qui condamne cette "culture des heures macho", cette compétition silencieuse à "qui reste le plus tard et qui comptabilise le plus de nuits blanches".
Pourtant, précise l’auteure, ces femmes n’ont jamais fui la charge de travail inhérente à leurs fonctions en elle-même. Ce qu’elles remettaient en question, c’est tout ce qui gravite autour : "le temps de bureau qui n'était pas consacré au travail en tant que tel et qui se perdait dans les à-côtés, les rites officieux et les pratiques périphériques du monde des affaires". Autrement dit, tout ce temps passé au bureau sans réelle utilité : réunions tardives superflues, rendez-vous décalés organisés pour la forme, pots informels où "tout se décide"… mais toujours en dehors des horaires compatibles avec une vie équilibrée.
C’est cette perte de sens - et non l’effort - qui a fini par les épuiser.
2.4 - "Leur" problème : la prise en charge de la sphère domestique
Céline Alix rappelle ici que la société française n'a jamais mené de débat national sur l'articulation travail-famille, contrairement aux pays nordiques ou aux Pays-Bas.
Elle observe que cette question cruciale - à savoir, comment gérer les conséquences de la féminisation du travail - a été laissée aux femmes elles-mêmes : "C'était "leur problème". C'était à elles de le régler." La société n’a pas su - ou voulu - adapter ses structures. La charge mentale et organisationnelle du quotidien est restée dans le camp féminin.
Certes, certaines entreprises ont récemment mis en place des dispositifs : horaires aménagés, crèches d’entreprise, réseaux de soutien entre femmes. Mais pour l’auteure, ces mesures, aussi bienvenues soient-elles, restent fondamentalement limitées. Tant qu’elles ciblent exclusivement les femmes, elles ne font que renforcer l’idée que le défi de la conciliation vie pro / vie perso reste une affaire de femmes. Et tant que cette logique perdure, l’égalité restera, elle aussi, un vœu pieux.
2.5 - L'obligation d'excellence sur tous les plans
Ce deuxième chapitre de "Merci mais non merci" se conclut sur ce que l'auteure nomme un "backlash" : parallèlement à l'entrée massive des femmes sur le marché du travail, la société a développé l'"idéologie de la maternité intensive", imposant toujours plus d'investissement personnel de la part des mères. Être mère, désormais, exige un dévouement total, presque sacrificiel.
Céline Alix décrit le choc ressenti par ces femmes confrontées à un double standard parental : la naissance d'un enfant n'avait aucun impact sur la carrière de leurs conjoints, mais bouleversait complètement la leur.
Une ancienne avocate devenue entrepreneure résume ce sentiment partagé : "De tous les côtés, on attend de toi que tu sois parfaite (...) au bureau, avec mon mari, avec mes copines, il faut que je sois la bonne mère, la bonne fille, la bonne sœur, celle qui est toujours nickel."
L'auteure conclut que ces femmes se sont retrouvées piégées dans cette injonction intenable "de faire à la maison comme si le travail n'existait pas et de faire au travail comme si les enfants n'existaient pas", un système absurde, usant, encore trop ancré dans des codes périmés.
Chapitre 3 - La nécessité d'un nouveau modèle féminin
Dans le troisième chapitre de "Merci mais non merci", Céline Alix analyse pourquoi sa génération a besoin de créer un nouveau modèle professionnel féminin.
L'auteure commence par définir ce qu'est un "rôle modèle" : une personne dont les comportements et attributs spécifiques inspirent les autres et donnent envie d’être suivis. Pour remplir ce rôle, deux conditions sont essentielles : l'attractivité (on veut lui ressembler) et la proximité (on pense pouvoir y arriver).
3.1 - L'absence de modèles inspirants
Selon Céline Alix, les femmes de sa génération (nées entre le milieu des années 1960 et le début des années 1980) n'ont eu accès qu'à trois types de modèles professionnels imparfaits :
Le "modèle ambigu" de leurs mères, qui travaillaient peu ou pas, tout en les investissant de la difficile mission d'aller plus loin qu'elles.
Le "modèle irréaliste" de leurs pères, inconscients des défis particuliers que leurs filles affronteraient.
Le "modèle extrême" des premières femmes dirigeantes, présentées comme des "femmes plus hommes que les hommes" ou des "superwomen" qui semblaient tout réussir... au prix d'une surcharge insoutenable.
L'auteure émet l'hypothèse que c'est précisément la rencontre avec ces figures de "femme caricaturalement masculine" ou de "sur-femme" (trop dures, trop lointaines, trop irréalistes) qui a conforté les interviewées dans leur décision de quitter le système pour tracer leur propre voie.
3.2 - Le rejet des modèles féminins extrêmes
Céline Alix détaille ici pourquoi ces modèles extrêmes, ces figures féminines de pouvoir qui leur étaient proposées, ont été massivement rejetés par ses interlocutrices.
Camille, ancienne directrice marketing, résuma parfaitement cette réaction : "Je manageais avec beaucoup de générosité parce que j'étais en totale opposition avec les modèles féminins durs et insensibles qu'il y avait au-dessus de moi (...) je ne voulais pas être un homme dans un corps de femme."
Ce rejet était d’autant plus fort que ces comportements tyranniques paraissaient encore plus incompréhensibles, choquants, presque trahissants, lorsqu’ils venaient de femmes, pas d'hommes.
Autre figure tout aussi disqualifiée : celle de la "superwoman", capable de tout gérer, tout réussir, sur tous les fronts, sans faillir. Une ancienne senior manager dans un Big Four raconte : "On se disait, avec une collègue, quand on nous l'a présentée, que déjà au bout de la première phrase, on était fatigué. C'était la femme qui faisait tout (...) On ne pouvait pas s'identifier à ça, c'était trop."
Pour Céline Alix, ces modèles extrêmes sont le reflet d’une période de transition. Les premières femmes à accéder aux hautes sphères ont dû s’aligner sur les codes masculins pour exister, quitte à s’y fondre totalement.
Elle cite la féministe Mary Beard qui affirme que "notre modèle intellectuel et culturel de personne puissante reste résolument masculin". Et tant que ce modèle restera inchangé, il sera difficile pour les femmes d’y trouver leur place sans s’y perdre.
3.3 - Ni "opteuses-out", ni "mompreneuses"
Céline Alix souligne que les femmes qu'elle a rencontrées ne rentrent dans aucune des cases classiques.
Elles ne sont pas ces "opteuses-out" à l’américaine (selon les termes de la sociologue Pamela Stone) qui quittent leur emploi pour se consacrer entièrement à leur foyer. Les Françaises, au contraire, n’ont jamais cessé de travailler à temps plein. Elles ont juste choisi de le faire autrement.
Elles ne font pas non plus partie du mouvement des "mompreneuses", ces mères entrepreneures qui lancent des activités centrées sur la maternité ou la féminité et travaillent depuis leur domicile. L'auteure est catégorique : "il est clairement ressorti des entretiens que les interviewées n'avaient pas construit leur nouveau projet professionnel à partir et autour de leur rôle maternel."
En fait, la plupart de ces femmes sont restées dans leur domaine d’origine, mais avec une autre approche. Elles ont réfléchi en entrepreneures : "évalué les besoins du marché, élaboré des business plans, (...) cherché et trouvé des investisseurs". Leur objectif ? Créer une activité alignée avec leurs valeurs, sans renoncer à l’ambition ni à la rigueur. Juste en redessinant les contours d’un travail qui leur ressemble.
3.4 - Au-delà de l'égalité professionnelle : la troisième voie
Céline Alix place le phénomène qu'elle étudie dans une perspective historique du féminisme.
Elle s'appuie alors sur les travaux de Catherine Hakim, sociologue à la London School of Economics, qui distingue trois profils de femmes dans les sociétés modernes : 20 % de femmes tournées sur la famille, 20 % centrées sur leur carrière, et 60 % qui tentent de concilier les deux sphères.
Pour l'auteure, la démarche des femmes qu'elle a interrogées représente "un espoir, un progrès, voire un aboutissement".
Leur trajectoire, soutient-elle, incarne bien plus qu’une réaction individuelle : c’est un pas de plus dans l’émancipation. Ces femmes ont gravi les sommets de la réussite “classique”, puis ont choisi de s’en écarter pour inventer leur propre modèle. Une double réussite qui marque un tournant dans la féminisation du travail, bien au-delà de la seule question de l’égalité des droits.
Céline Alix situe alors cette évolution dans ce qu'elle nomme une quatrième vague féministe : une génération qui, forte des conquêtes précédentes, peut désormais "consacrer une partie de son combat à améliorer et faciliter la situation spécifique et individuelle des femmes au quotidien". Consacrer son énergie à rendre les choses vivables, fluides, réparées au quotidien.
L’enjeu n’est plus seulement d’avoir accès aux mêmes postes que les hommes, mais de repenser l’ensemble du système pour qu’il prenne enfin en compte les réalités, les désirs et les rythmes des femmes elles-mêmes.
3.5 - Pour une réussite inclusive
Céline Alix identifie deux piliers fondamentaux du nouveau modèle de réussite que ces femmes sont en train de construire :
Le premier, c’est l’harmonisation des différents temps de vie. Pour elles, réussir ne signifie plus faire acte de présence au bureau jusqu’à pas d’heure "juste pour montrer qu'on fait des heures". Et encore moins culpabiliser d’avoir une vie en dehors du travail. Leur définition du succès est plus globale, plus humaine : "Pour ces femmes, le vrai succès, c'est d'exister par son action publique et par son action privée."
Le second, c’est une redéfinition du pouvoir. Fini les logiques de compétition pure et dure, où il faut forcément qu’il y ait un gagnant et un perdant. Une ancienne directrice juridique le formule clairement : "Dans les grands groupes (...) tout est basé sur le rapport de force (...) le modèle, c'est le modèle de la gagne. Ce n'est pas que j'ai envie de perdre, mais je pense que l'on ne peut pas être porté par ça."
Pour Céline Alix, le vrai problème du plafond de verre n’est donc pas que les femmes manquent d'ambition, mais qu'elles ne veulent pas du pouvoir tel qu'il est exercé actuellement. En sortant de ce système dominant, ces femmes ne renoncent pas : elles "ouvrent une porte dans les consciences" et posent les bases d'un nouveau modèle de réussite qui, selon elle, correspond mieux aux aspirations contemporaines.
Deuxième partie | Le nouvel écosystème professionnel féminin
Dans un contexte où le mal-être au travail devient de plus en plus visible, Céline Alix observe un mouvement de fond : la société entière commence à questionner le sens et la finalité de l’engagement professionnel.
C’est dans cette brèche que s’inscrivent les femmes qui ont choisi de quitter des carrières ascendantes classiques. Plutôt que de renoncer, elles ont inventé autre chose : un nouvel écosystème professionnel, bâti sur trois piliers : une approche sororale des relations, une redéfinition des espaces-temps de travail, et le choix du collectif.
Chapitre 4 - Une approche sororale de la relation professionnelle
Céline Alix débute ce nouveau chapitre de "Merci mais non merci" en citant l'essayiste Mona Chollet qui décrit "cette façon qu'ont les femmes de se tendre la main, de se faire la courte échelle". Un esprit d'entraide qu'elle dit être "le contraire parfait de la logique du "plein la vue"" et de la performance solitaire.
L'auteure révèle avoir pris conscience, très tôt, du potentiel considérable que pouvait revêtir un rapport professionnel purement féminin. Une intuition confirmée tout au long de sa carrière.
4.1 - Women only : vers une sororité refuge
Céline Alix commence par raconter la création de Claritas, le réseau de traductrices juridiques qu’elle a cofondé en 2013 avec d’anciennes avocates.
Ce projet, né d'une collaboration informelle entre professionnelles en reconversion, s'est structuré progressivement, naturellement, sans hiérarchie rigide, dans le respect de l'indépendance de chacune. Aujourd'hui composé de huit traductrices, Claritas fonctionne sur deux fondations simples mais puissantes : un principe d'efficacité et de confiance totale.
Céline Alix observe que Claritas n'est pas un cas isolé. Elle constate l'émergence de nombreuses structures exclusivement féminines - cabinets d'avocats, start-ups, fonds d'investissement - ainsi que des clubs professionnels féminins qui proposent des espaces de travail, d'échange et de réseautage.
Mais ce réseau n’est pas un cas isolé. L’auteure constate l’émergence, un peu partout, d’initiatives similaires 100 % féminines : cabinets d’avocates, start-ups fondées entre femmes, fonds d’investissement portés par des entrepreneures, clubs professionnels réservés aux femmes. Ces espaces ne sont pas seulement des lieux d’entraide et de réseautage : ils deviennent des environnements de travail à part entière, où se tissent des liens, se prennent des décisions, se construisent des carrières.
L'auteure souligne le caractère inédit de ces initiatives :
"Pour la première fois dans l'histoire du travail tertiaire, des décisions et des interactions professionnelles ne sont prises ou ne se déroulent qu'entre femmes."
4.2 - Quand le diable s'habillait en Prada
Céline Alix retrace l’évolution historique des relations entre femmes au travail, longtemps marquées par la méfiance, voire l’hostilité. Elle revient, pour illustrer ses propos, sur plusieurs expériences difficiles ou négatives que ses interlocutrices lui ont rapportées avoir eues avec des collègues ou des supérieures féminines.
Exemple, cette ancienne trader qui témoigne : "Les femmes, contrairement aux hommes, "ne se tenaient pas chaud", et ceci contribuait largement à ralentir, voire à neutraliser, leur progression dans les professions typiquement masculines."
Elle cite également Anne-Marie Slaughter qui, dans un acte de sororité, a reconnu avoir parfois affiché un sentiment de supériorité face à d'autres femmes qui n'avaient pas réussi aussi bien qu'elle. Un sentiment autrefois courant qu’elle n’aurait pas éprouvé face à des hommes.
Ce constat fait écho à ce que la journaliste Florence Sandis appelle "le syndrome de la Reine des Abeilles" : cette figure de femme de pouvoir isolée, parfois tyrannique, prête à écraser ses semblables pour atteindre le sommet. Ce stéréotype incarné notamment par l’archétype de la working girl glaciale à la "Le diable s’habille en Prada", a longtemps imprégné l’imaginaire collectif.
Toutefois, pour Céline Alix, ce modèle touche à sa fin. La rivalité féminine dans la sphère professionnelle laisse progressivement place à une solidarité assumée : une sororité réelle, construite, et non plus théorique.
4.3 - Le temps de la sororisation générale
L'auteure de "Merci mais non merci" décrit ensuite l'extraordinaire élan de solidarité qu'elle a rencontré pendant ses recherches.
Elle a été frappée par la chaleur et l'ouverture manifestées par toutes ses interlocutrices, établissant avec elles "une connexion immédiate, comme un signe d'acquiescement, de reconnaissance, né d'une expérience difficile commune".
Ce qui l’a frappée, au-delà des témoignages, c’est la chaleur humaine, la bienveillance et l’ouverture spontanée de toutes les femmes qu’elle a rencontrées. À chaque entretien, une forme de "connexion immédiate" s’établissait, "comme un signe d'acquiescement, de reconnaissance, né d'une expérience difficile commune", celle d’avoir traversé les mêmes épreuves, d’avoir résisté aux mêmes injonctions.
Pour Céline Alix, la fin de la concurrence entre femmes et cette bascule vers la solidarité féminine s’explique par deux phénomènes majeurs :
Une simple réalité arithmétique : les femmes sont désormais bien plus nombreuses dans les professions traditionnellement masculines. Il n’est plus nécessaire d’être la seule, "l'unique élue". Cette logique d’exception n’a plus lieu d’être.
Une évolution générationnelle : les jeunes femmes sont de plus en plus conscientes de l’importance de la sororité, portée par les idées de la quatrième vague féministe. La compétition a alors laissé place à la coopération.
Céline Alix cite l'écrivaine Chloé Delaume qui appelle à une "sororisation générale" et définit la sororité comme "une démarche consciente, un rapport volontaire à l'autre (...) Ne jamais nuire volontairement à une femme. Ne jamais critiquer publiquement une femme, ne jamais provoquer le mépris envers une femme."
4.4 - Les nouveaux réseaux féminins
Céline Alix souligne l’essor impressionnant des réseaux professionnels féminins en France : on en compte aujourd’hui près de 500. Ce chiffre témoigne d’un besoin fort de se retrouver entre femmes, d’échanger, de se soutenir, de partager des expériences.
Mais derrière cet engouement, certaines voix s’élèvent. Plusieurs femmes interrogées expriment leurs réserves face à des réseaux qui, en cherchant à reproduire les codes des cercles d’influence masculins, passent à côté de ce que les femmes attendent vraiment.
Face à cette inadéquation, certaines ont alors créé des structures alternatives.
Aude, une ancienne juriste devenue paysagiste, a organisé chez elle des rencontres informelles entre professionnelles de différents horizons, sans ordre du jour ni présentations formatées. D'autres, comme Nathalie, ont mis en place des déjeuners réguliers avec de jeunes collaboratrices pour créer un espace d'échange sécurisant.
Ces initiatives illustrent une autre façon de réseauter : plus souple, plus humaine, plus alignée avec les besoins réels des femmes.
4.5 - Manuel de sororité au bureau
Dans la dernière partie de ce chapitre, Céline Alix partage les pratiques concrètes de sororité mises en œuvre par ses interlocutrices :
La discrimination positive : privilégier une femme à compétences égales avec un homme. Une ancienne trader confie : "Dès que je pouvais, je recrutais des stagiaires filles. Avec le mal que j'ai eu pour entrer en salle de marché, je me disais : si je peux en sauver une ou deux, tant mieux."
Le mentoring : accompagner spontanément les plus jeunes femmes dans leur progression professionnelle.
Le soutien aux quotas : considérés comme un outil transitoire mais nécessaire, tant qu’un seuil critique - autour de 25 % de femmes dans une organisation - n’a pas été atteint pour faire bouger durablement les lignes.
Pour Céline Alix, la sororité dépasse désormais le simple soutien ponctuel : elle devient une véritable conscience professionnelle, comparable à l’éveil écologique de ces dernières décennies. Une façon d’agir au quotidien pour transformer en profondeur les règles du jeu.
Elle conclut en citant l’écrivaine Ursula K. Le Guin : "Lorsque nous, femmes, livrons notre expérience et la présentons comme notre vérité, comme la vérité humaine, toutes les cartes du monde s'en trouvent modifiées et de nouvelles montagnes se forment."
Chapitre 5 - Les nouveaux espaces-temps de travail
Le chapitre 5 de "Merci mais non merci" analyse comment les femmes qui quittent des carrières prestigieuses réinventent complètement leur rapport au temps et à l'espace professionnels.
Céline Alix observe que ce mouvement dépasse largement le cercle de ses interlocutrices. De plus en plus de salarié.es aspirent à des environnements de travail plus flexibles et responsabilisants, où l’on valorise la confiance et l’autonomie plutôt que la surveillance et le présentéisme.
Ce rejet de l’obsession du contrôle, des horaires rigides et du présentiel traduit un besoin de réconcilier travail et vie personnelle, et surtout de remettre du sens dans l’engagement professionnel.
5.1 - Il y a une vie après le bureau
Céline Alix revient ici sur une expérience marquante qu'elle a vécue à l’ambassade de France à Washington. Là-bas, elle découvre un tout autre rapport au travail : elle réalise qu'on "pouvait faire un travail intéressant en effectuant des horaires normaux et être reconnu indépendamment du nombre d'heures que l'on passait au bureau". Une révélation.
À son retour dans un cabinet d’avocats parisien, cette prise de conscience rend soudain intolérables les pratiques qu’elle acceptait autrefois sans broncher : les journées à rallonge, la culture du sacrifice, le culte du présentéisme.
Elle établit alors un parallèle avec l’œuvre de la psychanalyste Clarissa Pinkola Estés, qui compare les femmes aux louves : robustes, puissantes, débordantes d'énergie, conscientes de leur territoire, instinctives. Comme ces louves, les femmes qu’elle a rencontrées ressentent toutes ce besoin de liberté et d'espace, à l'image de l'animal sauvage qui s'étiole lorsqu'il est enfermé.
Ce besoin de mouvement, de protection de son espace vital, de respiration, d’équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, devient un fil rouge dans leur façon de concevoir le travail. Avec, de fait, un refus clair : celui de l’enfermement.
5.2 - Ce que veulent les femmes
Ces femmes, indiquent alors Céline Alix, refusent de passer toutes leurs journées confinées derrière un bureau : elles veulent enchaîner les formats, alterner projets pro et moments perso.
Elles démontrent une confiance impressionnante en leur capacité à travailler efficacement en mode séquencé, comme l'illustre cette ancienne trader avec humour : "Les réunions qui n'en finissent pas, j'en ai vues. (...) On mettrait que des femmes, ça irait deux fois plus vite. Parce qu'une femme, elle gère son boulot, elle gère la maison, elle gère les enfants, donc la réunion, en trente minutes elle est terminée."
Contrairement à leurs homologues américaines qui, parfois, quittent le monde professionnel pour devenir mères au foyer, aucune des Françaises interviewées n'a envisagé d'arrêter complètement de travailler. Et leurs revendications sont finalement très modestes : pouvoir s’absenter une heure pour un rendez-vous médical avec un enfant, accompagner une sortie scolaire de temps en temps, ou caler une séance de sport dans leur journée.
Ce qu’elles réclament, ce n’est pas un traitement de faveur, mais la liberté de gérer leur emploi du temps sans avoir à se justifier constamment, tout en restant disponibles et engagées dans leur travail, pour leurs équipes ou leurs clients.
5.3 - Le statut d'indépendante, laboratoire du travail au féminin
Céline Alix constate que la majorité des femmes qu'elle a interrogées ont opté pour le statut d'indépendante.
Ce statut leur apporte un cadre légitime pour expérimenter d’autres manières de travailler, loin des rigidités du salariat classique. Ce mouvement s’inscrit d’ailleurs dans une tendance de fond : en 2017, 34 % des indépendants en France étaient des femmes, contre seulement 30 % en 2009.
L'auteure rapporte les réflexions d’Anne-Marie Slaughter, qui propose une vision plus souple de la carrière : "non pas comme une ascension en ligne droite, mais un escalier avec des marches irrégulières émaillé de paliers (et même parfois de creux)". Cette vision évolutive permet d'intégrer des périodes de ralentissement ou de reconversion qui enrichissent plutôt qu'elles ne pénalisent le parcours professionnel.
Ce choix de l’indépendance, cependant, n’a rien d’un confort. Céline Alix rapporte les mots de Stéphanie, entrepreneure : "Quand tu montes ta boîte, tu es nue. Le matin, tu te lèves et si tu ne fais rien, il ne se passe rien. Ça demande une discipline de vie beaucoup plus forte que l'autre."
Ce mode de travail, exigeant mais libre, devient pour beaucoup de femmes un espace d’émancipation. Un terrain d’expérimentation où elles peuvent enfin ajuster leurs rythmes, leurs règles et leurs priorités.
5.4 - L'art de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle
Dans la dernière partie du chapitre 5, l'auteure analyse les stratégies concrètes mises en place par ces femmes pour mieux concilier leurs différents temps de vie.
Si la plupart disposent d'un bureau extérieur, elles apprécient de pouvoir travailler ponctuellement de chez elles et de gérer librement leurs horaires.
Un autre phénomène retient l'attention de Céline Alix : plus d’un tiers de ces femmes sont ce qu’on appelle des "slasheuses", c’est-à-dire qu’elles cumulent plusieurs activités professionnelles.
Contrairement aux pluriactifs traditionnels qui cherchent à augmenter leurs revenus, ces femmes voient dans cette diversification une façon d'enrichir leur activité principale, en nourrissant leur expertise et leur énergie par la diversité.
Une ancienne directrice juridique, aujourd’hui entrepreneure et enseignante à l’université, raconte ainsi qu’elle consacre des journées spécifiques à chacune de ses activités, dans des lieux dédiés, tout en suivant un fil conducteur cohérent.
Céline Alix conclut que ces femmes ont finalement trouvé un mode de fonctionnement en adéquation avec leur nature profonde :
"En satisfaisant leur besoin de bouger, de travailler ici et là, à ce moment-ci ou plutôt à cet instant-là, en rendant plus poreuses les frontières entre leurs vies professionnelle et personnelle, les femmes qui se détournent du chemin de carrière classique ont marqué leur territoire et intégré leurs rythmes."
Chapitre 6 - L'attrait du collectif
Dans le dernier chapitre de son livre "Merci mais non merci", Céline Alix s'intéresse à une dimension clé du nouveau modèle professionnel que dessinent les femmes qu’elle a interrogées : leur approche fondamentalement collective et anti-individualiste du travail, à rebours de ce que valorisent souvent les sphères professionnelles traditionnelles.
Pour éclairer cette tendance, elle s’appuie sur les travaux de la professeure en sciences politiques Camille Froidevaux-Metterie. Celle-ci défend l'idée que les femmes seraient "naturellement anti-individualistes" et développeraient un style de management spécifique. Elles seraient, selon elle, dotées "d'une disposition à se projeter hors d'elles-mêmes" et animée par "une posture éminemment relationnelle".
Cette inclinaison vers le collectif se reflète alors dans leur manière de manager, de créer, de collaborer. Le pouvoir ne s’y exerce plus de façon verticale, mais circulaire ; la réussite n’est plus envisagée comme une compétition, mais comme une dynamique partagée.
6.1 - La disposition relationnelle des femmes
Céline Alix commence par rapporter les travaux de la professeure britannique Patricia Lewis qui a étudié l'entrepreneuriat féminin.
Celle-ci a identifié un profil d’entrepreneuses qu’elle qualifie de "entrepreneuses relationnelles" : des femmes qui refusent le modèle entrepreneurial classique, "centré sur la croissance" et la performance individuelle, au profit d’une logique fondée sur "les interactions humaines, l'empathie réciproque et l'empowerment mutuel".
Cette idée rejoint les conclusions du cabinet McKinsey, qui a constaté que les femmes dirigeantes mobilisent plus fréquemment 5 comportements de leadership positifs, dont "le développement des personnes" et "la prise de décision en mode participatif".
L’auteure illustre ce style de leadership par l’exemple de Christelle, ancienne directrice marketing dans la grande distribution. Lors d’une négociation importante, cette dernière choisit sciemment de s'écarter des conseils masculins reçus ("ne rien lâcher" et "y aller en force") pour privilégier la construction commune avec sa partenaire de négociation féminine : "On a démarré la négociation avec une immense envie de travailler ensemble... et on a fait une super-négociation."
Cette approche plus humaine, plus collaborative, bouscule les normes classiques du pouvoir. Comme le résume Eva, coach de dirigeants et dirigeantes, les femmes apportent dans l’univers professionnel "une espèce de douceur de ton, du regard sur l'autre" qui contraste avec les archétypes masculins basés sur la compétition et la mise en avant personnelle.
6.2 - Gagner moins mais trouver plus de sens
Céline Alix constate que pour la majorité des femmes qu'elle a interrogées, l'argent constitue une nécessité mais plus du tout une motivation.
Toutes ont perçu des revenus élevés dans leurs anciens postes. Aujourd’hui, elles gagnent en moyenne 30 % de moins, mais l’assument pleinement. Ce qu’elles recherchent, ce n’est plus l’ascension ni le statut, mais l’autonomie financière et la quête de sens.
Leïla, ex-analyste d'actions devenue professeure de mathématiques, résume bien le climat qu’elle a quitté : "Tout tournait autour de l'argent, l'argent te rendait intouchable et te définissait... À la fin, je trouvais que les gens ne parlaient que de ça."
À présent, leur moteur est ailleurs : avoir un impact, se sentir utile, vibrer pour ce qu’elles font. Véronique, ancienne productrice de télévision reconvertie en pâtissière, partage ainsi sa définition personnelle du "sens" : "c'est de se sentir bien quand on fait, c'est le chemin, ce n'est pas le résultat ; c'est vraiment te demander : est-ce que ça pétille quand tu fais ?"
L'auteure observe un parcours similaire chez toutes les femmes interrogées : un démarrage fulgurant, une progression linéaire, puis l'apparition de doutes qui conduisent à une prise de conscience radicale. Sans renier leurs premières années professionnelles qu'elles ont "adorées", elles ont compris que la course à l'argent et au pouvoir devait céder la place à l'impact et au sens.
6.3 - Transmettre : un horizon nécessaire
La transmission est un élément central du nouvel écosystème professionnel créé par ces femmes.
Pour beaucoup, elle est devenue une évidence, presque une nécessité. Céline Alix observe que deux tiers d’entre elles exercent aujourd’hui une activité de formation ou d’enseignement, soit comme activité principale, soit en parallèle d'autres occupations.
Ce besoin de partager, de transmettre ce qu’elles ont appris, parfois durement, s’inscrit dans une logique de continuité et de sens. Il ne s’agit pas seulement de savoir-faire, mais de valeurs, d’approches, de manières d’être au monde professionnel.
Céline Alix relate, par exemple, comment Marianne, ancienne cadre en marketing et RH, a intégré un cabinet de coaching après une initiative originale : la fondatrice avait organisé "une espèce de journée portes ouvertes de la transmission" pour trouver des personnes partageant ses valeurs et à qui confier progressivement sa clientèle.
Pour Céline Alix, cette volonté de transmission n’est pas un aboutissement, mais une extension logique du nouveau rapport au travail de ces femmes : travailler autrement, ensemble… et faire en sorte que ça dure.
6.4 - Le pari d'un monde du travail meilleur
L'auteure conclut en soulignant que les aspirations de ces femmes rejoignent, en fait, celles des nouvelles générations : le modèle dominant - compétitif, hiérarchique, individualiste - est de plus en plus remis en question, aussi bien par les femmes que par les jeunes en général.
Eva, une coach de dirigeants interrogée, le confirme : "Tous ces archétypes masculins, on les retrouve beaucoup moins chez les jeunes. Il y a vraiment quelque chose qui est en train de changer."
Une enquête du cabinet Deloitte, citée par l’auteure, appuie cette évolution : 83 % des millennials estiment que la réussite d'une entreprise ne doit pas se mesurer uniquement à l’aune de ses résultats financiers, mais aussi à son impact social.
Enfin, Céline Alix termine son ouvrage sur une note d'espoir :
"En quittant des carrières à succès pour travailler à leur manière, les femmes que j'ai interviewées se font les pionnières d'un monde du travail accessible aux deux sexes et fondé sur l'équilibre, l'ouverture et l'inclusion. Faisons le pari que les jeunes, hommes et femmes confondus, mèneront et achèveront sa transformation."
Conclusion | Prendre place
Céline Alix clôt son ouvrage en révélant ce qu’il représente pour elle : l’aboutissement d’un cheminement personnel de dix ans, amorcé le jour où elle a quitté sa carrière d’avocate d’affaires.
À travers cet ouvrage, elle transforme une série de parcours individuels en un mouvement collectif. Ce que l’on aurait pu lire comme des abandons isolés devient, avec le recul et la mise en récit, un acte fondateur :
"Seules et isolées, nous pouvions paraître des démissionnaires... Ensemble, nous devenons des bâtisseuses, des pionnières, des modèles."
Pour l’auteure, la cause féministe dans le monde du travail poursuit désormais deux dynamiques parallèles et complémentaires :
Celle du rattrapage, qui vise à réformer le système existant pour le rendre plus inclusif, plus accueillant ;
Et celle de l’invention, qui consiste à bâtir un modèle alternatif, entièrement nouveau, plus libre, plus aligné
Céline Alix finit en lançant un appel fort à la solidarité entre femmes, un appel à "bâtir un pont entre les femmes qui partent et les femmes qui restent". Elle nous encourage toutes à "dialoguer, partager nos expériences, nous épauler" et à "démontrer chaque jour la puissance des femmes unies."
Conclusion de "Merci mais non merci | Comment les femmes redessinent la réussite sociale" de Céline Alix
Les 4 idées fortes du livre "Merci mais non merci | Comment les femmes redessinent la réussite sociale"
1 : Le départ des femmes des carrières prestigieuses n'est pas un échec mais une révolution consciente, pas une fuite mais une réinvention.
Dans son travail d'enquête, Céline Alix démontre avec force que les femmes qu'elle a interrogées et qui ont quitté leur carrière n'ont pas fui leurs responsabilités : elles ont rejeté un système obsolète. Pour elle, ce départ n'est donc absolument pas un échec mais bien un acte volontaire, lucide et subversif.
Ces femmes ont gravi les échelons, atteint les sommets professionnels, affirme l'auteure, avant de réaliser que ce modèle de réussite traditionnelle ne leur ressemblait pas, qu'il ne correspondait pas à leurs valeurs profondes. Elles ont aussi compris qu’égaler les hommes selon leurs règles ne suffisait pas. Elles ont prouvé qu’elles en étaient capables, puis ont choisi de créer leurs propres règles du jeu.
Leur reconversion n’est donc pas un renoncement, mais un acte d'émancipation. Une forme de maturité féministe : non seulement elles peuvent occuper les places de pouvoir, mais elles peuvent aussi les redéfinir.
2 : La sororité devient un pilier fondamental du nouveau monde professionnel.
Autre point clé du livre "Merci mais non merci": cette révolution relationnelle que Céline Alix observe entre femmes.
Fini le temps de la concurrence et de la rivalité : ces professionnelles développent une approche collaborative inédite. Elles créent des réseaux d'entraide authentiques, pratiquent le mentoring spontané et privilégient la réussite collective. Cette sororité dépasse le simple soutien moral pour devenir un modèle économique viable, comme l'illustre parfaitement le réseau Claritas fondé par l'auteure elle-même.
3 : L'équilibre vie professionnelle-vie personnelle devient non négociable.
Pour les femmes interrogées par Céline Alix, le culte du présentéisme et la glorification des heures à rallonge n’ont plus lieu d’être. Elles rejettent avec force ces normes dépassées qui valorisent la disponibilité constante plutôt que le résultat.
Ce qu’elles revendiquent, ce n’est pas moins d’engagement, c'est le droit de gérer leur temps selon leurs priorités réelles et non selon des codes archaïques.
Cette liberté temporelle n’a rien à voir avec un manque d’ambition. Au contraire, c’est une nouvelle définition de l’efficacité : plus agile, plus alignée, plus humaine. En adoptant le statut d’indépendante ou en rejoignant des organisations plus flexibles, elles montrent qu’il est possible de conjuguer excellence et équilibre, sans renoncer ni à soi, ni à ses compétences.
4 : Le sens remplace l'argent comme moteur principal.
L’enquête de Céline Alix met enfin en lumière un basculement profond : le sens a supplanté l’argent comme ligne directrice dans la vie professionnelle. Les femmes qu’elle a interrogées ne cherchent plus à maximiser leurs revenus, mais à donner du relief à ce qu’elles font, et à ce qu’elles sont.
Ces femmes acceptent alors de gagner moins pour vibrer davantage. Elles privilégient l'impact à la reconnaissance, la transmission au pouvoir. Cette quête de sens se traduit concrètement par des activités d'enseignement, des projets entrepreneuriaux alignés et une approche plus humaine du leadership.
À travers leurs choix, Céline Alix montre que ces femmes incarnent une nouvelle forme de réussite. Elles dessinent les premiers contours d’une économie plus consciente, plus incarnée, où l’on travaille pour faire sens et non seulement pour faire carrière.
Qu'est-ce que la lecture de "Merci mais non merci" vous apportera ?
"Merci mais non merci" est un recueil de témoignages forts, mais c'est surtout un guide de transformation, à la fois professionnelle et intérieure.
Si vous vous sentez en décalage avec le monde du travail tel qu’il est, si vous vous interrogez sur votre parcours professionnel, ressentez cette dissonance entre vos aspirations profondes et les attentes sociétales, si vous avez l’intuition que votre parcours pourrait s’écrire autrement, ce livre vous apportera des repères clés pour mieux comprendre, assumer, et agir.
Au fil des pages, Céline Alix vous emmène à la rencontre de femmes qui ont osé remettre en question une réussite toute tracée, pour inventer une voie plus alignée avec leurs valeurs. Elle partage alors avec lucidité et concrètement comment ces femmes ont traversé ce moment : les étapes de cette transition, les pièges à éviter, les ressources à mobiliser, quelles stratégies adopter.
Avec cet ouvrage, vous apprendrez aussi à repenser votre rapport au temps, à construire des relations professionnelles plus authentiques et redonner du sens à votre engagement. Mais surtout, l’auteure vous y propose un nouveau référentiel de réussite, affranchi des modèles traditionnels, libéré des injonctions masculines traditionnelles, pour enfin poser votre propre définition du succès.
Pourquoi lire "Merci mais non merci" ?
"Merci mais non merci" de Céline Alix mérite, à mon sens, votre attention pour deux raisons majeures :
D'abord, il déconstruit brillamment les préjugés sur l'ambition féminine et transforme une culpabilité individuelle - ce qui était perçu comme une faiblesse : la démission, le doute, la remise en question - en force collective et acte de lucidité.
Mais aussi, parce qu'il va au-delà du constat : il vous propose des solutions concrètes et réalisables pour repenser votre rapport au travail, et ce, que vous soyez femme ou homme.
Je vous conseille cette lecture si vous sentez que les anciens modèles de travail ne vous conviennent plus, si vous êtes en plein dans une période de questionnement professionnel, si vous ne voulez plus subir les règles du jeu mais participer à les réinventer. Car avec son approche tout à la fois rigoureuse et humaine, "Merci mais non merci" devrait vous apporter des repères clairs, des témoignages inspirants et une direction nouvelle.
Points forts :
L’enquête journalistique très bien documentée, basée sur des dizaines d'entretiens authentiques.
L’analyse pertinente qui replace les parcours individuels dans un mouvement collectif et s'appuie sur des références sociologiques et historiques.
Le ton optimiste qui redonne confiance : pas de posture victimaire, des propos bienveillants et accessibles, sans jargon académique.
Les alternatives concrètes et les modèles inspirants pour réinventer sa carrière.
Point faible :
Le manque de diversité socio-économique dans les témoignages recueillis et le focus exclusif sur les professions de cadres supérieurs qui limitent, en somme, la portée universelle.
Ma note :
★★★★★
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