Je suis allé récemment au séminaire de la Product Launch Formula (le produit américain qui a démarré le phénomène des superlancements) en Arizona, et, comme l’année dernière, Jeff Walker a instauré un petit jeu pour motiver les participants à ne pas trop tarder pour revenir à leurs places après les pauses : si quelqu’un arrivait en retard, il devait verser 20$ dans un panier, qui allait ensuite être versé à une association caritative. Cette association a attiré mon attention, car j’ai trouvé le concept vraiment génial. Il s’agit de Kiva, un site qui met en relation les personnes des pays riches (vous) avec les entrepreneurs des pays pauvres, très simplement, permettant aux premiers de prêter de l’argent aux seconds pour les aider à démarrer un projet ou développer ou consolider leur petite entreprise. Souvent les sommes sont ridicules par rapport aux sommes nécessaires pour créer ou développer une activité dans les pays développés, car le coût de la vie dans les pays en voie de développement est bien moindre. C’est le principe des microcrédits, et Kiva le démocratise en permettant à tout un chacun de participer.
Akouvi, une entrepreneuse Togolaise de 31 ans, devant le stock de son magasin Encourager l’entreprenariat plutôt que l’assistanat Si je trouve ce concept si génial, c’est que je trouve que dans le monde humanitaire et caritatif, l’accent est trop mis sur le “dépannage” et l’assistanat plutôt que l’éducation, l’autonomie et le long terme. Le vieux proverbe “il vaut mieux apprendre à pêcher à quelqu’un plutôt que de lui donner un poisson” n’est malheureusement pas assez appliqué. Par exemple, j’ai réagi il y a peu à la louable initiative d’Aurélien Amacker sur son blog. Il a participé à une action consistant à construire des maisons pour des gens pauvres vivant dans des bidonvilles dans les environs de Bogota. Avec une équipe de 5 volontaires, il a construit une petite maison pour Rosa, une femme qui élève seule sa fille de 12 ans et qui vivait dans ceci :
En trois jours les 6 personnes terminent la construction de la maison, aidées le dernier jour par des voisins et des membres de la famille (une douzaine de personnes en tout). Dans le commentaire que j’ai posté en dessous de cet article, j’expliquai que j’ai participé à un chantier archéologique près de Nantes, et que certains archéologues travaillaient à la construction d’une maison en bois du Néolitique en utilisant les techniques d’époque. La maison était très grande, pouvant accueillir une famille entière, et servait aussi d’entrepôt. L’archéologue en chef m’avait expliqué que les traces de plusieurs de ces maisons ont été retrouvées, et qu’à priori il suffisait de quelques jours à un village de plusieurs dizaines d’habitants pour en construire une. Ces maisons se construisaient il y a plus de 6000 ans, avant la découverte du métal – donc sans clous – et en utilisant évidemment que des éléments naturels locaux. Il est probable que tout le monde dans le village ou presque savait comment en construire une.
La maison néolithique d’Auneau, capable d’abriter une famille et de servir de grenier D’après la vidéo de la maison terminée qu’Aurélien a publiée sur son blog :
On peut voir que c’est une maison plus petite que la maison que les villageois du Néolithique construisaient il y a plus de 6000 ans ensemble, avec certes sans doute une meilleure isolation et… des vitres ! Mais si des gens savaient bâtir par eux-mêmes des maisons capables de les abriter en utilisant des matériaux locaux il y a plus de 6 000 ans, pourquoi n’en serait-il pas de même aujourd’hui ? Ces maisons n’auraient évidemment pas le standard de confort des habitations des pays développés, mais seraient largement mieux que les “boîtes” dans lesquelles de nombreuses familles vivent. De plus, on voit bien dans le récit d’Aurélien qu’il n’a fallu que 3 jours pour une équipe allant de 6 à 12 personnes pour construire la maison, alors même que la plupart n’avaient jamais construit de maison auparavant. Construire une telle maison ne semble donc pas d’une difficulté technique insurmontable. Je me pose donc la question suivante : pourquoi n’apprend-on pas à ces gens à construire leurs maisons plutôt que de la construire pour eux ? En effet, leur donner une maison a au moins deux corolaires négatifs :
L’ayant reçu en cadeau, contre “une somme symbolique”, la famille ne va en général pas autant en prendre soin que si elle l’avait bâti de ses propres mains. C’est une tendance humaine universelle de valoriser davantage ce dont que nous avons payé, en argent, temps et sueur, que ce qui nous est tombé tout cuit dans les mains. J’en discutai récemment avec un entrepreneur français qui a longtemps travaillé dans l’humanitaire, notamment en Irak et en Jordanie, et il m’a confirmé qu’en général, ce genre d’habitations offertes se détériorent vite. Quelque part, dans l’esprit de la personne qui reçoit une telle maison, naît la pensée suivante : “je suis pauvre, donc je gagne une maison”. Croyez-vous que ce type de “cadeaux” la motive directement à s’éduquer, sortir de sa pauvreté et s’en sortir ? C’est là le principal problème de l’assistanat : insidieusement, il encourage les gens à ne pas se bouger, à rester pauvres comme ils le sont car de toute façon, “quelqu’un s’occupera d’eux”. C’est l’une des raisons pour laquelle le Guide du Routard déconseille de donner de l’argent aux enfants en Inde : cela les encourage à continuer à mendier plutôt que d’aller à l’école. En fait, le Guide du Routard recommande même de ne pas donner de l’argent en général aux mendiants, et de se concentrer plutôt sur ceux qui ont le plus de difficultés à travailler, comme les vieux ou les infirmes, ce que je trouve tout à fait intelligent.
C’est pour cela que je suis contre l’assistanat et que je pense qu’il est bien plus préférable à long terme d’encourager les gens à être autonomes et à sortir de la misère en créant eux-mêmes de la valeur, pour eux et pour les autres, créant des entrepreneurs plutôt que des assistés. Evidemment, cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas assister les gens en cas d’urgence, ou que l’on ne puisse pas céder à la pitié pour donner un coup de main ici ou là. Par exemple, lors de la grande famine en Ethiopie en 1984, le monde entier s’est mobilisé pour aider les habitants affamés et leur envoyer de la nourriture. Cette aide a sauvé des milliers de vies, mais n’a en aucun cas résout les problèmes qui ont causé cette famine. Les forces politiques sont restées en place, l’agriculture est restée rudimentaire, les infrastructures inexistantes. A un niveau plus modeste, lors de mon séjour en Inde avec ma copine, nous avons trouvé qu’acheter à manger pour les enfants était un bon équilibre entre les aider et les enfermer encore plus dans la spirale de la mendicité. Mais l’idéal est plutôt d’encourager le développement de l’éducation (écoles, bibliothèque) et surtout le développement de l’entreprenariat, en soutenant la création et le développement des entreprises locales. Et c’est pour cela que je trouve l’initiative de Kiva extraordinaire : elle aide concrètement des milliers de personnes à apporter de la valeur pour elles, les gens autour d’elles et leurs pays en leur proposant des prêts qu’ils auraient eu beaucoup de difficultés à trouver. Pas des dons. Des prêts. Qui n’ont donc pas les désavantages liés aux dons que j’ai évoqué plus haut. Comment fonctionne Kiva ? C’est très simple :
Vous vous inscrivez gratuitement (vous pouvez même vous loguer avec votre compte Facebook) Vous choisissez un projet, en fonction de divers critères (pays, type de projet, montant, qualité du partenaire local qui effectuera le prêt, taux d’intérêt, etc.) Vous faites un prêt, qui peut aller de 25$ à ce que vous voulez (jusqu’à concurrence du montant maximal demandé) Vous payez avec Paypal (facultatif) Vous partagez votre prêt sur Facebook ou Twitter pour inciter vos amis à participer à Kiva eux aussi Quand le prêt aura été remboursé, vous pouvez
Demander à ce qu’il vous soit remboursé. Dans ce cas l’aide que vous avez apportée ne vous a pas coûté un centime. Le prêter à un autre entrepreneur. Dans ce cas vous continuez à contribuer au développement de ces pays sans que cela vous coûte davantage. En faire don à Kiva pour ses frais de fonctionnement. Dans ce cas vous faites un don à une association qui encourage l’autonomie et la responsabilisation.
C’est extrêmement simple, et le processus d’inscription et de votre premier prêt vous prendra moins de 5 minutes. Je ne parle pas du tout anglais, comment puis-je faire ? Vous pouvez utiliser le site Kiva en Français, qui vous guide pas à pas en français pour utiliser le site, ou vous tourner vers de sites de microcrédits français, comme Babyloan, qui semblent malheureusement moins développés que Kiva. Quel est le “circuit” d’un prêt ? En général, plusieurs participants à Kiva prêtent un peu d’argent à un projet, jusqu’à ce que les besoins soient remplis. Ensuite, d’après Kiva, le montant du prêt est accordé à un organisme de microcrédit local, dont vous pouvez voir le détail dans la colonne de droite du projet :
Exemple d’un partenaire local de Kiva, une structure de microcrédits au Togo. On peut y voir dans l’ordre :
- Le nom du partenaire (Field Partenaire)
- Le niveau de coopération du partenaire pour vérifier sa transparence (Field Partner Due Diligence Type)
- La note globale sur 5 du partenaire, présentant son risque de défaillance, une étoile étant un risque important et 5 étoiles un risque minime (Field Partner Risk Rating)
- Le temps depuis lequel le partenaire travaille avec Kiva (Time on Kiva)
- Le nombre d’entrepreneurs locaux qui ont eu un prêt grâce à ce partenaire (Kiva Entrepreneurs)
- Le montant total des prêts accordés (Total Loans)
- Le montant des intérêts (Portfolio Yield, oui ils sont importants et c’est normal, voir plus bas)
- La rentabilité du partenaire (Profitability, important pour la viabilité à long terme du partenaire)
- Taille moyenne du prêt par rapport au revenu moyen par habitant du pays (Average Loan Size). Plus ce chiffre est petit, plus la population aidée est défavorisée, mais plus il coûte cher pour la structure et nécessite des taux d’intérêt élevés
- Le pourcentage d’arriérés de paiements (Delinquency Rate)
- Le pourcentage de prêts accordés à ce partenaire qui risquent de ne pas être remboursés, car ils ont dépassé leur date limite (Loans at Risk Rate)
- Le pourcentage de prêts qui n’ont pas été remboursés, plus de 180 jours après la date limite (Default Rate)
- Le risque de perdre une partie du prêt à cause des taux de change (Currency Exchange Loss Rate). Les prêts étant payés en dollars à Kiva, mais ensuite en monnaie locale, il y a un risque que des fluctuations des taux de change fassent perdre une partie de la somme prêtée aux emprunteurs
Puis le prêt est versé par le partenaire à l’entrepreneur local, même si selon Kiva souvent le partenaire déjà fait le prêt à l’entrepreneur avant de recevoir les fonds de Kiva. Au fur et à mesure que l’entrepreneur rembourse le partenaire local, celui-ci rembourse Kiva qui vous rembourse également. Les taux sont élevés Vous noterez sans doute en parcourant les demandes de prêts que les taux d’intérêts (Portfolio Yield) sont importants, allant typiquement de 10 à 60%. Selon Kiva, le taux moyen d’intérêt en septembre 2011 était de 37% (incluant les frais de dossier), ce qui peut paraitre délirant pour nous autres Occidentaux habitués aux taux très bas des pays développés. Kiva explique très bien sur son site pourquoi ces taux sont si hauts. Voici les principales raisons :
Les microcrédits sont coûteux à mettre en place, parce qu’ils demandent autant de temps et autant de paperasserie que les prêts plus importants, et que du coup les frais de dossiers représentent proportionnellement un pourcentage beaucoup plus important du prêt total. Par exemple, si le coût pour faire un prêt est de 25$, cela représentera déjà un taux d’intérêt de 25% sur un prêt de 100$, et 10% d’un prêt de 250$ ! Les populations concernées par ces prêts vivent souvent dans des zones reculées, de manière clairsemée, avec des infrastructures de mauvaise qualité et il est très coûteux pour les organismes locaux de les atteindre. Nous en avons des exemples édifiants à travers cet article d’un partenaire du Nicaragua et cet autre article d’un partenaire au Benin. Ce dernier a même publié une vidéo de la route qui mène au village d’un emprunteur qui rembourse 11$ par mois, c’est édifiant :
3 heures sur des routes comme ceci pour aller voir un emprunteur qui rembourse 11$ par mois : voilà l’univers des microcrédits
Les pays en voie de développement ont souvent un taux d’inflation énorme qui doit être compensé par le taux d’intérêt. Ainsi dans un pays qui a un taux d’inflation de 15%, le prêt doit avoir un taux d’intérêt de 20% pour récupérer 5% de taux réel d’intérêt. Par exemple, un de mes amis qui s’offusquait du taux de 61.80% du partenaire local sur le premier prêt auquel j’ai participé à négligé le fait que le taux d’inflation en Tanzanie est de 20% en 2011. Ajoutez à cela les coûts pour les dossiers (ce prêt est en fait de multiples prêts accordés à des personnes qui se sont regroupées pour se motiver mutuellement à rembourser) et l’état déplorable de l’infrastructure du pays, et le résultat final est que le partenaire local ne gagne pas beaucoup d’argent. En fait, ce partenaire en question fait 7.8% de perte malgré ses taux “délirants” et un taux de prêts non remboursés de 1.9%, ce qui n’est malheureusement pas très encourageant pour sa viabilité à long terme. Sans les organismes de microcrédits, les populations qui en bénéficient devraient se tourner vers des usuriers qui leur demanderaient entre 60 et 800% de taux d’intérêt.
Donc il faut bien comprendre que faire de tels microcrédits est très couteux et se fait dans des pays où se déplacer coûte très cher par rapport au montant des prêts. Malgré ce taux moyen de 37%, les partenaires de Kiva font des pertes en moyenne de 1.67% par an. Kiva gagne-t-il des taux d’intérêt sur ces prêts ? Non, seuls les partenaires locaux gagnent des taux d’intérêt. Quand vous prêtez de l’argent à Kiva, vous pouvez aussi choisir de faire une petite donation pour les aider à couvrir leurs frais de fonctionnement. Gagne-t-on personnellement des taux d’intérêt sur ces prêts ? Non, ce n’est pas le but, mais comme ces prêts vous seront remboursés cela vous permet d’aider les entrepreneurs pauvres sans débourser un centime ! Y a t-il un risque ? Selon Kiva, le taux de remboursement des prêts est de 98.89%, donc vous avez 1.11% de chance que votre prêt ne soit pas remboursé en totalité. Kiva rend très facile le prêt d’argent à des entrepreneurs pauvres (3 clics) Grâce à Kiva, il est très facile d’aider des entrepreneurs en difficulté du monde entier sans bouger de chez soi, en quelques clics de souris. Comme vous pourrez le constater en parcourant le site, son interface est très agréable et facile à utiliser . Aidons ensemble les entrepreneurs des pays pauvres J’ai déjà créé mon profil sur Kiva et je vous invite à faire de même (passez par Kiva en Français si l’anglais vous pose problème). J’ai également créé une équipe, les blogueurs pros et entrepreneurs francophones, et je vous invite à me rejoindre aujourd’hui pour contribuer un peu, à votre échelle, à encourager l’esprit d’initiative, le courage et l’ajout de valeur dans le monde, dans les pays qui en ont le plus besoin. Etre dans une équipe permettra de nous motiver mutuellement et d’avoir davantage conscience de l’impact positif que nous aurons sur le monde .