Résumé de « Apocalypse cognitive » de Gérald Bronner : écrit par un sociologue français, ce livre vous propose une plongée au cœur des questions de l’attention, des fake news et de l’avenir de la démocratie à l’heure de la révolution numérique.
Par Gérald Bronner, 2021, 386 pages.
Chronique et résumé de « Apocalypse cognitive » de Gérald Bronner
À propos de Gérald Bronner
Gérald Bronner (1969 -) est sociologue, professeur à l’Université de Paris. Il est membre de l’Académie nationale de médecine, ainsi que de l’Académie des technologies et de l’Institut universitaire de France. Il a notamment écrit :
L’Empire de l’erreur. Éléments de sociologie cognitive (2007) ;
La Démocratie des crédules (2013) ;
Déchéance de rationalité (2019) ;
Le Cabinet de curiosités sociales (2020).
Avant-propos subjectif. Une époque formidable
Après la chute du mur de Berlin, de nombreux intellectuels et politiciens pensaient que la démocratie libérale avait définitivement vaincu non seulement le communisme, mais toutes les autres formes d’idéologies. Pourtant, quelques dizaines d’années plus tard, nous voyons au contraire une multiplication de propositions concurrentes, telles que l’islamisme ou le communisme à la chinoise.
Depuis le début des années 2000, un autre fait majeur est apparu : la « dérégulation massive du marché cognitif », c’est-à-dire :
L’affaiblissement des institutions pourvoyeuses d’information et d’idéologie (université, journalisme, etc.) ;
La montée en puissance de la concurrence intellectuelle via les nouveaux moyens techniques (au premier rang desquels Internet et les réseaux sociaux).
En d’autres termes, la connaissance établie est attaquée de toutes parts. Notamment, car chacun peut aujourd’hui énoncer son opinion comme s’il s’agissait de la vérité. Pourtant, ne pouvons-nous pas espérer que la rationalité gagne la partie ? En effet, il semblerait logique que les « meilleurs arguments » l’emportent contre les opinions et les raisonnements fallacieux.
Malheureusement, ce n’est pas si sûr. En fait, « la libre concurrence favorise souvent les produits de la crédulité » (p. 17). Pourquoi ? Car c’est souvent l’argument le plus satisfaisant — celui qui offre un contentement immédiat — qui gagne la partie au détriment de la vérité objective.
Internet a considérablement fluidifié ce « marché des idées ». Mais si nous pouvons y passer autant de temps, c’est avant tout parce que « la disponibilité de nos cerveaux est plus grande » (p. 21). Nous vivons en effet dans une société où le temps libre a pris de plus en plus de place.
Mais qu’allons-nous faire de ce temps gagné sur le travail ? Où allons-nous placer notre attention ? Succomberons-nous aux plaisirs instantanés ? Ou bien serons-nous capables, au contraire, de développer notre intelligence pour faire advenir, sur le long terme, un monde meilleur ?
Selon Gérald Bronner, c’est là un enjeu collectif qui est enraciné dans notre biologie même. Nos cerveaux sont constamment tiraillés entre la recherche du profit immédiat et la planification à plus long terme.
L’auteur espère formuler une réponse à la question du devenir de l’humanité en partant de cette « anthropologie réaliste » (étude de l’homme tel qu’il est en réalité) qu’il découvre à la fois grâce aux dernières recherches scientifiques et via nos comportements quotidiens dans les mondes numériques.
Chapitre 1. Le plus précieux de tous les trésors
Les êtres humains libérés
Au début du XXe siècle encore, il paraissait clair que la science avait un rôle important à jouer dans le développement de l’humanité. D’ailleurs, celle-ci a considérablement amélioré son sort depuis ces derniers siècles.
Difficile de le nier. Que l’on pense à la santé ou à la réduction du temps de travail, on voit bien que les progrès techniques et scientifiques ont marché main dans la main avec les progrès sociaux.
Le travail et les tâches domestiques sont moins lourds aujourd’hui. Et ceci, en partie grâce à l’aide venue de robots de toutes sortes. Certes, nous ne sommes pas parvenus à une société délivrée du labeur. Néanmoins, nous avons libéré un grand nombre d’heures, que nous pouvons dédier aux loisirs ou à l’étude, par exemple.
Pour le dire autrement : notre « disponibilité mentale » s’est considérablement accrue. Nous pouvons nous immerger dans la contemplation de ce que nous voulons — nos projets, nos rêves, voire à des fictions de toutes sortes — bien plus longtemps que ne le pouvaient nos ancêtres.
Mais est-ce nécessairement un bien ? Ou plus exactement : qu’allons-nous produire, qu’allons-nous faire de « ce temps de cerveau disponible » ? Est-ce que ce fait, positif à priori, pourrait se retourner contre nous ? Telle est la question de Gérald Bronner dans ce livre.
Une autre histoire de l’humanité
L’auteur reprend ici à très grands traits les caractéristiques de l’évolution humaine. Pour en savoir plus à ce sujet, lisez Sapiens de Y. N. Harari. Vous pourrez y retrouver les mêmes étapes classiques, du chasseur-cueilleur animiste à l’agriculteur monothéiste et au surgissement des villes et de la politique.
L’originalité de Bronner consiste à insister sur le mouvement de « rationalisation du monde » produit par les sciences et les techniques :
« [C] e processus de rationalisation s’est déployé et a abouti par la maîtrise de nos incertitudes essentielles à libérer notre attention des impératifs de survie pour nous ouvrir à la contemplation d’objets mentaux. De surcroît, ce processus n’est pas achevé. La prochaine étape, qui a déjà commencé, est celle de l’externalisation de nombre de nos routines mentales par les intelligences artificielles ; aussi effrayante paraisse-t-elle, elle aboutira inéluctablement à une libération accrue de notre temps de cerveau. » (Apocalypse cognitive, p. 42-43)
Avec l’IA, c’est notre cerveau lui-même qui est prêt à être « rationalisé ». Mais, à nouveau, que ferons-nous du temps gagné ?
11 mai 1997
C’est le jour où une intelligence artificielle (Deep Blue) a battu Gary Kasparov aux échecs. Pour réaliser cet exploit, les ingénieurs des décennies précédentes n’ont plus cherché à imiter l’humain, comme cela se faisait avant. À la place, ils ont doté la machine d’une façon spécifique de jouer, basée sur la seule puissance de calcul et le stockage d’information.
Cet événement est important, car il marque la première défaite de l’homme face à l’ordinateur ; le jeu d’échecs étant considéré comme l’exemple type de ce que peut faire l’homme en matière d’intelligence.
La création et le développement rapide d’Internet et des moteurs de recherche ont donné un nouveau tournant au progrès informatique.
Externalisation
Désormais, les IA exercent une partie de nos tâches quotidiennes habituellement liées à nos capacités mentales. Gérald Bronner donne quelques exemples :
Recrutement (Applicant Tracking System ou encore Pymetric) ;
Aide à la décision juridique (LawGeex AI, par exemple) ;
Traduction (Quantmetry de Google et bien d’autres) ;
Etc.
Des économistes considèrent que 47 % des emplois pourraient être numérisés aux États-Unis au cours des deux décennies qui viennent.
Pourtant, nous aurions tort de croire que les deux intelligences se valent. L’IA a une puissance de calcul et de stockage d’information bien plus grande qu’un cerveau humain. Toutefois, elle est incapable d’« explorer l’univers des possibles » de façon réellement créative.
Gérald Bronner se veut optimiste. Peut-être que cette nouvelle étape dans la rationalisation va libérer notre cerveau pour de nouvelles tâches, plus intéressantes encore. Mais est-ce si sûr ?
Un trésor inestimable
Si notre matière grise est notre bien le plus précieux, celui qui nous permet de faire croître notre civilisation, il faut d’abord noter qu’il n’est pas infini. Des données démographiques (nombre de naissances, nombre d’habitants sur Terre, etc.) limitent tendanciellement ce « trésor ».
Par ailleurs, celui-ci peut aussi nous être volé. Comment ?
Jusqu’ici, tout va bien
Eh bien, avant de venir à ce point capital, l’auteur rappelle toute l’importance de l’éducation. Celle-ci consiste au contraire à faire grandir dans de bonnes conditions nos cerveaux, pour que nous devenions des citoyens responsables, critiques et créatifs.
La scolarisation des garçons et surtout des filles n’a cessé d’augmenter au XXe siècle. Nous pouvons donc nous réjouir de ce phénomène. Pourtant, il y a une ombre au tableau.
À dormir debout
Et c’est l’extension des problèmes d’insomnie qui peut nous révéler le problème. Selon des études scientifiques, un nombre croissant d’enfants et d’adolescents éprouvent des difficultés d’endormissement.
Pourquoi ? En grande partie à cause des écrans et de la peur de passer à côté d’un « événement » (notification, etc.) sur les réseaux sociaux. Cette crainte se nomme FOMO en anglais : fear of missing out (la peur de manquer quelque chose).
De plus en plus de jeunes (et nous, adultes, également) s’accrochent à leurs dispositifs mobiles ; ils attendent de ceux-ci qu’ils leur donnent des nouvelles de leurs proches, du monde, etc. Ils guettent avec toujours plus de crainte et de désir le nombre de likes qu’ils récoltent. Et ils sont devenus dépendants au point, parfois, de ne plus en dormir.
Lorsque tu regardes ton écran, ton écran te regarde
« [Les smartphones] sont devenus des monstres attentionnels. Ils dévorent notre temps de cerveau disponible plus que n’importe quel autre objet présent dans notre univers. » (Apocalypse cognitive, p. 79)
En 2019, nous passions en moyenne plus de 3 heures par jour à regarder nos téléphones mobiles !
Nous sommes constamment distraits par les notifications de nos téléphones intelligents. Les smonbies (contraction de smartphone et zombie) qui peuplent les rues des villes en sont un exemple. Ceux-ci peuvent créer des accidents.
Mais il y a plus grave : ce « siphonage » de notre attention génère aussi une perte drastique de créativité.
Pour autant, ce ne sont pas les écrans qui sont seuls en cause. Car ce qui se joue à travers les écrans, c’est une bataille de firmes privées pour capter notre attention en utilisant les plus vieilles dispositions mentales de l’humanité.
Chapitre 2. Tant de cerveaux disponibles !
Un « effet cocktail » mondial
Le spécialiste de la cognition Colin Cherry a formalisé le concept d’« effet cocktail » en 1953. Il a été suivi par d’autres, qui ont bien mis en évidence les choses suivantes :
Nous traitons préférentiellement un type d’information ;
La majorité des données reçues de l’extérieur sont traitées inconsciemment.
Cela signifie aussi que nous avons une « énergie mentale » limitée. En sélectionnant les informations brutes venues de l’extérieur, le cerveau cherche à la gérer de la façon la plus optimale possible.
Mais ces études cachent une autre découverte : en fait, nous surestimons notre capacité à résister à celles et ceux qui cherchent à capter notre attention. De façon spontanée, nous réagissons au moindre signal qui nous concerne ou qui est directement lié à nos désirs profonds.
Les écrans sont des intermédiaires. Le réel enjeu, c’est le « marché cognitif » dérégulé qu’offre Internet, avec toute sa « cacophonie informationnelle ». Dans tout ce brouhaha, qu’est-ce qui retient véritablement notre attention ?
Cacher ce sein
Au cours de l’histoire, la sexualité a souvent été réprimée. Il fallait cacher ce qui se passait sous les draps ou sous les vêtements. Le mariage, par exemple, a été l’une des institutions ayant contribué à réserver la sexualité à la sphère privée et à la procréation.
Pourtant, le XXe siècle a ouvert la porte à une sexualité plus débridée : des sex shops aux chaînes câblées comme Canal Plus, en passant par le Minitel et le téléphone rose, les outils techniques sont venus au service du plaisir sexuel.
Internet n’a pas dérogé à cette règle. Les vidéos de nature pornographique sont les plus vues sur le Net. Un site comme Pornhub détient un record avec 115 millions de visites par jour. Ce marché du sexe en ligne est assurément florissant. Sans aucun doute, le sexe attire considérablement notre attention.
En outre, Internet permet ce que ne permettaient pas les autres dispositifs techniques : discrétion, rapidité d’exécution (il n’y a pas à attendre pour profiter des vidéos en ligne), choix.
À lire aussi : Sébastien Bohler propose une analyse similaire dans Le bug humain.
La peur au ventre
La peur est un autre grand capteur d’attention. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une émotion profondément ancrée dans nos cerveaux, depuis la nuit des temps.
L’évolution a sélectionné les plus peureux de nos ancêtres parce que cela avait un avantage pour la survie : les plus craintifs se laissaient moins vite manger que les autres, ils étaient davantage aux aguets et détalaient plus rapidement lorsque cela était nécessaire.
Mais nous ne vivons plus dans la jungle. Cette capacité à surévaluer les signaux liés au danger et au risque ne se retournerait-elle pas contre nous aujourd’hui ? C’est ce que pense Gérald Bronner.
Pourquoi ? Car nous sommes en proie à l’utilisation de cette peur par des personnes qui veulent attirer notre attention, qu’il s’agisse de nous faire adhérer à leurs idées (politique) ou de nous faire acheter des produits et services (commerce).
La « paranoïa positive » de nos prédécesseurs se transforme en une paranoïa parfois, voire souvent injustifiée qui fait le lit des théories des complots et des arnaqueurs en tout genre.
« Ces alertes incessantes créent un embouteillage des craintes, car les démentir prend du temps », dit encore l’auteur. Autrement dit, la peur croît plus vite que la raison, et le développement d’arguments et de preuves pour défaire la peur requiert plus d’énergie qu’il n’en faut pour créer des discours paranoïaques.
L’emprise de la peur a des effets négatifs sur nos comportements :
Nous n’allouons pas correctement les ressources où elles devraient l’être (par peur, nous faisons des choix irrationnels qui contredisent nos objectifs) ;
Nous n’osons plus agir (nous nous interdisons des possibilités d’action qui pourraient être bénéfiques pour nous ou pour le collectif) ;
Elle peut aussi nous conduire à vouloir la mise en place de pouvoirs plus autoritaires, sur le plan politique.
La lutte des clashs
Il y a un autre phénomène qui capte, sans que nous ne le recherchions nécessairement, notre attention : les conflits. Ceux-ci, petits ou grands, excitent nos sens, car ils renvoient à des schémas de notre « nature humaine ».
Les sentiments de colère et l’indignation sont liés à la lutte pour le pouvoir et au besoin de distinction ou de justice sociale. Les temps présents sont saturés par ces conflits en tout genre, des Gilets Jaunes jusqu’aux plus petits « clashs » opposant des influenceurs ou des vedettes sur les réseaux sociaux.
En raison de l’anonymat qu’il permet, le monde numérique est un environnement propice à l’explosion de ces humeurs. C’est ce que le chercheur John Suler nomme la « désinhibition numérique ».
Trois autres facteurs entrent en jeu :
Des études montrent que nous sommes naturellement portés à nous considérer comme supérieurs aux autres.
Les réseaux sociaux simplifient souvent les problèmes en favorisant des oppositions binaires entre personnes plutôt que des discussions argumentées.
Internet crée une envie irrépressible de se rendre visible, et même plus visible qu’autrui.
Pour Gérald Bronner, l’un des phénomènes corrélatifs contemporains de tout cela est ce qu’il nomme l’« hyper-conséquentialisme » et l’« épidémie de sensibilité ». L’idée centrale consiste à dire que chacun devient extrêmement sévère au sujet des actions menées par autrui et de leurs conséquences possibles. Chacun devient le juge de l’autre. Et la seule façon de s’en tirer est de se revendiquer « victime » d’une injustice.
Vous ne devinerez jamais de quoi ce chapitre va vous parler
Voilà un autre appât pour notre attention : la nouveauté. Même si nous aimons la routine et la sécurité, nous sommes aussi des êtres curieux. Et nous en voulons toujours plus. La nouveauté doit toujours être plus surprenante, plus forte, voire plus choquante.
Qui dit nouveau dit « danger », mais aussi « opportunité ». C’est dans cet entre-deux que notre curiosité se faufile et prend plaisir à se laisser happer. De façon triviale, c’est ce mécanisme qui est en jeu dans les sites et les articles dits « putaclic » (ou clickbait, en anglais).
En fait, ce genre d’articles suit un cheminement bien connu :
Intensité (une promesse forte apparaît dans le titre) ;
Impulsivité (vous cliquez) ;
Déception (le contenu de l’article est pauvre et sans intérêt).
Ce type de mécanisme est à rapprocher des mécanismes mentaux de l’addiction. Or, malheureusement, de plus en plus de médias « se laissent aller » à ce genre de pratique, selon Gérald Bronner.
Les applications de rencontres et les réseaux sociaux agissent également de la sorte. Ils ajoutent dans vos routines et vos préférences des profils ou des propositions de contenu qui ne vous correspondent pas forcément, mais qui pourraient bien attirer votre œil. Cela vous laisse éveillé et maintient votre intérêt.
L’exploration des possibles (que l’auteur distingue des récits utopiques classiques) est l’une des grandes qualités de l’humanité. C’est pourquoi nous devons prêter attention à ne pas laisser certains esprits attirés par le gain ou l’idéologie nous voler cette aptitude.
Self sévices
Les selfies tuent parfois et cela a un nom : les « selficides ». Ce sont des personnes qui, par mégarde, se tuent en voulant faire la meilleure photo possible. C’est l’un des effets de la « compulsion photographique » qui s’est emparé des sociétés et tout particulièrement des plus jeunes d’entre nous.
Certains paysages sont devenus littéralement infréquentables en raison de la masse incessante d’utilisateurs d’Instagram ou de TikTok cherchant à se faire photographier à l’endroit parfait.
Pourquoi agir ainsi ? Par souci de visibilité, certainement. Nous voulons nous montrer au meilleur de nous-mêmes — et en fait, nous recherchons la comparaison sociale et l’approbation d’autrui. Bien sûr, nous ne sommes pas tous influenceurs professionnels. Il n’empêche qu'il y a une accoutumance aux likes produits par ces photos.
La jalousie et la frustration sont des sentiments puissants qui peuvent s'amplifier par ces pratiques. Des études montrent que nombre d’entre nous pensent avoir une vie moins bonne ou intéressante que celle de nos amis ou congénères.
En fait, nous nous comparons à la fois avec ceux qui ont moins (et cela nous procure plus de bien-être) et avec ceux qui ont plus (et cela nous procure de la frustration). Nous voulons au minimum avoir la même chose que ceux qui ont plus, voire pourquoi pas davantage.
Il est fréquent que cette frustration se mue en colère sur les réseaux sociaux ou en actions politiques. L’auteur donne l’exemple du hashtag #guillotine2020 qui a touché certaines célébrités habituellement adulées. Qu’est-ce qui a indigné les gens ? Le fait qu’elles se permettent de donner des conseils lors du confinement, alors qu’elles vivaient dans des villas de luxe. Dans ce cas, leur popularité s’est retournée contre eux.
De façon plus générale, chacun cherche désormais à augmenter son « capital de visibilité » ou de notoriété pour échapper à la gêne et à la frustration. Mais contrairement aux pratiques d’hier, les réseaux sociaux d’aujourd’hui rendent possible une objectivation claire et nette de cette popularité via les likes et autres notifications reçues.
L’ancien président de Facebook ne le cache même pas : la plateforme a été conçue de telle manière à créer « une boucle sans fin de validation sociale », dit-il (cité dans Apocalypse cognitive, p. 188).
Révélation
Le terme « apocalypse » a des origines latines qui renvoient à l’idée de « révélation ». Avec le titre de cet ouvrage, Gérald Bronner ne prétend donc pas tant annoncer la fin des temps, que proposer une « révélation » sur notre condition contemporaine.
Plus exactement, il affirme que les comportements observés sur Internet et les réseaux sociaux nous révèlent clairement et distinctement une grande part de nous-mêmes. Nous nous voyons tels que nous sommes au grand jour.
C’est ce qu’il appelle une « anthropologie réaliste » de l’espèce humaine, par opposition à une anthropologie (c’est-à-dire un discours sur l’humain) « naïve », qui prendrait ses désirs (d’homme parfait, bon, etc.) pour des réalités.
Les traits énoncés dans les sections précédentes (appétit pour le sexe, la distinction sociale, la nouveauté, etc.) apparaissent de façon encore plus saillante depuis la création d’un « marché cognitif » dérégulé (la libre production et circulation d’information permise par Internet).
Nous ne pouvons pas pour autant en conclure que nous ne sommes que cela — des êtres accoutumés, drogués aux stimulations sexuelles, sociales, etc. Mais sommes bien autre chose et notre cerveau est capable de bien plus.
Il nous faut donc apprendre à regarder en face cette réalité et résister aux intérêts de ceux qui voudraient que nous nous y réduisions.
Éditorialiser le monde
L’éditorialisation désigne le fait d’apporter un angle à un fait brut ou, pour le dire autrement, de créer un récit autour des faits eux-mêmes — c’est-à-dire une mise en relation. C’est ce que font tous les jours les journalistes et autres métiers de l’information.
Pour Gérald Bronner, l’éditorialisation du monde consiste à capter durablement l’attention via la création de récits qui nous convainquent. Il s’agit de créer des histoires dans lesquelles nous puissions nous reconnaître.
Dans un marché dérégulé de l’information, ce ne sont plus tellement les professionnels de l’information qui ont la main sur ce processus. Il se réalise notamment via les algorithmes qui proposent des posts semblables aux personnes sur leurs fils d’actualité.
Résultat ? Les gens se retrouvent dans une position d’« insularité cognitive ». En effet, ils ne consomment que ce en quoi ils croient déjà et chassent de leur vue toute diversité. Leur perception du monde s’en trouve réduite.
C’est ce qui est également nommé le biais de confirmation. Nous tenons d’abord pour vrai et pour désirable ce que nous connaissons déjà ou qui correspond à nos autres croyances.
Pourtant, la recherche de visibilité et de comparaison génère aussi un effet inverse à celui de l’insularité cognitive : l’uniformisation des contenus accompagnée, tendanciellement, par la baisse de leur qualité.
La vérité ne se défend pas toute seule
Une théorie du complot s’est développée à partir du début de la pandémie, en mars-avril 2020. Certains ont affirmé un lien de causalité entre implantation d’antennes-relais de 5G et foyers épidémiques de Covid-19.
Des cartes montrant cette « causalité » ont circulé sur Internet. Dans toute l’Europe, plusieurs groupes de personnes ont incendié des antennes-relais pour manifester leur frustration.
Or que remarque-t-on avec un peu d’attention ? Qu’il s’agit là d’un effet de corrélation et non de causalité. Il y a un troisième élément que les auteurs et les adeptes de cette théorie n’ont simplement pas vu (ou voulu voir) : foyers épidémiques et établissement de la 5-G sont liés par le fait qu’ils ont prioritairement lieu dans de grandes villes, à la densité de population importante, car :
C’est là où le virus se développe le plus vite ;
Et c’est aussi là où les tests pour le développement de la 5G sont effectués en priorité.
Ce cas donne donc l’exemple d’un type de raisonnement faux. Mais il est aussi intéressant parce qu’il s’est diffusé à grande vitesse, captant l’attention de toujours plus de personnes potentiellement intriguées par les images et les affirmations proposées.
Or, comme nous l’avons déjà indiqué un peu plus haut, démentir ce type de théorie coûte plus d’énergie et de temps qu’il n’en faut pour les créer et les diffuser. C’est pourquoi l’auteur affirme que « la vérité ne se défend pas toute seule » : face aux théories du complot, elle doit être défendue avec vigueur.
Mais pourquoi donc, sur le marché des informations, la crédulité bénéficie-t-elle d’un avantage concurrentiel sur la vérité ? Car elle se fonde sur les « mécanismes les plus intuitifs de notre esprit » tels que les préjugés (raciaux, etc.), les biais cognitifs et l’effet de surprise.
En outre, cette crédulité a tendance à se répandre encore plus rapidement lorsqu’elle est poussée au-devant de la scène par des personnalités reconnues. Et c’est encore pire lorsqu’elles ont le pouvoir. Nous l’avons tous constaté avec les allégations navrantes d’un Donald Trump ou d’un Jaïr Bolsonaro.
Chapitre 3. L’avenir ne dure pas si longtemps
La tête effroyable
Cette anthropologie réaliste — c’est-à-dire cette image de nous-mêmes en tant qu’humain — qui nous est révélée par nos usages d’Internet n’a rien de reluisant. Gérald Bronner la compare à la tête coupée de la Méduse, célèbre figure mythologique.
Que faire de cette connaissance ? Plusieurs interprétations ou façons de s’y rapporter cohabitent.
Misanthropie : cette image est bien réelle et c’est tout ce que nous pouvons attendre de l’homme. Bref, celui-ci n’est capable de rien de bon et nous ferions mieux d’abandonner l’idée de le changer.
Néo-populisme : la vérité révélée par la dérégulation du marché cognitif est bel et bien la vérité de nos démocraties. C’est la vérité du peuple ou plus exactement de la majorité, et donc celle que nous devons prendre en compte pour fonder nos politiques.
Théorie de l’homme dénaturé : Cette anthropologie peu flatteuse n’est que superficielle. Derrière se cache une anthropologie plus réelle d’un homme bon. En fait, le mal vient de l’extérieur. C’est la société et plus particulièrement le capitalisme qui dénature, qui fourvoie l’humanité.
La première position refuse toute posture politique réelle et est, très probablement, le fruit d’une déception, c’est-à-dire d’un espoir contrarié en l’homme (et en ce sens, elle peut être vue comme une conséquence ou un résultat de la troisième position).
Les deux autres postures proposent des récits plus construits et, surtout, qui jouent un rôle majeur sur l’échiquier politique contemporain. Le néo-populisme est le récit des extrêmes de droite comme de gauche, tandis que la théorie de l’homme dénaturé est brandie par les tenants du socialisme principalement.
L’auteur veut, quant à lui, affirmer une autre position. Selon lui, si nous avons bien sûr envie de contester cette anthropologie réaliste, nous devrions plutôt commencer par la reconnaître comme vraie, puis apprendre à la domestiquer afin de la dépasser.
L’homme est un être impulsif, dominé par ses besoins essentiels. Mais il n’est pas que cela. Il peut être bien autre chose — un être créatif, animé par le désir de vérité et de justice sociale — pour peu que son temps de cerveau disponible (son attention) soit utilisé à bon escient.
Pour aller un peu plus loin dans cette analyse, Gérald Bronner propose d’analyser en détail la théorie de l’homme dénaturé, puis celle du néo-populisme, avant de revenir sur ses propres conclusions.
Le goût des nôtres
Selon l’auteur, la théorie de l’homme dénaturé affirme les deux choses suivantes :
« Si on leur en donnait l’occasion, les gens consommeraient des produits informationnels de qualité. »
« Les médias et les publicitaires créent des besoins de toutes pièces. En termes économiques, c’est l’offre (les propositions de produits) qui crée la demande (les gens apprennent à vouloir ce qui leur est proposé). »
Gérald Bronner se dresse contre ces arguments. Pour contester le premier, il se réfère à l’histoire de la télévision, des radios libres et d’Internet. Que voit-on à chaque fois ? Eh bien que les gens finissent toujours par préférer des contenus peu exigeants, même lorsqu’une offre riche et diversifiée est initialement proposée.
Autrement dit, ils vont naturellement vers des contenus informationnels qui les séduisent et les contentent rapidement. La chaîne TF1, par exemple, est le plus souvent préférée à Arte, même si les gens affirment régulièrement le contraire.
Cela mène le sociologue vers la critique du deuxième argument. Il n’est pas vrai que les besoins sont créés de toutes pièces par l’offre publicitaire et médiatique. En fait, ces besoins préexistent bel et bien à leur mise en forme. Le marché ne dénature pas l’homme, il le révèle à lui-même.
Gérald Bronner en profite pour réaffirmer et préciser sa thèse principale :
« La tête effroyable de Méduse nous est donc présentée, et nous pouvons l’observer à travers les reflets des traces multiples que nous laissons dans le monde numérique. Celles-ci ne permettent pas de dresser une image totalement fidèle de ce que nous sommes mais esquissent en creux des réalités incontournables. » (Apocalypse cognitive, p. 260)
Nous aurions tort, selon lui, de nier que nous avons des « préférences cognitives générales » qui vont dans le sens d’une distraction facile. Nous devons au contraire partir de cette réalité pour travailler à un progrès de la raison.
L’homme dénaturé
Dans cette section, l’auteur va plus loin sur le sujet en s’attaquant à certaines des théories les plus en vue en matière de critique sociologique et philosophique. Il passe en revue des auteurs importants qui, d’une manière ou d’une autre, jouent selon lui sur l’idée d’un « homme dénaturé » par le capitalisme et les médias :
La théorie présentée dans L’idéologie allemande (un livre de Marx) ;
L’École de Francfort (dite aussi Théorie critique), héritière de Marx ;
La philosophie de Guy Debord (auteur de La Société du spectacle) ;
La sociologie de Pierre Bourdieu (un important sociologue français du XXe siècle) ;
La théorie de Noam Chomsky et Edward Herman proposée dans La fabrique du consentement (Noam Chomsky est un philosophe et linguiste mondialement connu) ;
Et aussi les théories de la décroissance (mouvement théorique et militant d’écologie radicale).
Sa critique centrale est la suivante : ces récits renoueraient avec un discours religieux en supposant un état adamique de l’humanité avant la corruption. Or il s’agirait plutôt d’apprendre à faire avec nos compulsions, sans aucune garantie d’un retour à une soi-disant « pureté initiale ».
Sur un plan plus formel, Gérald Bronner conteste également :
Le lien de causalité établi par la majorité de ces auteurs entre les prétendues causes (les médias formatent nos goûts) et les prétendus effets (nous sommes incapables de vouloir autre chose que ce qui nous est proposé par ces médias).
L’idée selon laquelle les mass-médias agiraient de concert et intentionnellement dans le but de manipuler les foules.
Le prix à payer
Croire en une nature invariablement bonne de l’homme, comme le font les tenants de la théorie de l’homme dénaturé, est non seulement faux sur le plan scientifique, mais aussi dangereux sur le plan politique, selon Gérald Bronner.
Pourquoi ? Car cela porte à penser que l’avenir est entièrement ouvert à tous les possibles et en particulier à toutes les utopies. Or, l’histoire montre qu’aucune utopie concrète, parfaitement égalitaire, libérée des entraves du marché ou des distinctions sociales n’a jamais fonctionné très longtemps.
À chaque fois, ces tentatives de construire un monde meilleur ici et maintenant échouent. Notamment car elles se retrouvent invariablement aux prises avec les traits fondamentaux que nous avons vus dans les chapitres antérieurs. Les aspirations individuelles de chacun font éclater la dynamique du groupe.
Par ailleurs, la volonté de vivre sans institutions intermédiaires, comme y sont portés les anarchistes, ne fonctionne guère. Les relations interindividuelles ne peuvent se maintenir qu’en très petit comité ; au-delà, des « tiers », tels que la police, doivent être créés pour maintenir la cohésion de l’ensemble.
Mensonge privé, vérité publique
Comme le montrent nos préférences en termes d’information, nous préférons ce qui nous concerne de près à ce qui arrive au loin. Vous serez probablement plus choqué par un attentat à Bruxelles que par un acte terroriste à Beyrouth.
En fait, nous sommes souvent conduits par des intérêts égoïstes. Et même si nous avons des pensées égalitaires et que nous souhaitons combattre les injustices, nous sommes au quotidien plutôt conduits par nos désirs individuels — quitte à ce qu’ils aient des conséquences inégalitaires.
En tant qu’individus, nous agissons, dit Gérald Bronner, comme des acteurs stratégiques qui tentent de concilier leurs intérêts matériels et symboliques » (p. 291).
En d’autres termes, nous sommes souvent tiraillés, en proie à des dilemmes tels que : « Quelle action dois-je accomplir maintenant ? Dois-je me soumettre, dans un souci d’équité, au principe de la carte scolaire pour le choix de l’école de mon enfant ? Ou bien vais-je choisir de frauder pour lui offrir la meilleure éducation possible dans une autre école ? »
Il se trouve que nous choisissons souvent la deuxième option, tout en affirmant haut et fort être « pour » la première. L’auteur résume ainsi une étude menée par un chercheur italien : « nous nous imaginons souvent avoir des appétits plus nobles que ceux qui nous animent en réalité » (p. 293).
Or, nos usages des technologies de l’information ne nous permettent plus de mentir durablement sur ce point. Les traces que nous laissons de nos passages sur des sites ou des décisions que nous avons prises y sont stockées et sont accessibles aux algorithmes qui se chargent de nous aider à l’action.
Lorsque cette aide concerne les livres et l’offre culturelle (suggestions de livres à lire, par exemple), nous pouvons nous inquiéter que les algorithmes qui suivent nos traces aient tendance à nous proposer de plus en plus de contenus de faible qualité.
Mais c’est plus grave encore lorsque les algorithmes génèrent — à partir des traces que nous laissons dans le monde numérique — des inégalités ou des discriminations patentes. Dans ce cas, ceux-ci ne jouent plus leur rôle de régulateurs neutres et objectifs de nos désirs individuels ; au contraire, ils les amplifient jusqu’à l’inacceptable.
Les néo-populismes
Gérald Bronner souhaite également s’opposer à une autre théorie que celle de l’homme dénaturé. Il s’agit du néo-populisme. Selon cette conception, le peuple doit prendre le pouvoir et mettre dehors les élites corrompues.
Ce courant s’appuie sur un discours démagogique. C’est-à-dire un type de « politique par laquelle on flatte, on excite les passions des masses » (Le Robert, cité dans Apocalypse cognitive, p. 298). Les sentiments et les jugements à l’emporte-pièce sont mis en avant au détriment du raisonnement.
Donald Trump est un bon exemple d’homme politique néo-populiste. Ses prises de parole sont constamment animées par les affects et les préjugés. Autre caractéristique typique : il cherche à parler directement au « peuple » en passant par les réseaux sociaux plutôt que par les intermédiaires traditionnels.
Les néo-populismes montent en puissance dans de nombreux pays. Et ils véhiculent une image de l’humanité qui correspond à ce qui est révélé par nos usages d’Internet. Mais contrairement aux tenants de la théorie de l’homme dénaturé, ils ne la remettent pas en question. Ils l’acceptent et la revendiquent même.
« Cette logique conduit à accepter un modèle politique qui rabat peu à peu notre humanité sur des cycles addictifs, des automatismes mentaux et des réponses-réflexe qui étendent leur empire à mesure que la dérégulation du marché cognitif accroît le sien. Les néo-populistes donnent donc une légitimité aux externalités négatives du marché cognitif et, réciproquement, celles-ci alimentent leurs forces électorales. » (Apocalypse cognitive, p. 305-306)
La bataille des récits
Nous consacrons beaucoup de temps à nous plonger dans des œuvres de fiction, que ce soit par des livres ou des séries télévisées. Ce besoin de fiction est essentiel à l’humanité. Pourquoi ? Parce que nous voulons donner du sens à notre environnement et que c’est ce que les histoires font.
Gérald Bronner distingue 3 types de relations entre le réel et la fiction (ou les récits, plus largement) :
La coïncidence : lorsque la fiction anticipe des aspects de la réalité et que nous trouvons cela étonnant.
L’orientation : quand la fiction donne des idées aux scientifiques et aux ingénieurs pour créer de nouveaux objets techniques.
L’éditorialisation du monde : c’est-à-dire le phénomène par lequel un sens est donné aux événements séparés de la vie, nous fournissant un cadre d’interprétation.
Ces derniers types de récits peuvent devenir performatifs. C’est-à-dire engendrer une réalité du simple fait que les personnes croient en eux. L’auteur donne l’exemple de l’électro-sensibilité. Selon lui, les personnes sujettes à ce trouble sont tellement convaincues par l’effet néfaste des ondes magnétiques qu’elles développent des maux de tête et des gênes bien réelles.
Les récits captent notre attention et nous amènent à penser d’une certaine manière, qui peut devenir nocive si nous n’y prenons pas garde. Les récits politiques ou idéologiques ne font pas exception à la règle ; ils sont même, au contraire, de grands pourvoyeurs de sens collectif.
C’est le cas de la théorie de l’homme dénaturé et des néo-populismes. Et c’est bien pourquoi Gérald Bronner veut les mettre en question. Selon lui, « il convient de créer un espace narratif et analytique entre ces deux pentes » (Apocalypse cognitive, p. 324).
En d’autres termes, il se propose de faire valoir un troisième récit : celui du rationalisme ou du « néo-rationalisme ». Celui-ci prend sa source dans la philosophie des Lumières et doit être renouvelé à l’aune de l’apocalypse cognitive (la révélation de nos comportements par la dérégulation du marché cognitif).
Conclusion. La lutte finale
Le paradoxe de Fermi (du nom du physicien, prix Nobel de physique en 1938, qui le formula) pose la question suivante :
« Si les civilisations extraterrestres sont potentiellement si nombreuses, pourquoi ne nous ont-elles pas contactés et pourquoi n’avons-nous pas de preuves tangibles de leur existence ? » (Apocalypse cognitive, p. 332-333)
Selon le physicien italien et quelques autres chercheurs après lui, il est en effet étonnant qu’aucune intelligence extraterrestre n’ait cherché à nous contacter, car selon toutes probabilités, la vie doit avoir émergé ailleurs dans l’univers.
L’une des réponses les plus plausibles est que ces civilisations n’ont pas atteint « l’étape de maturité » suffisante pour explorer l’espace et prendre contact avec d’autres formes de vie. Les civilisations, terrestres comme extraterrestres, seraient par nature très instables.
Selon Gérald Bronner, nous pourrions bien nous-mêmes être à un tournant, dans la mesure où nous sommes à la fois :
La seule civilisation connue à explorer l’espace et à s’être doté d’institutions internationales pour réguler les guerres et les défis mondiaux ;
Mais nous sommes aussi en proie à des dangers inédits, potentiellement fatals pour l’ensemble de l’humanité (changement climatique, épuisement des ressources, armes de destruction massive, etc.).
Serons-nous capables de dépasser ce « plafond civilisationnel » en misant sur nos capacités intellectuelles ? Pour cela, il faudra que nous en prenions soin et que nous sachions les développer de manière collective.
Comme il a déjà été dit, la matière grise n’est pas une ressource illimitée. Elle l’est d’autant moins que le nombre d’hommes et de femmes sur Terre se stabilisera autour des années 2100, si l’on en croit les démographes.
C’est pourquoi nous devons à tout prix empêcher le « cambriolage attentionnel » réalisé par la dérégulation du marché cognitif et Internet. La réalité virtuelle et des initiatives comme le métavers pourraient bien amplifier le processus de « capture » de notre intelligence, de notre créativité et de notre attention.
Pour conserver ces précieux biens, nous devrons apprendre à mieux agencer nos besoins à court terme (dont se servent ceux qui veulent capturer notre attention et nous accoutumer) et nos attentes à long terme. Les premiers ne sont donc pas à bannir absolument, car également utiles à la vie. Mais, il faut contrebalancer avec des objectifs plus lointains.
Comment faire ? En mettant en œuvre des politiques qui considèrent la préservation et la fructification de ce trésor comme la priorité essentielle.
Pour une autre défense du progrès et de la rationalité, voir aussi la chronique du livre de Hans Rosling, Factfulness.
Méduse, Le Caravage, Galerie des Offices, Florence
Conclusion sur « Apocalypse cognitive » de Gérald Bronner :
Ce qu’il faut retenir de « Apocalypse cognitive » de Gérald Bronner :
Pour Gérald Bronner, l’humanité est à un tournant.
Ce qu’il appelle la dérégulation du marché cognitif — à savoir la possibilité pour chacun d’émettre et de recevoir des informations, grâce aux technologies numériques — a révélé une part encore largement cachée de notre nature. Nous voyons maintenant, sans aucun doute possible, que nous sommes fragiles et largement attirés par les contenus qui flattent nos instincts les plus bas : sexualité, conflit, etc.
Cette image ainsi révélée de nous-mêmes — qu’il nomme « apocalypse cognitive » — peut effrayer, mais ne doit pas nous laisser inactifs. Nous sommes bien cela (contrairement à ce que pensent les théoriciens de l’homme dénaturé), mais nous ne sommes pas que cela (contrairement à ce que pensent les néo-populistes).
Une attitude plus saine consiste, pour Gérald Bronner, à réaffirmer la valeur de la rationalité et de la philosophie des Lumières, qui voyait en l’Homme un être libre et intelligent, capable de construire son avenir grâce aux sciences et aux techniques, tout en se dotant d’institutions justes.
Ce projet rationaliste ou néo-rationaliste doit être revivifié afin de conjurer les dangers qui nous guettent, au premier rang desquels figure évidemment le « cambriolage attentionnel » organisé par certains géants du web, mais aussi les idéologues de tous poils.
Pour l’auteur, donc, ce n’est qu’en pariant sur la raison que nous pourrons, peut-être, développer suffisamment la civilisation humaine afin de soigner la Terre, conquérir les étoiles et communiquer avec des êtres venus d’ailleurs.
Points forts :
Un livre ambitieux, mais qui reste assez simple à lire ;
Vous apprendrez beaucoup de choses sur les neurosciences, ainsi que sur les sciences humaines ;
Une organisation claire des chapitres ;
Un ouvrage qui fait réfléchir, quelle que soit la position (d’accord, pas d’accord, moyennement d’accord) que vous adoptiez finalement avec les thèses de l’auteur.
Point faible :
Je n’en ai pas trouvé !
Ma note :
★★★★★
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