Phrase-Résumé de “L’Investisseur Intelligent” : Beaucoup de personnes espèrent faire fortune en bourse, rares sont celles qui réussissent vraiment dans cette tâche ardue. Benjamin Graham, père de l’investissement dans la valeur et maître à penser de Warren Buffett, nous offre un guide pratique pour y arriver à long terme en utilisant la philosophie de l’investissement dans la valeur, dont il est l’un des pères.
De Benjamin Graham, édition révisée de 1973. Titre original : The Intelligent Investor
Chronique écrite par Serge, du blog Be Rich Corp, traitant entre autres d’investissement en bourse.
Chronique et résumé de “L’investisseur Intelligent” :
Note préliminaire : les titres des chapitres ne correspondent pas nécessairement à ceux de la version française du livre, car j’ai étudié en détail la version anglaise.
Chapitre 1 : Investissement VS Spéculation
Graham nous explique les différences fondamentales entre 2 types de comportements en bourse : celui de l’investisseur et celui du spéculateur.
Un investissement se définit comme une opération qui, après une analyse rigoureuse, promet la sécurité du capital investi et un retour adéquat sur ce capital. Une opération ne satisfaisant pas à ces critères s’apparente à de la spéculation.
Dans le jargon de Wall Street, on a tendance à appeler « investisseur » tout intervenant sur le marché, mais Graham fait bien la distinction entre les deux types de comportements. Il n’interdit pas la spéculation et admet que celle-ci peut être tout à fait intelligente, mais déconseille fortement de faire à la fois de l’investissement et de la spéculation sur un même compte.
Chapitre 2 : L’investisseur et l’inflation
À la suite de la période de forte inflation qui a débuté en 1965, nombreux professionnels de la finance de l’époque ont affirmé que les obligations sont des investissements moins bons que les actions de part leur nature même.
Graham prend une position différente sur le sujet : il est absurde d’affirmer que les actions, même de la meilleure qualité, sont forcément un meilleur placement que les obligations dans toutes les conditions de marché. L’affirmation contraire serait tout aussi absurde. Si les actions ont bel et bien surperformé les obligations pendant de très longues périodes dans le passé, rien ne garantit que le marché actions ne soit pas surévalué et ne va pas de ce fait générer un retour sur investissement plus faible que le marché obligataire. Toutes les éventualités sont envisageables !
En regardant les chiffres historiques, Graham démontre aussi que le préjugé qui stipule qu’une inflation modérée a une influence positive sur les bénéfices des entreprises est tout aussi faux.
Il discute aussi la pratique commune consistant à acheter de l’or pour contrer l’inflation. Il explique que c’était une très bonne chose que ce soit interdit aux USA de 1935 à 1972, car l’or a progressé de seulement 35% durant toutes ces années. De plus, le détenteur physique d’or n’a même pas reçu de revenu sur le capital investi pendant tout ce temps-là. Ainsi, placer son argent sur n’importe quel livret aurait généré un meilleur rendement.
Chapitre 3 : Un siècle d’histoire du marché
Graham étudie dans ce chapitre le comportement du Dow Jones (DJIA) et du S&P 500 de 1900 à 1970.
Il distingue principalement 3 phases :
De 1900 à 1924, il y a eu une alternance de cycles haussiers et baissiers qui duraient entre 3 et 5 ans. Le rendement annuel moyen était de 3% par an environ.
Ensuite, il y a eu un marché haussier suivi de la Grande Dépression de 1929. Jusqu’en 1949, le marché a eu des fluctuations irrégulières, et sa performance moyenne a été de 1,5% par an.
Autant dire qu’en 1949, le nombre de personnes enthousiastes à l’idée d’acheter des actions était considérablement réduit. Évidemment, par la suite, le marché fut fortement haussier jusqu’en 1969 ! Il y a bien eu deux récessions importantes en 1956-57 et 1961-62, mais de courtes durées et suivies d’une reprise fulgurante. La performance moyenne du DJIA de 1949 à 1969 a été de 11% par an, sans compter les dividendes, qui étaient d’environ 3,5% par an. En 1969, tout le monde pensait que de tels résultats pouvaient continuer indéfiniment.
C’est alors que le DJIA s’est effondré de 37% ! La performance de 49 à 71 s’est alors établie à 9% par an pour le S&P 500.
Par ailleurs, si l’on regarde l’évolution des bénéfices des entreprises, ceux-ci sont à peu près constamment en hausse. Il n’y a que deux décennies de baisse (1891-1900 et 1931-1940), ce qui justifie la viabilité d’avoir une partie de ses investissements dans des actions à long terme de manière consistante.
En regardant l’évolution historique des ratios cours/bénéfice par action des indices (cours divisé par le bénéfice par action de l’année passée, appliquée à l’ensemble des entreprises composant l’indice DJIA ou S&P 500, communément appelé PE ou PER, de l’anglais Price Earnings Ratio), on se rend compte que celui-ci n’était que de 6,3 pour le S&P 500 en juin 1949, alors que le dividende était de 7%. En mars 1961, le PE était de 22,9 pour un dividende de 3%. En d’autres termes, on pouvait acheter les actions de sociétés US en payant seulement 6,3 fois leurs bénéfices en 1949, alors qu’en 1969, il fallait payer 22,9 fois leurs bénéfices, soit environ 3,6 fois plus cher ! Entre temps, les taux des obligations sont montés de 2,6% en 1949 à 4,5% en 1961. Voilà qui démontre un vrai changement d’attitude envers les actions entre les deux époques : On était clairement prêt à payer les bénéfices des entreprises du S&P 500 beaucoup plus cher en 1961 qu’en 1949. Le passage d’un extrême à l’autre doit éveiller la plus grande précaution chez l’investisseur, car cela peut indiquer que le marché actions est surévalué.
À la fin du chapitre, Graham donne son opinion sur le niveau du marché en 1972 et dit qu’il faut être prêt à affronter une chute du marché actions (le futur lui donnera raison avec la terrible récession de 1973-1974).
Chapitre 4 : Politique de construction de portefeuille pour un investisseur défensif
Graham ne cherche pas à définir un objectif de rendement pour un portefeuille. Il pense que le rendement dépendra de « l’effort intelligent » que l’investisseur va déployer dans la construction de son portefeuille. Ainsi, un retour plus modeste ira à l’investisseur passif, recherchant à la fois la sécurité et la sérénité, alors qu’un retour plus conséquent ira à l’investisseur plus entreprenant, qui jouera à fond les cartes de l’intelligence et du talent.
Graham propose par la suite des stratégies d’allocation du capital entre les obligations et les actions.
Un investisseur défensif doit diviser son portefeuille entre des obligations et des actions de grande qualité. Fondamentalement, Graham préconise une allocation de type 50% de chaque par défaut. Lorsque le niveau des marchés actions paraît élevé comme il l’est dans les années 70, à cause du haut PE et du faible dividende, il peut basculer sur une allocation de type 75% obligations et 25% actions. C’est plus facile à dire qu’à faire car l’euphorie générale règne sur le marché action à ce moment-là. De même, après une chute du marché actions, si les dividendes sont significativement plus importants que les rendements obligataires, il pourra augmenter la proportion d’actions.
La balance actions / obligations dépendra dans la pratique du tempérament de l’investisseur et la politique exposée n’est qu’un guide.
Chapitre 5 : L’investisseur défensif et les actions
Les actions ont leur place dans tout portefeuille parce qu’il existe de très longues périodes où elles surperforment les obligations, et ces périodes sont majoritaires. De ce fait, les actions ont historiquement constitué une meilleure parade contre l’inflation que les obligations.
Elles ont aussi un autre avantage, inhérent à leur nature : les profits des actionnaires sont en partie réinvestis dans l’entreprise, et se démultiplient avec le temps, tandis que les obligations ont un rendement fixe connu à l’avance, quoi qu’il arrive aux profits de l’entreprise.
Pour l’investisseur défensif, choisir ses actions est assez simple. Il suffit de suivre 4 règles :
Il doit y avoir une diversification adéquate dans le portefeuille, mais celle-ci ne doit pas être excessive. 10 à 30 actions suffisent largement.
Chacune des entreprises présentes dans le portefeuille doit être de taille importante, reconnue, et financée de manière conservative. En d’autres termes, elle ne doit pas être surendettée.
Chacune des entreprises doit avoir un long historique de paiement de dividendes. Graham suggère de prendre une période de 20 ans par exemple.
L’investisseur ne doit pas payer plus de 25 fois les bénéfices moyens de l’entreprise sur les 7 années précédentes, et pas plus de 20 fois les bénéfices de la dernière année (soit un PE de 20 maximum). Cette contrainte supprime toutes les actions d’entreprises en croissance qui s’échangent à des multiples élevés de leurs bénéfices.
La dernière contrainte permet de se prémunir contre de possibles déceptions sur la croissance des bénéfices des entreprises concernées. Graham donne l’exemple d’IBM, qui a longtemps été perçue comme la meilleure des compagnies à son époque, et pourtant, le prix de l’action IBM a été divisé par 5 dès lors que le bénéfice a déçu.
Graham recommande par ailleurs de pratiquer la méthode d’investissement mensuelle en moyennant par le bas : plus le cours baisse, plus on achète d’actions, et plus le cours monte, et moins on achète d’actions. Cette méthode est même recommandable pour les petits montants : au bout de 20 années, elle peut faire des merveilles.
Il souligne également que les actions choisies par l’investisseur défensif ne sont pas risquées, et qu’il ne faut pas confondre le risque, qui est celui de la perte irréversible du capital investi, avec la volatilité induite par la fluctuation périodique des cours de bourse.
Chapitre 6 : Politique de construction de portefeuille pour un investisseur entreprenant – L’approche négative
L’investisseur entreprenant doit démarrer sur les mêmes bases qu’un investisseur défensif, en choisissant comment il va allouer son capital entre les obligations de qualité et les actions d’entreprises de qualité qu’il peut acheter à un prix raisonnable. La différence est qu’il se tiendra prêt à investir dans d’autres types d’instruments, mais chaque déviation de la ligne de conduite de base devra être justifiée par un bon raisonnement logique. L’univers des possibles pour ce type d’investisseurs est vraiment vaste : ses choix dépendront principalement de ses compétences et de son tempérament.
Toutefois, il existe des recommandations générales concernant ce qu’il ne faut pas faire. Il évitera en général les obligations et les convertibles de qualité inférieure, sauf si ces instruments peuvent être achetés à un prix au maximum égal à 70% de la parité pour ceux à coupon élevé, et à un prix beaucoup plus bas pour ceux à coupon faible. Il n’achètera pas d’obligations étrangères, quelle que soit l’attractivité des coupons. Il évitera également les instruments nouvellement émis (introductions en bourse, convertibles, nouvelles obligations, etc…), ainsi que les actions dont les bénéfices sont excellents uniquement dans un passé récent.
Pour les investissements en obligations, l’investisseur entreprenant sera bien avisé de se comporter comme son confrère défensif. Le risque de défaut pour les obligations de qualité faible ne vaut pas la peine d’être pris : une chute de la valeur faciale de l’obligation pourrait être fatale à l’investisseur, qui pourrait ne jamais revoir son argent. Graham met en garde contre le fait que les approches qui préconisent l’achat d’un panier d’obligations de faible qualité (connues sous le nom de « Junk bonds ») sous prétexte que l’ensemble rapporte au final un meilleur rendement que les obligations de bonne qualité oublient de préciser qu’un investisseur ne pourra jamais acheter tous les « Junk bonds » du marché. Graham ne cherche donc même pas à vérifier si la conclusion est exacte ou non.
Il faut également se méfier des introductions en bourse car de nombreuses entreprises qui ne valent rien ont une fâcheuse tendance à s’introduire sur le marché à des prix très élevés, surtout pendant les marchés haussiers où l’euphorie règne.
Chapitre 7 : Politique de construction de portefeuille pour un investisseur entreprenant – L’approche positive
Pour la partie obligations, l’investisseur entreprenant se voit conseiller de choisir certaines obligations d’État US qui ont un coupon entre 5 et 7,25%, selon les types.
En ce qui concerne les actions, l’investisseur entreprenant essaie :
1 – D’acheter lorsque le marché est bas et de vendre lorsqu’il est haut
2 – D’acheter des actions de croissance choisies avec attention.
3 – D’acheter des instruments pas chers
4 – D’investir dans les situations spéciales
Il y a quelques problèmes à surmonter, car il n’est pas simple de déterminer si le marché est bas ou haut. Il est encore moins aisé de choisir les actions de croissance, parce qu’elles se vendent souvent très cher : le prix élevé à payer contient par conséquent une composante spéculative.
Pour obtenir des résultats meilleurs que la moyenne, l’investisseur entreprenant devra fournir des raisonnements logiques de qualité et qui devront nécessairement différer de la politique suivie par la plupart des autres investisseurs et spéculateurs. S’il fait comme tout le monde, il obtiendra très logiquement les mêmes résultats !
Graham recommande trois approches qui fonctionnent d’après son expérience :
- Acheter des actions de grandes compagnies impopulaires : le marché tend à surévaluer les compagnies qui ont une forte croissance ou qui sont à la mode, alors qu’il tend à sous-évaluer, au moins de manière relative, les compagnies impopulaires qui rencontrent des obstacles temporaires. L’approche peut en principe être pratiquée sur des entreprises de petite taille, mais le risque que ces sociétés demeurent négligées par le marché est nettement plus élevé, et cela peut arriver même si elles affichent de meilleurs bénéfices. Le marché pourra réagir dans un délai beaucoup plus raisonnable pour les ces grandes entreprises, et c’est un avantage très conséquent.
- Acheter des instruments à prix cassés : il s’agit d’acheter des instruments (actions ou obligations) dont la valeur est supérieure d’au moins de 50% à leur prix. Cela arrive souvent lorsque les bénéfices sont temporairement décevants. Mais attention à bien s’assurer que la nature de la déception est vraiment temporaire : si elle est permanente, le résultat sera fâcheux. Une manière d’identifier les actions à prix cassés est de prendre celles d’entreprises dont la valeur des actifs courants retranchés de toutes les dettes est supérieure à leur capitalisation boursière. Un portefeuille diversifié de telles actions se comporte très bien en termes de performances d’après l’expérience de Graham.
- Participer dans des situations spéciales : ce type d’investissements est compliqué et Graham ne souhaite pas s’étendre dessus dans ce livre. Il mentionne brièvement les arbitrages, mais la concurrence est devenue féroce dans ce domaine avec le temps. Ce n’est pas un terrain pour tous, il requiert des connaissances particulières.
Est-ce que ça marche ? J’applique cette approche à titre personnel depuis bientôt 9 ans avec un rendement pour le moment supérieur à 40% par an et depuis peu à titre professionnel. L’avenir nous dira si cette méthodologie d’investissement entreprenant continue de marcher pour nous. Voici quelques exemples d’application de cette méthodologie sur notre blog Be Rich Corp : Comment s’enrichir considérablement en 5 ans.
Chapitre 8 : L’investisseur et les fluctuations du marché
Lorsque l’investisseur investit dans des obligations de bonne qualité qui arrivent à maturité dans une période relativement courte, disons moins de 7 ans, il ne sera pas fortement impacté par les fluctuations du marché. Ces obligations à échéances plus longue auront plus de probabilité de fluctuer, et il est certain que le prix des actions va fluctuer dans le temps. L’investisseur doit en être pleinement conscient et s’y préparer à la fois psychologiquement et financièrement.
Comme les actions, même de la meilleure qualité, vont fluctuer fortement en termes de prix, l’investisseur doit en profiter. Il y a deux méthodes connues, le « timing » et le « pricing ».
Le « timing » consiste à acheter lorsque l’on anticipe une remontée des cours, et de vendre, ou de s’empêcher d’acheter, lorsque l’on anticipe une baisse. Le « pricing » consiste à acheter l’action d’une entreprise en dessous de sa valeur intrinsèque et à la vendre lorsqu’elle la dépasse.
Faire du « timing » amènera naturellement l’investisseur au statut de spéculateur : c’est pourquoi il nous est recommandé de faire du « pricing ». Il est possible que certains spéculateurs puissent atteindre de bons résultats, mais ce n’est surement pas le cas d’une personne lambda. Avec le « pricing », l’investisseur moyen a le plus de chances d’atteindre des résultats très satisfaisants en achetant simplement à bas prix et en vendant à un prix plus haut, sans aucune considération sur les mouvements du marché.
Il existait pendant de longues périodes un courant de pensée qui disait qu’il fallait acheter dans des marchés baissiers, et vendre dans des marchés haussiers, en prenant en compte la valorisation du marché (via son PE). Graham nous explique que l’idée en soi n’est pas mauvaise, mais que l’on ne sait jamais vraiment comment se comportera le marché dans le futur. En effet, le marché haussier allant de 1949 à 1969 a mis cette théorie à rude épreuve, car il n’y a pas eu de correction sérieuse du marché pendant cette période. N’acheter aucune action pendant ce temps là aurait été préjudiciable à la performance du portefeuille de n’importe quel investisseur.
Moralité : il s’agit plutôt de ne pas acheter n’importe quelle action. Quelle que soit la condition du marché, nous devons être sélectifs.
Un investisseur sérieux ne peut pas se laisser le droit de penser que des fluctuations du marché à court terme, disons quelques mois, l’ont rendu plus riche ou plus pauvre. Toutefois, la foule, dont nous faisons partie, a tendance à être partagée entre les émotions suivantes si le cours d’une action a avancé : « Je suis plus riche que je ne l’étais ! Parfait ! », ou « Le prix est maintenant trop haut ! Je dois vendre ! », ou bien « Je m’en veux de ne pas en avoir acheté davantage lorsque ce n’était pas cher ! », ou encore « Je dois en acheter plus parce que tout est monté et nous sommes dans un marché haussier ! ».
Pour combattre ces émotions, Graham recommande d’investir de manière mécanique sur des actions qui s’échangent en dessous ou à un prix proche de la valeur des actifs tangibles de l’entreprise concernée. On peut également prendre en compte d’autres critères, tels qu’un PE raisonnable.
Graham nous expose dans ce chapitre un exemple extrêmement formateur, celui de l’entreprise A&P :
A&P a été introduite en bourse en 1929 et le cours de l’action a atteint 494 $. En 1933, son cours a chuté à 104 $. En 1938, le cours a chuté à 36 $ pendant le marché baissier. Ce prix-là était vraiment extraordinaire parce que la compagnie se vendait à 126 millions alors que la valeur de ses actifs courants était de 134 millions (dont 85 millions de cash). A&P était pourtant la plus grosse chaine de magasins des USA à l’époque. Malgré cela, Wall Street considérait que ce business valait plus mort que vivant ! Pourquoi cela ? Il y avait des craintes sur des taxes spéciales à venir sur ce type d’entreprises, et les bénéfices ont baissé cette année-là. En plus, on était dans un marché baissier. La première raison était une crainte exagérée, qui n’avait pas de fondement valable, les deux autres obstacles étaient temporaires.
Supposons qu’un investisseur ait acheté A&P en 1937, à 80$, pour 12 fois ses profits moyens par action sur 5 ans. Il est difficile d’affirmer que la chute à 36 était sans importance pour lui. Toutefois, la bonne attitude dans son cas aurait été de vérifier minutieusement s’il ne s’est pas trompé dans ses calculs, et, arrivé à cette conclusion, il aurait alors pu ignorer sans problème les fluctuations du marché. De plus, s’il avait les fonds et le courage de ses convictions, il aurait même pu renforcer sa position à moindre coût.
En 1939, l’action a avancé à 117,5 $. Cette évolution du cours n’a rien d’extraordinaire, elle est même très commune. Toutefois, dans le cas d’une entreprise de premier plan comme A&P, le phénomène était vraiment frappant. En 1961, l’action A&P a atteint 705 $, soit 30 fois les bénéfices de l’entreprise en 1961 ! On avait donc des attentes très élevées en termes de croissance pour cette entreprise déjà bien établie. Si l’on regardait l’évolution passée des bénéfices, rien ne pouvait justifier ces attentes-là. En 1970, le cours est passé à 215, puis à 180 en 1972, année de la première perte de l’histoire d’A&P. A&P était certes plus grosse à cette époque qu’en 1938, mais elle n’était ni aussi faiblement valorisée, ni aussi bien gérée.
Il y a deux leçons à retenir : le marché à souvent tort, et l’investisseur intelligent peut en profiter.
Jamais un investisseur n’est forcé de vendre ses actions pour réaliser ses pertes. Il doit apprendre à ne pas considérer sérieusement les fluctuations du marché pour réussir.
Chapitre 9 : Investir dans les fonds d’investissement
Graham étudie la performance des fonds d’investissement et constate que la majorité des fonds ne font pas aussi bien que le marché en général. Les gérants ne sont pas à blâmer car ils ont tellement de fonds à gérer que leurs portefeuilles sont difficiles à différencier par rapport à un indice élargi tel que le S&P 500.
Graham compare également les fonds ouverts et les fonds fermés à son époque et déduit qu’il est en général plus intéressant d’acheter des fonds fermés à un prix inférieur de 10 à 15% à la valeur de leurs actifs nets.
Les autres fonds de son époque qu’il évoque ne valent pas tellement la peine.
Chapitre 10 : L’investisseur et ses conseillers
Contrairement aux idées préconçues, un conseiller ne peut en aucun cas garantir à son client qu’il aura un meilleur retour sur investissement que le marché en général grâce à ses services. Un conseiller ne peut s’appuyer sur son expérience que pour éviter à l’investisseur de commettre des fautes irréparables ; qu’il s’agisse d’un ami, d’un amateur, ou d’un professionnel.
Les grandes maisons de conseil en investissement font en général du très bon boulot dans ce sens et ne promettent pas grand-chose en termes de retour sur investissement. Les courtiers ont un conflit d’intérêts lorsqu’ils émettent des recommandations, car ils ont intérêt à pousser leurs clients à spéculer : il est donc primordial de s’assurer que l’analyste de la maison de courtage avec lequel nous travaillons est orienté vers l’investissement dans la valeur avant de suivre ses conseils. Il faut également faire attention aux conseils donnés par les banques d’investissement, qui ont intérêt à vous vendre leurs services. L’investisseur devra donc apporter son propre jugement en plus de leur recommandation.
Quel que soit le conseiller choisi, l’investisseur devra s’assurer de son intégrité et de sa compétence avant de travailler avec lui. Ce travail a un prix et il ne faut pas s’attendre à grand-chose lorsque les conseils sont gratuits.
Chapitre 11 : Le concept d’analyse pour l’investisseur profane
L’analyste s’intéresse au passé, au présent et au futur de l’entreprise sous-jacente à une action ou une obligation. Il décrit son activité, ses résultats opérationnels, sa solidité financière, ses points forts et points faibles, ses possibilités et ses risques. Enfin, il donne une recommandation sur la pertinence d’une prise de position.
Par le passé, les analystes ont assez peu appliqué les standards de sécurité aux actions comme ils l’ont fait pour les obligations. Les techniques d’analyse mathématique appliquées sur les actions se concentrent, de manière très paradoxale, presque exclusivement sur le futur, alors que c’est précisément là que l’on n’a aucune certitude ! À quoi bon faire des raisonnements mathématiques rigoureux qui ont toutes les chances d’être faux à cause de mauvaises hypothèses ?
Comment analyser une obligation d’entreprise ?
C’est très simple : il suffit de regarder si le coût annuel des intérêts est suffisamment couvert par le bénéfice de l’entreprise moyenné sur un certain nombre d’années, par exemple 7 ans. Une autre technique valable et de se restreindre au bénéfice le plus bas sur la période, pour ajouter un peu de pessimisme dans l’approche, et donc augmenter la sécurité de l’investissement. Sur ce dernier critère, il suffit de prendre un ratio bénéfice net / coûts des intérêts de 2,1 fois pour un fournisseur d’énergie, 2,65 fois pour les compagnies ferroviaires, 3,2 fois pour les industrielles, et 2,65 fois pour la grande distribution. On peut en plus regarder la taille de l’entreprise et la valeur de ses biens.
Rien ne garantit le futur, mais une longue expérience démontre que ces standards permettent de faire face à toutes sortes d’incertitudes et de revoir son investissement.
Comment s’y prendre pour une action ?
Graham démontre, en s’appuyant sur l’exemple de la célèbre revue Value Line, que les analystes qui projettent le futur ont tort la plupart du temps. Cette méthode ne tient donc pas la route pour un investisseur profane. Il est donc recommandé de se fonder sur le passé et de ne regarder les perspectives futures à long terme que de manière très générale. On peut ensuite regarder quel est le management et ce qu’il a accompli, la santé financière, ainsi que la longévité et le rendement actuel des dividendes.
Pour les entreprises en croissance, Graham donne une formule pour estimer leur valeur de manière conservative :
Valeur = Bénéfices normalisés actuels x (8,5 + 2 x taux de croissance annuel attendu)
Il faut être extrêmement conservateur dans l’estimation du taux de croissance annuel attendu sur 7 à 10 ans. L’utilisation de cette formule permet également de déterminer quelle est la croissance attendue par le marché pour une entreprise donnée, en remplaçant la Valeur par le Prix du marché. Cela permet de déterminer si les attentes sont trop élevées. Par exemple, en 1963, le marché attendait une croissance annuelle des bénéfices de 32,4% pour Xerox, alors qu’il n’attendait que 2% par an pour General Motors. Cela n’a pas empêché que Xerox ait pu répondre aux attentes jusqu’en 1969 tout de même.
Chapitre 12 : Considérations à propos des bénéfices par action
Les bénéfices par action qui sont annoncés par les entreprises peuvent ne pas correspondre à la réalité. Une société peut parfaitement annoncer des bénéfices qui ne prennent pas en compte des charges dites spéciales. Par exemple, ALCOA a dit avoir fait un bénéfice de 5,2 $ par action en 1970, en retrait par rapport à 5,58 $ par action en 1969. Pendant le dernier trimestre de 1970, ils affichent 1,58 $ contre 1,56 $ en 1969. On pourrait se dire que ce n’est pas mal, considérant que 1970 était une année de récession pour le secteur.
Mais si l’on va voir le pied de page du rapport annuel, on se rend compte que le bénéfice par action totalement dilué après charges spéciales est de 4,19 $ par action pour l’année et 0,7 $ par action pour le dernier trimestre.
Pour avoir une idée des vrais bénéfices, il faut en premier lieu prendre les bénéfices totalement dilués, c’est-à-dire rapportés au nombre d’actions qui seraient en circulation si toutes les options et tous les warrants en circulation étaient exercés. Ce problème n’est pas significatif chez ALCOA. Ensuite, il faut aller voir ce que sont ces fameuses charges spéciales. Toujours dans les pieds de pages du rapport annuel, on voit que ces coûts sont associés à la future fermeture de sites de production et de la branche crédits, ainsi que du coût nécessaire pour mener un contrat à son terme. Peut-on vraiment affirmer que ces coûts sont exceptionnels ? Il semble plutôt normal qu’une entreprise aussi grosse qu’ALCOA se réorganise régulièrement et mène des contrats à leur terme. Cela ne correspond-il pas à une sortie de cash réelle et potentiellement récurrente ? Les résultats annoncés doivent-ils seulement comprendre à chaque fois les opérations profitables et exclure les non profitables ?
C’est pour prendre en compte tout cela que Graham préconise à l’investisseur profane de ne considérer que les bénéfices moyens sur une période de temps assez longue. De même, il est pertinent, lorsque l’on souhaite prendre en compte la croissance, de s’appuyer sur de longues périodes passées, par exemple 10-12 ans, que sur les récents pics de croissance.
Chapitre 13 : Une comparaison de 4 sociétés cotées
Graham compare 4 sociétés cotées. Deux d’entre elles Eltra et Emhart, ont respectivement un PE de 10 et 11,9 et un PB (ratio cours/valeur comptable, en anglais Price to Book value) de 1 et 1,22. Elles paient respectivement 4,45 % et 3,65 % de dividendes. D’autre part, on a Emerson et Emery qui ont respectivement un PE de 30 et 38,5 et un PB de 6,37 et 14,3. Elles paient respectivement un dividende de 1,78 % et 1,76 %.
Toutes les compagnies ont une bonne santé financière (peu endettées) et des bénéfices en croissance sur de longues périodes de temps. Emery est la seule à croître très vite, alors qu’Emerson a une croissance lente.
Les analystes de l’époque trouvaient Emerson et Emery plus prometteuses que les deux autres.
Graham ne cherche pas à faire de prédiction sur les performances de ces actions, mais dit qu’Eltra et Emhart réunissent tous les éléments nécessaires pour leur offrir une place dans le portefeuille d’un investisseur défensif, c’est-à-dire :
Une taille adéquate
Une bonne santé financière
Des versements de dividendes ininterrompus depuis les 20 dernières années
Pas de pertes durant les dix dernières années
Croissance du bénéfice supérieure à 33% pendant la dernière décennie
Prix de l’action inférieur à 1,5 fois le prix de leurs actifs nets de dettes
Prix inférieur à 15 fois leur bénéfice moyen durant les trois dernières années.
Chapitre 14 : La sélection d’actions pour l’investisseur défensif
L’investisseur défensif a deux possibilités : soit acheter toutes les actions d’un indice comme le DJIA, ou sélectionner lui-même ses actions en ne prenant que celles qui réunissent tous les éléments nécessaires, cités dans le chapitre précédent. Il généralise quelques points : le bénéfice doit être à peu près stable et le prix payé pour acquérir les bénéfices et les actifs nets de dettes doit être modéré.
En appliquant ces critères à l’ensemble des actions du DJIA, Graham trouve seulement 5 actions qui y répondent. Il faut en retenir que seule une minorité d’actions sur le marché restera après application de ces filtres. Graham préconise une approche très quantitative pour enlever toutes les émotions impliquées par les considérations qualitatives.
L’investisseur défensif ne doit pas essayer de sélectionner les meilleures actions parmi les moins chères, car il n’y a aucune raison pour qu’il sache faire cela mieux que qui que ce soit. Graham conseille une approche diversifiée. Bien sûr, quelqu’un qui sait choisir les meilleures actions n’a pas intérêt à diversifier, mais ce n’est a priori pas le cas de l’investisseur défensif. Les critères choisis n’étant pas si restrictifs qu’ils paraissent, l’investisseur défensif aura en pratique le choix parmi suffisamment d’actions pour diversifier selon ses préférences et ne pas être frustré.
Chapitre 15 : La sélection d’actions pour l’investisseur entreprenant
Comment l’investisseur entreprenant doit-il sélectionner ses actions pour obtenir une performance supérieure ?
Pris dans leur ensemble, les fonds professionnels n’arrivent pas à faire mieux que le S&P 500 : c’est donc très loin d’être simple ! L’investisseur entreprenant devra donc se résoudre à aller à l’encontre des pratiques communes de Wall Street pour faire mieux que « tout le monde ». La bonne nouvelle, c’est que la notoriété et la performance long-terme du fonds Graham-Newman nous démontrent que c’est possible.
Voici le type d’opérations dans lesquelles le fonds Graham-Newman a été engagé pendant son existence de 1926 à 1956 :
A- Les arbitrages consistant à simultanément acheter un instrument et vendre un ou plusieurs instruments contre lesquels le premier instrument sera échangé à cause d’une réorganisation, d’une fusion, ou autres évènements similaires.
B- Les liquidations : il s’agit d’acheter des actions d’entreprises en train de liquider, et dont les actionnaires recevront davantage que le prix payé en cash à l’issue de la liquidation.
Ces deux types d’opérations doivent avoir les caractéristiques suivantes :
1) Un retour sur investissement calculable supérieur ou égal à 20% par an,
2) Une probabilité de bon déroulement estimée supérieure à 80%.
C- Du « hedging corrélé », consistant à acheter des instruments convertibles et vendre simultanément à découvert l’action dans laquelle ces derniers peuvent être convertis. Les convertibles s’échangeaient à des prix proches du pair, pour permettre de réduire la perte maximale si jamais le convertible devait effectivement être converti à la fin de l’opération. En revanche, un profit serait effectivement généré si l’action chutait plus fortement que le convertible.
D- L’achat d’actions de type net-net, c’est-à-dire celles d’entreprises qui s’échangeaient en dessous de leur valeur d’actifs courants retranchée de toutes les dettes. Graham ne comptait pas les actifs non courants, tels que les usines, l’immobilier, etc… Graham et Newman les achetaient de manière extrêmement diversifiée, ils en avaient plus de 100 dans le portefeuille de leur fonds.
Graham et Newman ont, au cours du temps, abandonné les opérations d’achat d’entreprises en apparence attractives mais qui ne se vendaient pas en dessous de leur valeur d’actif net, faute de résultats satisfaisants.
Graham hésite à prescrire sa sauce à l’investisseur profane, car ces opérations demandent du métier. En revanche, il suggère à l’investisseur entreprenant d’essayer de sélectionner des actions en se fondant sur les critères qui suivent :
Une condition financière acceptable, c’est-à-dire une valeur des actifs courants au moins 50% supérieure aux dettes courantes, et une dette totale n’excédant pas 110% de la valeur des actifs courants (pour les entreprises industrielles)
Une stabilité des bénéfices, sans résultat négatif au cours des 5 dernières années.
Paiement d’un dividende
Croissance des bénéfices satisfaisante : le dernier bénéfice doit être supérieur à celui d’il y a 5-6 ans
Prix inférieur à 120% de la valeur des actifs nets tangibles
Existe-t-il un critère unique qui permettrait de faire une bonne sélection d’actions ? Il semble bien que oui : l’expérience de Graham lui a montré que l’achat d’actions de grandes entreprises à faible PE ou l’achat d’un groupe diversifié de nets-nets permettent d’avoir des résultats très satisfaisants sur de longues périodes de temps.
Chapitre 16 : Les convertibles et les warrants
Il est commun de penser que les convertibles sont avantageux à la fois pour l’investisseur et l’entreprise émettrice. L’investisseur reçoit non seulement une protection supplémentaire de type obligataire, mais peut aussi participer à la montée du prix de l’action. Elles permettent à l’émetteur d’emprunter à des taux plus bas et donc refinancer sa dette à moindre coût en l’échangeant contre des actions.
C’est trop beau pour être vrai : l’investisseur doit souvent sacrifier un élément important, qui est soit du rendement, soit de la qualité, soit les deux à la fois. De plus, la compagnie dilue les actionnaires existants, ce qui a pour effet de les aliéner d’une partie de leurs biens… c’est donc là que git le lièvre !
La conclusion sur les convertibles est qu’ils sont comme tous les instruments : leur nature ne leur garantit ni attractivité, ni répugnance. L’expérience de Graham lui a montré que les convertibles émis durant les marchés haussiers sont souvent peu attractifs. Ils doivent être analysés au cas par cas. Il peut être intelligent d’échanger une action contre un convertible si l’action paie beaucoup moins de dividendes que le convertible, et que le surcoût à payer pour convertir est minime par rapport à la différence dans le dividende.
Graham continue ce chapitre en abordant le cas des warrants. Il est opposé au développement massif des stocks options qu’il considère comme une menace. À l’origine, ces instruments étaient adjoints à des obligations pour jouer le rôle d’un droit de conversion en action à un prix donné. Ils étaient peu nombreux par rapport au nombre d’actions en circulation et ne présentaient aucun danger.
Maintenant qu’ils prolifèrent, ils peuvent massivement diluer les actionnaires : une action a par défaut une valeur plus basse s’il y a des warrants qui trainent à côté que s’il n’y en avait aucun. Plus ces warrants sont nombreux, plus sa valeur est basse.
Graham ajoute que le crime des warrants est simplement celui d’être né. Ils s’étudient par ailleurs comme tous les autres instruments sur le marché. On peut estimer leur valeur intrinsèque, et faire des profits comme avec tout autre instrument.
Chapitre 17 : 4 cas extrêmement instructifs
Graham nous raconte l’histoire de quatre cas extrêmes à Wall Street.
Le premier est l’histoire de Penn Central, la plus grande compagnie ferroviaire des USA, dont la banqueroute en 1970 a ébranlé toute la communauté financière. Le cours de l’action a sombré de 86,5 $ en 1968 à 5,5 $ en 1970.
Pourtant, un investisseur intelligent n’aurait jamais acheté d’action ou d’obligation de cette entreprise pour plusieurs raisons :
En 1967, les dépenses liées aux paiements d’intérêts n’étaient couverts que de 1,91 fois par les bénéfices, et de 1,98 fois en 1968. La couverture minimum prescrite par Graham pour l’investissement obligataire sûr est nettement supérieure dans les compagnies ferroviaires (2,65 fois).
La compagnie annonçait des bénéfices mais ne payait pas d’impôt depuis plusieurs années.
On pouvait échanger les obligations de Penn contre des obligations de bien meilleure qualité dans le même secteur d’activité, qui se vendaient moins cher en 1968.
Penn avait communiqué un bénéfice de 3,8 $ par action en 1968. Le prix de 86,5 $ correspond à 24 fois les bénéfices annoncés. Mais bon, n’importe quel analyste normalement constitué se serait déjà demandé pourquoi ils ne payaient pas d’impôt et aurait questionné la validité des chiffres communiqués par l’entreprise…
En 1966, la compagnie a réalisé une fusion-acquisition et a annoncé un bénéfice de 6,8 $ par action, avant une charge exceptionnelle de 12 $ par action qui serait prise en compte en 1971… Voici un bénéfice très douteux.
Les performances opérationnelles de Penn étaient mauvaises par rapport à la concurrence.
Et d’autres transactions louches.
Le second exemple édifiant est celui de Ling-Temco-Vought Inc. (LTV). C’est l’histoire d’un « jeune génie » qui débute en 1958. La compagnie génère alors un chiffre d’affaires de 7 millions, et, en 1960, ce chiffre est multiplié par 20 à coup d’acquisitions de toutes sortes. En 1967, le chiffre d’affaires est encore multiplié par 20. Entre temps, la dette de l’entreprise a explosé de 44 millions à 1,653 milliards. En 1969, la compagnie refait une acquisition et la dette s’envole à 1,865 milliards : et là, LTV annonce une perte énorme, et le cours de l’action est divisé par 7. Un an plus tard, les pertes continuent, et le cours est encore divisé par 4. LTV n’a en fait jamais eu d’actifs tangibles et n’était qu’un tas de dettes : à se demander comment les banquiers ont pu prêter de l’argent à cette entreprise…
Le troisième exemple est celui de NVF, qui a fait l’acquisition de Sharon Steel, une compagnie 7 fois plus grosse qu’elle ! Le management de Sharon Steel a bien tenté de résister mais en vain. NVF a pris une dette colossale pour faire cette acquisition… Le bilan après acquisition avait un air assez bizarre : une dépense différée de dette était présente dans la partie actif (depuis quand une dette rapporte de l’argent aux actionnaires ?), le management de NVF a inventé de nouvelles lignes comptables pour gonfler les profits, etc… En bref, NVF avait imaginé un tas de magouilles financières pour détruire les biens de ses actionnaires.
Le dernier exemple est celui d’AAA Entreprises. Un autre « jeune génie », Mr Williams, a décidé de vendre des mobiles homes. En 1965, il a ouvert son entreprise et réalisé un chiffre d’affaires de 5,8 millions. Il a réalisé un bénéfice de 61 000$ avant impôts. En 1968, il a décidé d’en faire une franchise, pour vendre à d’autres personnes le droit de vendre des mobiles homes avec son nom. Il a ensuite eu l’idée géniale d’utiliser ses mobiles homes comme bureaux de préparation de taxes et a créée une filiale appelée Mr. Tax of America. Il a également franchisé ce concept. Avant d’introduire AAA en bourse, il a multiplié le nombre de ses actions pour qu’il y en ait 2 710 000. Il a ensuite trouvé une grande maison prête à le faire.
En mars 1969, ils ont vendu 500 000 actions à 13 $ pièce, dont 300 000 ont été vendues au nom de Mr. Williams et 200 000 au nom de la compagnie. AAA a gagné 2 400 000 $ dans l’affaire.
Le prix de l’action a promptement doublé et la compagnie était évaluée à 84 millions, contre une valeur comptable de 4,2 millions à tout casser, et un bénéfice maximal de 690 000. Cette action se vendait donc à un « modeste » multiple de 115 fois ses profits. Quelle bonne affaire pour notre jeune génie !
Avec cet excès de capital, AAA a ouvert en 1969 une chaîne de vente de parquets et a acquis un constructeur de mobiles homes. Les mois suivants, la compagnie a réalisé une perte de 4 365 000 dollars, soit plus que tous leurs bénéfices cumulés et les 2 400 000 gagnés dans l’affaire… Après cela, la valeur comptable n’était plus que de 8 cents par action ! Malgré cela, l’action s’échangeait encore à 8,5 dollars, valorisant la compagnie à 25 millions.
On pourrait pourtant croire que les investisseurs viendraient à se demander comment on peut basculer aussi simplement et rapidement d’un bénéfice de 690 000 à une perte de plus de 4 millions… mais pas du tout. En 1970, AAA annonce une perte d’un million, et Mr. Williams arrive à ne pas faire banqueroute en négociant un prêt de 2,5 millions.
En janvier 1971, c’est la banqueroute. L’action s’échangeait encore à 50 cents fin janvier, ce qui valorisait tout de même cette entreprise qui n’avait que des dettes à 1,5 million !!! Les spéculateurs sont parfois vraiment incorrigibles.
Chapitre 18 : Comparaison de 8 paires de sociétés
Pour voir, en plus des exemples de Graham, un exemple d’une comparaison synthétique entre deux sociétés actuelles, Oracle et Facebook, vous pouvez vous rendre sur : http://www.berichcorp.com/oracle-vs-facebook/
Paire 1 : Real Estate Investment Trust (boutiques, bureaux, usines, etc…) REI et Realty Equities Corp (investissement immobilier, construction générale) REC
REI est un trust en Nouvelle Angleterre géré de manière très conservatrice depuis près d’un siècle. REC est une entreprise en croissance démentielle, dont les actifs ont explosé de 6,2 millions à 154 millions, et les dettes ont explosé proportionnellement. Les deux entreprises étaient en bonne santé en 1960, mais la mauvaise gestion a ruiné REC en 1970.
Paire 2 : Air Products and Chemicals (gaz industriels et médicaux) APC et Air Reduction (gaz industriels et équipement ; chimie) AR
Les activités des deux entreprises sont ici assez similaires et la comparaison est un exercice typique d’analyse. APC était plus récente qu’AR, et, en 1969, elle avait un chiffre d’affaires inférieur de moitié à celui de AR. Toutefois, APC se vendait avec un PE de 16,5, et un PB de 1,65, alors qu’AR avait un PE de 9,5 et un PB de 0,75. AR avait également une dette plus raisonnable par rapport à ses capitaux propres qu’APC (capitaux propres / dette = 0,82 pour AR et capitaux propres / dette = 0,32 pour APC). AR payait 4,9 % de dividende, alors qu’APC ne payait que 0,5%., ce qui pouvait être expliqué par la volonté d’APC de réinvestir ses profits dans la compagnie. D’ailleurs, APC avait une plus forte croissance des bénéfices : + 59% de 1964 à 1969, contre + 19% pour AR. Sur 10 ans, les bénéfices d’APC ont augmenté de 362% contre une décroissance pour AR.
Si un analyste devait choisir entre les deux compagnies, il n’aurait aucun problème à conclure que les perspectives d’APC on l’air plus prometteuses. Mais est-ce qu’APC est plus attractive en tant qu’investissement avec son prix plus élevé ? On ne peut pas répondre à cette question de manière ferme et définitive. Wall Street a tendance à privilégier la qualité sur la quantité, et la majorité des analystes choisiraient surement APC. Le caractère correct ou non de ce choix dépendra entièrement d’un futur imprévisible. Graham tendrait à privilégier AR dans un panier d’actions diversifiées de ce type, car la composante spéculative est plus réduite au prix relativement de l’action.
En 1971, l’action ARC avait enregistré une meilleure performance, mais cela ne signifie rien en termes d’avenir.
Paire 3 : American Home Products Co. (médicaments, cosmétiques, produits ménagers, sucreries) AHP et American Hospital Supply Co. (distributeur et constructeur de fournitures hospitalières et d’équipement) AHS
En 1969, ces deux compagnies représentent toutes deux des segments distincts de l’industrie de la santé, très profitable et en forte croissance à l’époque.
La croissance des deux sociétés était excellente (aucune chute des bénéfices depuis 1958), de même que leur santé financière. La croissance d’AHS était supérieure à celle d’AHP : + 405 % en 10 ans contre + 161 % respectivement. Mais, d’un autre côté, AHP avait de meilleures marges et un meilleur retour sur capitaux propres. AHP se vendait à 31 fois ses bénéfices et payait 1,9 % en dividendes contre 58,5 fois et 0,55 % en dividendes pour AHC. On en a plus pour son argent avec AHP a priori, mais les deux compagnies sont beaucoup trop chères pour être sélectionnées par un investisseur qui a décidé de suivre les préceptes de Graham. Leur prix contient trop de promesses et d’attentes et pas assez de performance réelle.
En 1970, AHS a eu une baisse microscopique de ses bénéfices, et le cours de l’action a chuté de 30 %. Le bénéfice d’AHP a progressé de 8% et le cours de l’action a légèrement progressé.
Paire 4 : H & R Block, Inc. (services de traitement des impôts) HRB et Blue Bell, Inc. (production de tenues de travail, uniformes, etc…) BB
BB œuvre dans une industrie très compétitive, et en est devenu le leader. Ses bénéfices ont fluctué au gré des conditions industrielles, mais leur croissance de 1965 à 1969 est plus que valable (+ 68%). Fin 1969, Wall Street n’était pas très enthousiaste sur BB, qui se négociait avec un PE de 11 (contre un PE de 17 pour l’indice S&P 500).
Pour HRB a affiché une croissance incroyable. En 1961, la compagnie avait un bénéfice de 83 000 pour un chiffre d’affaires de 610 000. En 1969, son bénéfice était de 6,3 millions pour un chiffre d’affaires de 53,6 millions ! En conséquence, cette magnifique entreprise s’échangeait à 108 fois ses bénéfices de 1969 (qui constituaient un record pour HRB) et 30 fois la valeur de ses actifs tangibles (soit 3 fois plus qu’IBM ou Xerox, un record également en termes de valorisation).
Il est vrai qu’HRB était deux fois plus profitable que BB en termes de retour sur capitaux propres, que sa croissance était bien plus importante, mais BB se vendait à moins du tiers du prix total (nombre d’actions de l’entreprise multiplié par le prix d’une action) d’HRB alors que leur chiffre d’affaires était 4 fois supérieur et leur bénéfice était également supérieur.
Un analyste expérimenté aurait sans problème concédé qu’HRB avait d’excellentes perspectives. Il pourrait se demander si, vu les retours sur capitaux propres, les services de traitement des impôts ne deviendraient pas un domaine extrêmement compétitif. Mais, conscient du succès ininterrompu de compagnies extraordinaires comme Avon Products dans des industries extrêmement compétitives, il aurait hésité à prédire une diminution de la croissance d’HRB. Sa principale question eut été de savoir si le prix à payer ne surévalue pas ce business malgré les meilleures des perspectives. Le même analyste n’aurait en revanche eu aucun problème à recommander BB, en tant que bonne entreprise se payant en plus à un multiple très raisonnable de ses bénéfices.
En mars 1970, la panique sur le marché a entraîné une chute du prix d’HRB de 33%, et de 25% du prix de BB. Mais après la reprise, qui a duré jusqu’en février 1971, l’action BB avait doublé par rapport à son cours de 1969, alors que l’action HRB n’avait avancé « que » de 35%.
Paire 5 : International Flavors & Fragrances (additifs pour le goût) IFF et International Harvester (production de camions, machines à travailler la terre, machines pour la construction) IH
IH était une compagnie du Dow Jones, connue de tous, alors qu’aucun américain n’avait probablement entendu parler d’IFF. Et pourtant, IFF avait une capitalisation boursière supérieure à IH (747 millions contre 710 millions) ! Mais en termes de chiffres d’affaires, IH était 27 fois plus grosse qu’IFF. Trois ans auparavant, les bénéfices d’IH étaient supérieurs aux ventes d’IFF. Mais IFF était plus profitable et avait une plus forte croissance bien sûr, donc c’était un chouchou du marché. IFF se vendait à 55 fois ses bénéfices, alors qu’IH se vendait seulement à 10,7 fois ses bénéfices.
Le succès d’IFF était fondé uniquement sur sa croissance organique ; c’était une compagnie extrêmement bien gérée et profitable. La performance opérationnelle d’IH soulève, quant à elle, des questions : comment une aussi grande compagnie est-elle devenue aussi peu profitable par rapport aux capitaux investis par ses actionnaires ? Le profit ne représente que 5,5 % des capitaux propres d’IH.
Graham préconise de ne prendre aucune de ces deux actions dans son portefeuille : IFF est évaluée trop cher pour un investissement conservateur, et IH est trop médiocre en termes de profitabilité, même a un prix assez bas.
En 1970, l’action IH a baissé de 10%, probablement grâce à son prix déjà assez bas. L’action IFF a, quant à elle, baissé de 30%.
Paire 6 : Mc Graw Edison (services publiques et équipement) MGE et Mc Graw Hill (livres, films, systèmes d’apprentissage, édition de journaux et magazines, services d’information) MGH
En 1968, MGH avait une capitalisation boursière deux fois supérieure à MGE. Cela peut paraître surprenant car MGE avait un chiffre d’affaire de moitié supérieur à celui de MGH. En termes de PE, celui de MGE était de 15,5, alors que celui de MGH était de 35. Cerise sur le gâteau, la croissance de MGE (+104% sur 5 ans) n’avait rien à envier à celle de MGH (+71 % sur 5 ans). Et, récemment, les bénéfices de MGH avaient chuté. Ce phénomène semble principalement lié au fait que les éditeurs étaient très en vogue à Wall Street en 1968.
MGE semblait cotée à un prix raisonnable par rapport à sa performance pour un marché très haut en 1968. De ce fait, cette action pouvait avoir sa place dans le portefeuille d’un investisseur intelligent.
Jusqu’en 1971, le déclin des bénéfices de MGH s’est poursuivi. Mi 1970, le prix de l’action représentait seulement le quart de celui de 1968. Mi 1971, il en représentait 60%, après une bonne reprise du cours de l’action. MGE a souffert également, mais cela n’avait rien à voir : la baisse mi 1970 était de près de 50%, et le cours rebondi en 1971 pour dépasser légèrement celui de 1968.
Paire 7 : National General (un gros conglomérat) NG et National Presto Industries (électroménager divers) NPI
Fin 1968, NG était un conglomérat d’activités n’ayant pas grand-chose à voir les unes avec les autres : chaîne de théâtres, production cinématographique, production TV, services financiers d’épargnes et de prêts, éditions de livres, auxquelles on peut ajouter de l’assurance, de la banque d’investissement, de l’enregistrement, des services assistés par ordinateur, de l’immobilier, …
NPI a aussi eu un programme de diversification, mais rien à voir avec NG ! Ils ont commencé en tant que leader de la cocotte-minute, et se sont diversifiés dans l’électroménager.
NPI avait une structure financière on ne peut plus simple (juste des actions), alors que celle de NG avait des warrants (3 séries différentes) et des convertibles de toutes sortes. Bref, largement de quoi diluer les actionnaires.
Cela dit, NG s’échangeait à 69 fois ses bénéfices, alors que NPI s’échangeait à seulement 6,9 fois ses bénéfices. Tout ceci alors que NG avait un retour sur capitaux propres faible (4,5%) contre un retour sur capitaux propres énorme pour NPI (21,4%). Même la croissance était au rendez-vous chez NPI (+450% sur 5 ans et +600% sur 10 ans, contre près de 10 fois moins sur 5 ans pour NG). Il est réellement incroyable de voir NG beaucoup plus chère que NPI. Côtée à un prix ridiculement bas, NPI était tout à fait recommandable pour un investisseur intelligent. NG était en revanche à éviter comme la peste.
En 1970, NG a continué sa diversification, a vu sa dette augmenter, et a affiché une perte : le prix de l’action ne représentait alors plus que 15% de celui de 1968.
NPI a continué sa croissance en 1969 et 1970, mais le prix de son action n’a pas été épargné durant la correction du marché. Il a chuté de près de 50% : l’action avait alors un PE nettement inférieur à 4, et constituait un net-net ! Son cours est à peu près revenu à son niveau de 1968 au cours de l’année, mais les ratios sont restés incroyablement bas. Parfois, c’est à n’y rien comprendre. Graham nous dit que si l’investisseur peut trouver une dizaine de telles entreprises, NPI a largement sa place dans un portefeuille de net-nets.
Paire 8 : Whiting (équipement pour traitement de matériaux) W et Willcox & Gibbs (petit conglomérat) WG
WG et W, ou comment, en 1969, une compagnie avec le plus petit chiffre d’affaires, le plus petit bénéfice et ayant une valeur d’actifs nets tangibles inférieure (WG) à celle de l’autre (W) s’échange 4 fois plus cher en termes de capitalisation boursière… C’est à se demander si Wall Street est vraiment une institution gouvernée par la raison. W se vendait avec un PE de 9,3 seulement, celui de WG était stratosphérique (autour de 120).
WG était une compagnie leader dans les machines à coudre et s’est monstrueusement diversifiée pour devenir une entreprise médiocre, dont les bénéfices ont fortement chuté. Ceux de W ont cru de 354% en 10 ans et sont restés stables sur 5 ans. Il y avait de ce fait des inquiétudes sur la croissance future.
En janvier 1971, les bénéfices ont de W ont chuté d’un peu plus de 50%. Il était tout à fait possible que ces bénéfices ne reflétaient que l’état général de l’économie, mais le cours de l’action a chuté de 40%. À ce prix, l’analyse montrait que W était une idée tout à fait envisageable pour le portefeuille de l’investisseur entreprenant, de part son PE très modéré si l’on considère son bénéfice moyen sur 5 ans.
Dans la même période, WG a affiché une petite perte en janvier 1971 et le prix de l’action à été divisé par 4. En février 1971, il est revenu à près de deux tiers du prix de 1969. Dans le même temps, W a progressé de plus de 50% par rapport à son prix de 1969. Le nouveau prix était encore raisonnable, mais n’était plus ridiculement bas comme avant.
Dans ces 8 paires, la relation entre le prix à payer et la valeur à acheter était souvent disproportionnée. Cela peut aller dans le sens de la surévaluation comme dans celui de la sous-évaluation. Graham recommande ardemment à l’investisseur de s’en tenir uniquement aux situations où, après une analyse minutieuse, il peut affirmer avec confiance que le prix est nettement inférieur à la valeur.
Chapitre 19 : Les actionnaires et le management : la politique de versement des dividendes
Dans ce chapitre, Graham s’insurge contre l’attitude « moutonne » des actionnaires qui n’interviennent plus du tout dans la gestion de leur entreprise. On dirait que les actionnaires ont complètement oublié qu’ils sont les propriétaires des entreprises dont ils détiennent les actions, et que le management est à leur service. Graham invite les actionnaires à lire attentivement toute la matière qui leur est envoyée par leur entreprise et à contacter leurs confrères coactionnaires lorsqu’une situation semble douteuse.
Concernant les dividendes, Graham nous dit qu’il peut paraître légitime de réinvestir les profits de l’entreprise dans son activité pour une plus forte croissance. Toutefois, il nous informe que cet argent est souvent dilapidé par le management. C’est pourquoi il invite les actionnaires à exiger un taux de paiement du bénéfice élevé sous forme de dividendes (par exemple 66%), ou une preuve que l’argent réinvesti apporte effectivement une croissance conséquente des bénéfices.
Graham nous explique également la différence entre un dividende en actions et un split d’actions. Un split d’actions a pour seul but d’établir un prix plus bas pour l’action, pas de distribuer quoi que ce soit à qui que ce soit. Les actions supplémentaires avec lesquelles on se retrouve à l’issue du split ne correspondent à aucune distribution de capital. Un vrai dividende en actions correspond à la distribution d’un bénéfice réel récemment accumulé. Il correspond à un flux de capital allant du compte « surplus de bénéfices » au compte de « capital ». Le dividende en actions a un énorme avantage au niveau des impôts pour l’actionnaire.
Chapitre 20 : La marge de sécurité en tant que concept central de l’investissement
Pour avoir un complément d’information sur la notion de marge de sécurité, vous pouvez vous rendre ici : Votre première priorité : ne pas perdre d’argent.
S’il devait faire tenir le secret de l’investissement intelligent en trois mots, Graham choisirait : « marge de sécurité ».
Tous les investisseurs obligataires expérimentés connaissent l’importance de ce concept : la capacité passée des entreprises à générer un bénéfice suffisamment grand pour couvrir plusieurs fois le paiement des intérêts permet de se prémunir contre une déconvenue en cas de baisse du bénéfice à l’avenir. En bons pessimistes, ces investisseurs ne s’attendent pas à ce que l’entreprise génère des profits comme dans le passé, ou supérieurs : s’ils étaient certains de cela, il ne demanderait qu’une très petite marge de sécurité.
Peut-on transposer ce concept aux actions ? Certainement, avec quelques ajustements.
Il y a des cas où l’on peut considérer une action comme une obligation, notamment lorsque le capital de la société n’est composé que d’actions, et lorsque le prix de toutes les actions est inférieur à la quantité d’obligations qui pourraient être émises contre les actifs et les bénéfices de l’entreprise. Reprenons l’exemple de National Presto Industries (NPI), qui se vendait à 43 millions en 1972. Avec 16 millions de bénéfice avant impôts, la compagnie aurait largement pu supporter une émission d’obligations pour 43 millions en payant tous les intérêts nécessaires. L’investisseur a alors toute la sécurité d’une obligation et toutes les chances d’un meilleur rendement. C’est la meilleure des situations !
Dans des conditions de marché normales où la condition ci-dessus est rare, la marge de sécurité réside dans une capacité bénéficiaire (1/PE) supérieure au rendement que procurerait une obligation. Imaginons qu’une action ait une capacité bénéficiaire de 9% et que le coupon obligataire est de 4%. La marge de sécurité est alors de 5%. Une partie de cet excès sera possiblement retournée à l’investisseur sous forme de dividende.
Graham mentionne le problème que dans les conditions marché de 1972, la capacité bénéficiaire moyenne est loin d’être de 9%. Imaginons qu’un investisseur défensif arrive à constituer un portefeuille avec une capacité bénéficiaire moyenne de 8,33% (PE de 12), et que 4% lui est retourné sous forme de dividende. Il aura alors 4,33% réinvesti dans l’activité des entreprises. Lorsque l’on a des obligations d’État qui paient 5 à 7,5% sans risque, l’excès de capacité bénéficiaire semble alors trop faible pour assurer une marge de sécurité adéquate. C’est pourquoi Graham considère qu’il y a des risques réels pour un portefeuille diversifié d’actions en 1972. Bien sûr, ces risques peuvent être compensés par les possibilités d’augmentation des profits, et il se peut également que l’investisseur n’ait pas d’autre choix que de les prendre.
Mais le risque d’acheter trop cher des actions d’entreprises de bonne qualité, même s’il est réel, n’est pas la source principale de l’échec d’un investisseur. Les pertes principales pour un investisseur proviennent plutôt de l’achat d’actions de faible qualité dans des conditions d’activité favorables. Les acheteurs voient les bénéfices actuels comme la capacité bénéficiaire réelle de l’entreprise : or ce n’est absolument pas le cas, ces bénéfices sont simplement exceptionnellement hauts à ce moment-là. C’est pourquoi il est particulièrement important que la couverture des intérêts à payer et des dividendes soit testée sur un grand nombre d’années.
Investir dans les actions d’une entreprise en croissance avec une marge de sécurité est également possible. Il faut par contre projeter la croissance avec des hypothèses extrêmement conservatrices. Le danger d’un investissement dans une entreprise en croissance réside précisément ici : Wall Street a tendance à projeter une croissance phénoménale sur une très longue période de temps, et cette croissance ne peut pas être soutenue. Lorsque la croissance ralentit, l’investisseur qui a payé trop cher se retrouve avec rien.
Le concept de marge de sécurité est évident pour les nets-nets, qui se négocient avec une décote sur la valeur de leur actif courant. Lorsqu’on arrive à en avoir un portefeuille diversifié de telles situations, où l’on ne sait pas dire si le futur sera bon ou mauvais par un raisonnement logique, la marge de sécurité du portefeuille est élevée. En revanche, on évitera un net-net pour lequel on arrive à démontrer une forte probabilité de banqueroute, quel que soit son prix. D’expérience, même un faible déclin de la capacité bénéficiaire de telles sociétés ne les empêche pas d’avoir une belle performance boursière.
Le concept de diversification est fortement corrélé à celui de marge de sécurité. Même si la marge de sécurité est présente dans un investissement donné, il se peut que les choses tournent mal, parce que la marge de sécurité garantit une meilleure probabilité de profit que de perte, mais n’assure en rien qu’une perte est impossible. La diversification joue le rôle d’assurance et réduit encore plus les probabilités de pertes. Tout investisseur conservateur diversifie, et Graham y voit un début d’acceptation du principe de marge de sécurité.
La marge de sécurité est en fait la principale différence entre les investisseurs et les spéculateurs.
Graham recommande une fois encore les investissements conventionnels en obligations US et en actions de grande qualité aux investisseurs défensifs. L’investisseur entreprenant pourra s’essayer à tout l’univers des possibles, même dans les instruments de faible qualité, mais il devra toujours s’attacher à acheter à un prix très bas. Parfois, un prix très bas permet de couvrir la faible qualité et de tirer un excellent profit de la situation.
Graham conclut que le processus d’investissement est le plus intelligent lorsqu’il est le plus proche possible de l’attitude d’un businessman.
Il ne faut pas oublier que les instruments correspondent à une réalité, que les actions ne sont rien d’autres que des titres de propriété : il faut donc se conduire en tant que propriétaire responsable !
Un investisseur :
Doit savoir ce qu’il fait et maîtriser son domaine ;
Ne doit pas laisser quelqu’un d’autre investir à sa place, sauf s’il peut superviser sa performance correctement, et a de très bonnes raisons de placer sa confiance dans l’intégrité de cette personne et dans sa capacité à bien faire son travail ;
Doit se baser uniquement sur ses calculs, pas sur son optimisme ;
Avoir le courage de mettre en œuvre son savoir-faire et son expérience.
Pour l’investisseur défensif, il n’est heureusement pas nécessaire de mettre en œuvre toutes ces qualités, à condition qu’il sache limiter ses ambitions à ses capacités et déroule son plan d’investissement défensif.
Obtenir des résultats satisfaisants est plus simple que la plupart ne croient. En revanche, obtenir des résultats de qualité supérieure est plus difficile que cela n’en a l’air.
Critique de L’Investisseur Intelligent, par Serge, du blog Be Rich Corp :
Dans ce livre, Graham nous explique 3 choses fondamentales :
Comment minimiser les risques de perte irréversible de capital à long terme
Comment augmenter nos chances de gagner de l’argent en bourse pendant de longues années
Comment mieux contrôler ses émotions, qui empêchent de nombreux investisseurs d’atteindre leur potentiel maximal.
Ce livre me laisse une excellente impression pour plusieurs raisons.
Il a changé ma vie parce qu’il a très fortement contribué à en enlever les soucis de nature financière. C’est l’un des tous meilleurs livres jamais écrits sur le sujet de l’investissement, et c’est le seul à le traiter avec autant de profondeur.
Depuis que je l’ai lu, j’applique assez rigoureusement les principes exposés dans ce livre, à l’exception près de celui de la diversification, que je n’applique que lorsque j’arrive à trouver des investissements sous-évalués en nombre suffisant et que je ne comprends pas les activités des entreprises dont les valorisations me semblent attractives.
Je peux donc vous dire, d’après ma propre expérience, que ce que Graham nous explique marche parfaitement bien, même aujourd’hui. Si certains exemples et certaines mesures sont vieillots (parce que les secteurs d’activité des entreprises ont fortement évolué depuis l’écriture de ce livre), la pertinence des conseils comportementaux est toujours d’actualité. Peut-être même plus que jamais. L’affaire Penn Central ne vous rappelle-t-elle pas étrangement l’affaire Enron ? L’exemple de NVF qui absorbe l’énorme Sharon Steel ne vous rappelle-t-il pas le cas d’AOL-Time Warner ou celui d’Alcatel-Lucent ? Et toutes ces sociétés de « Cloud Computing » ou autres nouvelles technologies qui s’échangent à des multiples astronomiques de leurs profits ne ressemblent-elles pas étrangement à H & R Block à l’époque de Graham ? Et cette fameuse crise de 2008, à un moment où le PE du marché était supérieur à 30, est-elle vraiment si surprenante que cela après lecture de ce livre ?
« Plus les choses changent, plus c’est la même chose ». Le lecteur devra simplement prendre en compte le fait qu’il existe aujourd’hui beaucoup d’entreprises qui ne peuvent plus être évaluées de manière intelligente sur la valeur de leurs actifs nets courants, tout simplement parce qu’elles n’ont pas besoin de beaucoup de capital pour tourner et rapporter beaucoup de profits. Des exemples de telles compagnies sont Microsoft, IBM ou DELL. À l’époque de Graham, il y avait majoritairement des entreprises industrielles, qui ont besoin d’un capital conséquent pour fonctionner, et les valoriser sur la base de leurs actifs tangibles est très pertinent. La pertinence du ratio PE reste quant à elle parfaitement de mise, même pour ces « nouvelles » entreprises de services.
Le seul désaccord que je peux formuler sur le contenu concerne la conclusion de l’exemple de National Presto Industries dans le chapitre 18. Je pense que lorsque l’on a la chance de voir une entreprise de cette qualité s’échanger à un prix inférieur à sa valeur liquidative, il n’est pas nécessaire d’aller en chercher 10 autres une fois que l’on s’est assuré qu’elle est gérée par un management brillant. Je pense qu’il était extrêmement intelligent de concentrer une partie significative de son capital sur cette entreprise (d’ailleurs, Warren Buffett, qui est connu pour ne pas diversifier ses placements, l’a fait à cette époque). On pouvait appliquer intelligemment ce raisonnement à Apple en 2003, et aucune autre action n’était nécessaire pour s’enrichir très considérablement en 8 – 9ans (le cours de l’action a été multiplié par plus de 70 entre temps, et Apple s’échangeait en dessous de la valeur de son cash nettoyé de toutes ses dettes en 2003). Je concède que 100% peut paraître très courageux, mais 10% me paraît pour le coup vraiment trop peu. Et puis, pourquoi devrait-on passer à côté de cette opportunité de rêve si l’on ne trouve pas plusieurs compagnies dans le même cas ?
Autrement, les idées du livre sont simples et intemporelles : on ne doit jamais surpayer ce que l’on achète pour éviter de mauvaises surprises, et on s’assure contre les déconvenues en prenant une marge de sécurité importante. Nous sommes aujourd’hui bombardés de graphes et autres pseudo-informations toutes les secondes. Tout ce superflu fait oublier à l’investisseur que les actions correspondent à une part du capital d’une entreprise et que les obligations sont des emprunts consentis à l’entreprise. Ces instruments correspondent à une propriété bien réelle et ont une importance dans l’économie. Le seul fait que ce livre nous ramène à ces réalités simples et fondamentales et nous apprend à nous détacher des fluctuations du marché pour en faire un allié impose à tout investisseur sérieux de le lire.
La lecture de ce livre est un travail, peut être parfois pénible, mais, comme on dit : « no pain, no gain » ! Investir votre temps pour lire L’Investisseur Intelligent sera en quelque sorte votre premier investissement dans la valeur.
Points forts :
Graham connaît parfaitement son sujet, c’est un maître de l’investissement, qui a atteint des résultats exceptionnels au cours de sa carrière.
Le livre permet de bien comprendre la différence entre l’investissement et la spéculation
Le livre définit clairement la philosophie de l’investissement dans la valeur, utilisée par la plupart des meilleurs investisseurs du monde.
Les concepts les plus importants de l’investissement en bourse sont présentés et traités dans le détail, notamment au chapitre 8 sur les fluctuations du marché et au chapitre 20 sur la notion de marge de sécurité.
Les exemples concrets apportent énormément à la compréhension des idées véhiculées. Ils sont tous très pertinents.
Le suivi à la lettre des conseils de Graham permet d’investir prudemment et d’éviter de perdre son argent en bourse, voire de s’enrichir significativement.
Point d’entrée vers d’autres livres traitant de stratégies concrètes d’investissement dans la valeur, tel que You can be a strock market genius de Joel Greenblatt ou Margin Of Safety de Seth Klarman.
Points faibles :
Le style d’écriture lourd, parfois pompeux, peut rendre la lecture ennuyeuse par moments.
Ce livre est difficile à lire pour une personne non passionnée par le domaine ou fortement déterminée à apprendre : il n’apporte pas la passion de l’investissement dans la valeur par lui-même.
On n’apprend pas à comprendre et analyser un bilan et un compte de résultat dans ce livre. On apprend à tirer des conclusions sur les comptes une fois l’analyse faite et correctement présentée. Pour tempérer ce point, Graham annonce d’entrée de jeu que le but du livre est de nous enseigner des comportements d’investisseur, pas à apprendre l’analyse financière. Il a spécialement écrit un autre livre, L’interprétation des états financiers, pour traiter le sujet.
Graham n’évoque pas la notion de cash flow libre (Free Cash Flow), qui est pourtant le vrai bénéfice reçu par l’actionnaire d’une entreprise, et qui peut être très important en investissement. En revanche, il insiste bien sur le fait qu’il peut y avoir une forte différence entre le bénéfice annoncé par l’entreprise, et le bénéfice réel.
Graham n’insiste pas assez sur le fait qu’à prix égal, il est bon de choisir l’entreprise ayant le meilleur retour sur capitaux propres. Il le mentionne uniquement dans l’exemple d’International Harvester, qui, bien que peu chère, a un très faible rendement sur ses capitaux, et la déconseille de ce fait. L’importance de la qualité est donc partiellement éludée au profit de critères de prix tout au long du livre, alors que Graham connaît manifestement très bien le sujet au vu de l’exemple choisi. C’est l’une des clés du succès de Warren Buffett.
La conclusion sur le cas de National Presto dans le chapitre 18, où je ne vois aucun intérêt à surdiversifier.
La traduction française est beaucoup plus ennuyeuse que la version originale. La traduction est en plus inexacte à plusieurs reprises.
Avant de lire ce livre, il faut déjà avoir une idée de ce qu’est une action, une obligation, un convertible et un warrant (il suffit de regarder sur Internet, ce n’est pas un frein majeur).
La note de Serge, du blog Be Rich Corp :
pour la version anglaise
pour la version française
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