Résumé de "Born to run | Né pour courir " de Christopher McDougall : l’auteur, journaliste passionné de course à pied, nous embarque dans un récit épique et palpitant, à la recherche du mystérieux Caballo Blanco et de la tribu des Tarahumaras, ces coureurs de fond mythiques extraordinaires vivant au fin fond des canyons mexicains. À travers sa quête fascinante sur les secrets de la course naturelle et joyeuse, il nous montre que l'humanité est biologiquement née pour courir. Entre aventure, science et philosophie, il nous invite finalement à redécouvrir notre nature première de coureurs, le minimalisme en running et l’esprit de dépassement de soi.
Par Christopher McDougall , 2010 (version originale), 2022 (version française), 440 pages.
Titre original : "Born to Run: The hidden tribe, the ultra-runners, and the greatest race the world has never seen", 2010, 306 pages.
Chronique et résumé de "Born to run | Né pour courir " de Christopher McDougall
Chapitre I - La recherche du fantôme
Le livre "Born to run | Né pour courir" commence par une "quête" presque irréelle : celle d’un homme surnommé Caballo Blanco, le "Cheval Blanc", que l’auteur Christopher McDougall tente de retrouver dans les confins de la Sierra Madre mexicaine.
Après plusieurs jours à suivre une piste aussi floue que poussiéreuse, il finit par tomber sur lui dans un hôtel perdu au milieu de nulle part.
Cet homme, dont personne ne connaît ni le vrai nom, ni l’âge, est entouré de mystère. Une figure énigmatique à mi-chemin entre la légende et l’ermite. Il vit au cœur des Barrancas del Cobre - les canyons du Cuivre - aux côtés des Tarahumaras, une tribu indigène qui a fui le monde moderne pour se réfugier dans ces montagnes escarpées et quasi inaccessibles.
Les Tarahumaras, selon McDougall, sont des coureurs d’un autre monde. "Une tribu quasi mythique de superathlètes tout droit sortis de l’âge de pierre" capables de prouesses physiques hors normes. À les écouter, aucun être vivant ne peut rivaliser avec eux sur de très longues distances : ni cheval, ni guépard, ni même un marathonien olympique. Leur endurance est telle qu’on raconte plein d’histoires fabuleuses à leur propos : celle d’un Tarahumara, par exemple, qui, à force de course, a réussi à épuiser un cerf… avant de le capturer à mains nues.
Chapitre II - Une simple question médicale
Le deuxième chapitre de "Born to run | Né pour courir" s’ouvre sur une douleur aux pieds que ressent un jour Christopher Mc Dougall. Une douleur banale mais qui va pourtant bouleverser sa vie.
Cette douleur amène Christopher à consulter. Le Dr Joe Torg, éminent médecin du sport, lui diagnostique un problème au niveau de l’os cuboïde. Le verdict tombe avec cette phrase assassine : "Le corps humain n'est pas fait pour ce genre d'agression".
McDougall est désemparé. Comment a-t-il pu se blesser en courant, lui qui a pratiqué sans problème bien d’autres des sports plus extrêmes et plus brutaux ? Il découvre alors avec stupeur qu’il est, en fait, loin d’être un cas isolé : près de 80 % des coureurs se blessent chaque année, malgré l’essor des chaussures de course ultra-tech.
Intrigué, Christopher McDougall s’informe auprès d'autres médecins spécialistes. Tous le découragent : courir, selon eux, est mauvais pour le corps. Mais alors, se demande-t-il, pourquoi les animaux comme les chevaux sauvages, les antilopes ou les loups peuvent-ils courir sans jamais souffrir de blessures ? Où est le problème ?
C'est à ce moment-là que sa découverte des Tarahumaras éveille sa curiosité.
Cette tribu mexicaine extraordinaire qui vit en quasi-autarcie et en harmonie totale intrigue Christopher Mc Dougall : pas de criminalité, d'obésité, de dépression ni de maladies cardiaques. Plus surprenant encore, leur hygiène de vie contredit tout ce qu’on lui a appris et qu’on enseigne aux coureurs occidentaux : ils boivent beaucoup d’alcool, mangent peu de protéines, ne s’échauffent jamais, et pourtant, ils peuvent courir deux jours d’affilée sans fléchir.
Pour McDougall, c’est une énigme. Et le début d’un long voyage.
Chapitre III - À la recherche des fantômes
Dans le 3ème chapitre de "Born to run | Né pour courir", l’aventure prend un tournant plus concret - et plus risqué. En effet, Christopher McDougall décide de partir à la recherche des légendaires coureurs Tarahumaras, là où peu d’étrangers osent s’aventurer : dans les profondeurs vertigineuses des Barrancas del Cobre. Il trouve Salvador Holguín, un chanteur de mariachi à mi-temps, employé municipal à l’occasion, pour l’accompagner. L’homme a le sourire facile, et reste étonnamment optimiste malgré son aveu peu encourageant : "Je suis à peu près sûr de connaître le chemin... En fait, je n'y suis jamais allé".
Christopher et Salvador s’enfoncent ensemble dans une région aussi sublime qu’hostile, un dédale de montagnes et de ravins où la beauté brute de la nature côtoie la brutalité des cartels. Car ici, ce sont les Zetas et les New Bloods qui contrôlent le territoire, deux groupes de narcotrafiquants aussi impitoyables que rivaux.
L’auteur relate la tension, palpable, notamment lorsqu’un pick-up aux vitres fumées surgit au détour d’un virage, moteur grondant et regards invisibles. Il réalise que le danger est omniprésent dans cette région où "six corps sont découverts chaque semaine".
Mais le danger n’est pas seulement humain. La nature elle-même semble vouloir tester leur courage. Le chapitre se termine par leur arrivée au bord d'un immense canyon : un gouffre monumental s’ouvre sous leurs pieds. Christopher est saisi par le vide, son regard happé par des oiseaux minuscules qui tournoient, loin en contrebas dans l’abîme. "L'à-pic semblait interminable" confie-t-il.
Salvador, impassible, le rassure : les Rarámuris (le vrai nom des Tarahumaras) empruntent toujours ce chemin, déclare-t-il, en désignant le sentier qui longe le précipice. Et puis, ajoute-t-il, avec une pointe d’humour, "c’est mieux par là. C’est trop raide pour les narcotraficantes". "J’ignorais s’il y croyait vraiment ou s’il cherchait à me redonner courage. Quoi qu’il en soit, il savait mieux que moi ce qu’il en était" termine l’auteur.
Chapitre IV - Face à face avec Arnulfo Quimare
Après des heures de marche harassante à flanc de montagne, Salvador s'arrête soudainement, pose son sac, essuie son front et lance à Christopher McDougall :
"On y est. (…) C’est là que vit le clan Quimare".
"Je ne comprenais pas ce qu’il disait. Aussi loin que portait le regard, c’était exactement comme la face cachée de la planète inconnue que nous parcourions depuis des jours" écrit l’auteur. Car en effet, autour d’eux, rien. Aucun signe de vie. Juste des rochers, de la poussière, des cactus et le silence des hauteurs.
Jusqu’à ce que soudain, ils l’aperçoivent : une petite hutte en briques crues, blottie dans la roche comme si elle avait été sculptée dans la montagne elle-même, camouflée sous un petit monticule et invisible jusqu’à ce que les deux hommes soient littéralement dessus.
Et là, à leur grande surprise, Arnulfo Quimare les attend déjà. Ce n’est pas n’importe qui : c’est le coureur le plus respecté des Tarahumaras, presque une légende vivante. Il se tient là, calme, impassible, comme s’il les avait vus arriver depuis des heures.
Christopher, emporté par l’excitation, enchaîne aussitôt deux maladresses : il s’approche pour se présenter sans s’annoncer à distance, ignorant l’importance du respect de l’espace chez les Rarámuri. Puis se met à mitrailler Arnulfo de questions directes, brisant le tempo lent et mesuré de cette culture millénaire. Mais Arnulfo ne se formalise pas. Au lieu de le rembarrer, il se mure dans le silence puis partage avec eux des citrons doux fraîchement cueillis.
L’auteur est fasciné par la prestance de son hôte. Arnulfo ne ressemble pas à un athlète moderne, mais plutôt à une force de la nature. Ses muscles "ondoyaient sous sa peau comme du métal en fusion". Dans sa tunique traditionnelle, le taharuma incarne à la fois l’élégance brute et la puissance.
Cette rencontre est une révélation pour Christopher McDougall. Il comprend cette méfiance viscérale que les Tarahumaras, pétris de contradictions, nourrissent envers les étrangers : "ils fuient les étrangers, mais sont fascinés par le monde extérieur" écrit-il. Des siècles de persécutions, de fuites, d’intrusions ont creusé entre eux et le reste du monde un fossé de silence et de prudence.
Christopher McDougall vient d’y poser un pied… mais il sait qu’il lui reste encore un long chemin à parcourir pour comprendre vraiment ce peuple.
Chapitre V - Sur les traces du Caballo Blanco
Dans l’école poussiéreuse de Muñerachi, perdue au cœur des montagnes, Christopher McDougall écoute avec attention les paroles d’Ángel Nava López, un enseignant tarahumara à la voix calme et au regard perçant. Il lui raconte une étrange apparition, devenue légende.
Ainsi, dix ans plus tôt, de jeunes bergers étaient revenus affolés de la montagne, affirmant avoir aperçu une créature bizarre : une forme humaine géante, squelettique, pâle, comme un spectre, avec des mèches incandescentes jaillissant de son crâne. Elle courait très vite et disparut dans les broussailles.
Les anciens l’avaient d’abord désignée comme un "ariwara", une âme errante. Mais cette silhouette étrange, en réalité, était le Caballo Blanco :
"Le Caballo blanco, m’expliqua Angel, était un homme blanc, grand et maigre, qui baragouinait un langage à lui et qui surgissait de la montagne sans crier gare, se matérialisant sur le sentier pour débouler dans le village".
Ángel se souvient de sa première vraie rencontre avec lui. Un jour, le vagabond blanc mystérieux débarqua à l’école sans prévenir, vêtu d’un short miteux, d’une vieille casquette de base-ball et d’une paire de sandales. Il parlait un espagnol approximatif, mais suffisamment pour se faire comprendre et se présenter : "- Hoooooolaaaaaa ! Amigooooooooos !" Le Cheval Blanc venait d’entrer dans leur vie.
Au fil des années, Ángel apprit à mieux connaître cet homme atypique. Il vivait seul, dans une cabane isolée, mangeait peu, ne possédait presque rien. Il avait choisi de vivre à la manière des Tarahumaras, avec une humilité rare. Ce qui le nourrissait, c’était la "korima", ce système d’échange basé sur le partage sans contrepartie : on donne sans attendre de retour. Une forme de solidarité pure, qui lie les membres d’une même communauté bien au-delà de l’économie.
Mais la conversation de Christopher avec Ángel prend ensuite une tournure plus sombre. Ce dernier évoque Yerbabuena, un village autrefois célèbre pour ses grands coureurs. Tout changea le jour où une route fut construite. Les voitures ont remplacé les jambes, la course est devenue inutile, les traditions se sont effondrées… et les coureurs ont disparu. Une tragédie discrète, mais poignante.
Ce récit résonne en McDougall comme une mise en garde. Un siècle plus tôt, l’explorateur Carl Lumholtz avait déjà pressenti cette érosion lente mais inexorable de la culture tarahumara, rongée par les assauts du progrès. Le Caballo Blanco n’est peut-être pas seulement un coureur légendaire : il est aussi un témoin de cette frontière fragile entre deux mondes.
Chapitre VI - Le mythe devient réalité
Le soleil commence à décliner lorsque Christopher McDougall et Salvador Holguí quittent le village d’Ángel. Ils doivent atteindre le sommet du canyon avant la nuit, mais à mesure que leurs pas les éloignent, un doute s’insinue. Et si le Caballo Blanco n’était qu’un mythe, une fable ingénieuse inventée pour protéger les Tarahumaras des curieux venus d’ailleurs ? Un fantôme bien pratique, qu’on évoque pour détourner les regards étrangers.
Avant leur départ, ils assistent à une scène de vie typique du quotidien des enfants tarahumaras. En effet, des élèves, par équipe, s’élancent sur un sentier accidenté pour un rarájipari, ce jeu ancestral où l’on pousse une balle en bois à coups de pied, parfois sur des dizaines de kilomètres. C’est brutal, chaotique, imprévisible, mais fascinant. McDougall est hypnotisé par la foulée extraordinaire fluide d’un jeune garçon de douze ans, Marcelino Luna :
"Ses pieds dansaient frénétiquement entre les pierres, mais toute la partie supérieure de son corps était paisible, presque immobile. En le voyant seulement au-dessus de la taille, on aurait juré qu’il était chaussé de patins à roulettes" note l’auteur, admiratif.
Ángel lui révèle alors que Marcelino est le fils de Manuel Luna, grand champion de rarájipari. Ce jeu, explique-t-il, est "le jeu de la vie" pour les Tarahumaras :
"On ne sait jamais à quel point ce sera dur. On ne sait jamais quand ça va s'arrêter. On ne peut pas le contrôler. On peut seulement s'adapter."
Juste avant de reprendre la route, Ángel tend à Christopher une gourde remplie d’un liquide étrange : "une substance visqueuse, comme un gâteau de riz sans riz plein de bulles mouchetées de noir qui - j’en étais pratiquement certain - étaient des œufs de grenouille à demi incubés" décrit l’auteur.
C’est de l’iskiate, indique l’enseignant. Une boisson énergétique traditionnelle faite de graines de chia trempées, un élixir local aussi humble qu’efficace. Christopher McDougall ne le sait pas encore, mais cette potion maison au "goût incroyable" et "agréablement acidulé" deviendra rapidement un allié précieux sur les chemins escarpés à venir.
Chapitre VII - Face à face avec le Cheval Blanc
Il est là. Enfin. Après des jours de pistes nébuleuses et de récits à la frontière du mythe, Christopher McDougall retrouve le Cheval Blanc - Caballo Blanco - dans un petit hôtel décrépit au fin fond de la Sierra Madre. Pour briser la glace, il évoque quelques connaissances communes, et Caballo, d’abord méfiant, finit par relâcher la tension. Il l’invite à le suivre.
Direction une petite échoppe rustique, au mobilier bancal et à l’odeur de maïs grillé. Là, entre deux cuillerées de haricots, Christopher McDougall observe enfin, de près, ce personnage qui le hante depuis des semaines. Le spectacle est à la hauteur de la légende. Caballo est imposant, osseux, sec comme un tendon, mais dégage une puissance animale."Faites fondre Terminator dans un bain d'acide et vous obtenez Caballo Blanc" souffle l’auteur.
Son vrai nom, Christopher l’apprend ce soir-là, est Micah True. Ancien boxeur devenu coureur errant, Micah a renoncé à tout pour s’enfoncer dans les canyons, s’y fondre, jusqu’à adopter le mode de vie des Tarahumaras. Il court chaque jour comme d’autres prient : en silence, en communion avec la terre, léger comme "un chasseur du néolithique", les poches vides, les jambes infatigables.
La soirée s’étire. Caballo parle, se confie, s’enflamme. Jusque tard dans la nuit, il raconte son histoire, ses dix années d’exil volontaire, sa fascination pour les traditions Rarámuris qu’il connaît intimement, et "un plan, un plan audacieux. Un plan dont je faisais partie, comme je devais le réaliser petit à petit" conclut mystérieusement l’auteur.
Chapitres VIII, IX et X - La légende de Leadville
La suite de "Born to run | Né pour courir" est une histoire qui tient autant de l’exploit sportif que du conte moderne.
Tout commence avec Rick Fisher, photographe baroudeur au charisme ravageur, doté d'un talent exceptionnel pour l'orientation. Fasciné par les Tarahumaras, il est convaincu qu’ils ne sont pas seulement de bons coureurs : ce sont, à ses yeux, les meilleurs du monde. Et il décide de le prouver au monde entier.
Son plan : les faire participer à l’un des ultramarathons les plus redoutables de la planète, le Leadville Trail 100.
Christopher McDougall décrit cette épreuve mythique de 160 kilomètres, créé par Ken Chlouber, comme un véritable monstre : "quatre marathons d'affilée, dont deux dans le noir, avec deux fois 800 mètres de dénivelé au beau milieu."
Elle se déroule à 3 000 mètres d’altitude, dans les montagnes du Colorado, au cœur d’une ancienne ville minière ravagée par la crise. Leadville, vidée de son activité, s’est reconstruite autour de cette course extrême. Une renaissance par la souffrance. Un symbole de résilience.
En 1992, Fisher débarque avec une équipe de coureurs tarahumaras. C’est un échec complet. Trop de pression, trop d’incompréhensions culturelles, trop de tout. Mais Fisher ne renonce pas. Il revient l’année suivante avec un autre groupe. À leur tête, un personnage improbable : Victoriano Churro, 55 ans, silhouette fluette, visage buriné, "foulard rose et bonnet de laine enfoncé jusqu’aux oreilles" avait l’allure d’un vieux "lutin préretraité".
Et là, le miracle opère.
Étonnamment, ces coureurs en sandales faites de pneus usés déjouent tous les pronostics et pulvérisent les favoris américains. Les Tarahumaras grimpent les cols et avalent les kilomètres comme s’il s’agissait d’une balade. Leur foulée est légère, leur souffle inaltérable. Ce ne sont pas des compétiteurs : ce sont des coureurs-nés.
"On dirait que le sol avance avec eux, commenta un spectateur sous le charme. C’est comme un nuage ou une nappe de brouillard qui se déplace dans la montagne."
Dans une ville où l’endurance est devenue symbole de survie, les Tarahumaras offrent alors au public une leçon d’humilité et de grâce. Leur victoire ne tient pas à la rage de vaincre, mais à une joie tranquille :
"La situation était celle qu’ils connaissaient depuis l’enfance, avec les vieux rusés devant et les jeunes loups derrière. Ils étaient sûrs de leurs pieds et d’eux-mêmes. C’étaient les fils du Peuple qui court."
Chapitre XI - Une nouvelle rivale entre en scène
Après la victoire éclatante des Tarahumaras, Fisher est aux anges : "Je vous l'avais dit !" s'exclame-t-il. Les Tarahumaras sont les meilleurs coureurs de la planète. Et cette fois, tout le monde l’a vu. ESPN achètent les droits télévisés, leurs caméras se braquent sur Leadville. Les sponsors affluent : Molson, Rockport, et d'autres encore flairent le phénomène. Les médias s’emballent. La question tourne sur toutes les lèvres : qui pourra rivaliser avec ces coureurs venus d’un autre temps ?
La réponse arrive de là où personne ne l’attendait : dans la silhouette discrète d'une femme au regard doux, "assez petite, assez mince, assez terne".
Cette femme, c’est Ann Trason. Elle a 33 ans, elle est professeure de sciences dans l’enseignement supérieur. Dès qu’elle enfile un dossard, Ann, sous ses airs réservés, ordinaires et "assez insignifiante derrière sa frange châtaine", se cache, en réalité, une véritable légende de l'ultrafond. Christopher McDougall la décrit avec humour et admiration :
"La voir bondir sur la ligne de départ, c’est comme assister à la métamorphose d’un petit reporter binoclard en superhéros."
L’auteur revient en détail sur le parcours incroyable de cette ultramarathonienne d'exception.
Elle court, dit-il, non pas pour la gloire, mais parce qu’elle aime ça, simplement, "pour sentir le vent dans ses cheveux".
Pourtant, son palmarès parle d’un autre monde : record du monde sur 50 miles, 100 km, 100 miles, 14 victoires à la Western States dans la catégorie féminine, et une capacité hors norme à courir des distances folles. Ann ne court pas comme on affronte un ennemi. Elle court parce que c’est, s’amuse-t-elle, "très romantique" :
"On ne se lance pas comme ça dans une séance de cinq heures. Il faut se couler dedans comme on se coule dans un bain, jusqu’à ce que le corps ne résiste plus aux chocs, mais commence à les apprécier. Si on se détend suffisamment, le corps s’habitue tellement au rythme des foulées qu’on ne se rend même plus compte qu’on avance. Et c’est quand on parvient à cette semi-lévitation douce et fluide que le clair de lune et le champagne font leur apparition."
Face aux Tarahumaras, cette nouvelle rivale ne vient pas pour les défier, mais pour incarner une autre forme de grandeur : celle d’une femme qui, sans chercher à dominer, finit par émerveiller.
Chapitre XII - La confrontation se prépare
À mesure que la course approche, l’air se charge d’électricité. L’atmosphère est tendue, presque irréelle, comme avant une grande bataille. Rick Fisher, fidèle à lui-même, fait une entrée théâtrale, escorté de deux nouveaux visages tarahumaras : Juan Herrera et Martimano Cervantes, drapés dans de longues capes blanches. On dirait des chamans ou des magiciens descendus de leur montagne pour jeter un sort à la compétition.
Mais Fisher ne se contente pas de cette arrivée spectaculaire. Il veut du drame, du spectacle. Alors, pour attiser l’intérêt médiatique, il souffle aux journalistes une provocation bien calculée : les Tarahumaras trouveraient "honteux de perdre face à une femme". Une manière de pimenter l’enjeu, de créer une fausse "guerre des sexes" autour du duel annoncé avec Ann Trason. Ce qu’il ne dit pas, c’est que la culture tarahumara est profondément égalitaire, et que ce genre de rivalité n’a aucun sens pour eux. Chez les Rarámuris, on court pour célébrer, pas pour vaincre.
En réalité, Fisher est en terrain glissant. Victoriano et Cerrildo, ses deux stars de l’année précédente, ont refusé de revenir. Alors il est parti en quête de nouveaux champions, grimpant de village en village, promettant monts et merveilles : "une tonne de maïs et une demi-tonne de haricots" pour les familles, si les coureurs acceptent de représenter leur communauté.
Mais ce qu’il ne comprend pas, ou feint d’ignorer, c’est que l’esprit de compétition à la sauce occidentale est étranger aux Tarahumaras. Pour eux, courir n’est pas un duel, c’est "une célébration de l'amitié", un acte collectif. En opposant les villages les uns aux autres, en transformant une course en guerre, Rick Fisher joue à un jeu dangereux. Il trahit sans le savoir ce qu’il prétend défendre.
Et pendant ce temps, Ann Trason se prépare. Silencieusement. Sans cape, sans promesse, sans folklore. Mais avec cette intensité calme qui fait les vraies légendes.
Chapitre XIII - L'œil expert du Dr Vigil
Dans les coulisses de cette confrontation hors norme, un homme observe en silence, avec l’œil aiguisé du scientifique et la passion d’un maître d’orchestre. Le Dr Joe Vigil, légende vivante de l'entraînement de fond et chercheur en course à pied, est là. Rien ne lui échappe.
Christopher McDougall nous brosse le portrait de ce coach exceptionnel, issu d’une petite ville poussiéreuse du Nouveau-Mexique, devenu une référence mondiale. Joe Vigil a réussi à transformer l'équipe moribonde d'Adams State en machine à gagner. Décrochant titre sur titre, il a alors mené l'équipe américaine aux Jeux olympiques de Séoul, toujours guidé par une obsession : l’excellence fondée sur la science, l’éthique, et le cœur.
Mais ce jour-là à Leadville, ce ne sont ni les médailles ni les records qui l’intéressent. Deux mystères l’obsèdent :
Le premier : pourquoi les femmes brillent-elles autant en ultramarathon ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. À Leadville, 90 % des femmes terminent la course, contre seulement 50 % des hommes. Comment expliquer cette ténacité, cette capacité à tenir sur la durée, au-delà de la force brute ?
La seconde question que se pose l’entraineur est : comment ces coureurs d’ultrafond, et en particulier les Tarahumaras, peuvent-ils enchaîner des distances démentielles sans se blesser ? Pas de tendinites, pas de fractures de fatigue, pas d’abandons en pleurs sur le bas-côté. Leur foulée est légère, fluide, presque ancestrale. Comme si leur corps savait quelque chose que les autres ont oublié.
Vigil n’est pas là pour juger ou applaudir. Il est là pour comprendre. Et ce qu’il est sur le point de découvrir pourrait bien changer à jamais notre manière de courir.
Chapitre XIV - Le duel commence
À Leadville, la course démarre à un rythme effréné. Dès le coup de pistolet, la course s’élance dans un grondement de pas et de souffle. Et en tête de peloton, comme une flèche lancée à toute allure : Ann Trason.
Pas question d’observer ou de temporiser. Elle adopte une stratégie osée, presque provocante : prendre la tête dès le départ. Une audace qui surprend, bouscule, force le respect. Derrière elle, les Tarahumaras semblent détendus… trop peut-être. Mais alors qu’on les croyait soumis aux règles des sponsors, ils s’arrêtent discrètement au bord du chemin, ôtent leurs chaussures Rockport flambant neuves, et enfilent leurs vieilles huaraches en pneu. Le vrai départ, pour eux, commence ici.
Mile après mile, Ann creuse l’écart, guidée par une volonté féroce, un calme intérieur qui frôle l’obsession. Mais la tension monte d’un cran à la mi-course, lors d’un point de contrôle médical. Là, face à Martimano, elle lance avec une ironie tranchante :
"Demande-lui ce que ça lui fait de se faire battre par une femme".
La réplique fuse, sèche, calculée. C’est un sacrifice risqué mais potentiellement gagnant, commente Christopher McDougall. Un coup à la manière du “Queen’s Gambit” aux échecs : on renonce à la prudence pour créer une rupture, pour imposer son rythme et faire vaciller l’adversaire.
Ann ne court plus dans l’ombre. Elle embrasse la lumière, la peur, l’intensité. Elle sait que cette course se joue autant dans les jambes que dans la tête, et elle vient de placer un pion au cœur de la stratégie.
Chapitre XV - La révélation de Vigil
Installé au bord du sentier, Joe Vigil observe. Il regarde les Tarahumaras avaler les kilomètres avec une légèreté presque irréelle, comme s’ils ne forçaient jamais, comme si courir était aussi naturel que respirer. Et soudain, il comprend.
Leur secret ne se trouve pas dans leur foulée, ni dans leur diététique, ni même dans leurs fameuses sandales. Leur secret est intérieur. Il est dans leur joie.
C’est une révélation. Vigil, le scientifique méthodique, le coach rigoureux, réalise que ce que les coureurs américains ont perdu, ce n’est pas une technique : c’est un état d’esprit. C’est la joie de courir. Un plaisir simple, brut, presque enfantin.
Il pense à Emil Zátopek, le légendaire coureur tchèque qui s'entraînait seul dans la nuit, en forêt, chaussé de lourdes rangers, juste parce qu’il aimait ça. Zátopek, tout comme les Tarahumaras, courait par amour du mouvement, pas pour la victoire.
Et puis les Tarahumaras "n'oublient jamais le plaisir de courir" et pourquoi ils le font. Ce n’est ni pour dominer, ni pour fuir. Ils courent parce que c’est leur manière d’être au monde.
Et Vigil va même plus loin. Il entrevoit un lien entre cette perte de la course et les maux modernes : l’obésité, la violence, la dépression, la maladie. Peut-être que tous ces déséquilibres sont les signes d’une rupture plus profonde, celle qui nous a fait quitter notre condition originelle de “Peuple qui court”.
Alors il se fixe une mission, presque une croisade : ramener l’humain moderne à sa nature première de coureur. Pas en vendant des chaussures ou des plans d’entraînement, mais en réapprenant à courir avec le cœur, avec le sourire, avec l’âme. En faisant des Tarahumaras non pas des curiosités, mais des guides. En transposant leur sagesse dans notre société contemporaine.
Chapitre XVI - La victoire des Tarahumaras
À mi-parcours de la course de Leadville, la tension est à son comble.
Ann Trason mène toujours la course, mais les Tarahumaras sont sur ses talons, accompagnés de leurs pacers. Parmi eux, un hippie barbu repère un changement inquiétant : Martimano ralentit, grimace, boite légèrement. Il se plaint du genou. Mais ce n’est pas une simple blessure, dit-il. C’est un sort.
Pour lui, la douleur est le résultat de la confrontation avec "la bruja", la sorcière, comme il appelle Ann depuis leur échange tendu à la caserne de pompiers. Ce moment aurait déclenché quelque chose. Une mauvaise énergie. Un déséquilibre.
Alors que Martimano reste en arrière, Juan Herrera poursuit la course, seul, concentré, silencieux. On lui murmure à l’oreille de chasser "la bruja comme un cerf". Alors Juan s’exécute, avec la détermination d’un coureur pour qui la fatigue n’existe pas.
Malgré une lanière de sandale qui se rompt en pleine course (mais réparée à la hâte à l’aide d’un bout de lacet, un geste aussi humble que génial), Juan rattrape Ann dans les derniers kilomètres. Et c’est là que le moment de bascule survient :
"Elle se figea sur place, au milieu du chemin, trop surprise pour faire le moindre geste, tandis que Juan la contournait d'un bond, sa cape blanche flottant derrière lui, avant de disparaître" dans le sentier, avalé par la nuit.
Juan franchit la ligne en 17 heures et 30 minutes, établissant un nouveau record de l'épreuve, suivi par Ann puis par Martimano et les autres Tarahumaras.
Mais la joie de la victoire est de courte durée : Rick Fisher explose. Il provoque une scène déplorable, accusant les organisateurs d'avoir "truqué" la course et exigeant plus d'argent des sponsors.
La scène est honteuse, brutale, déplacée. Ce qui devait être une célébration devient un règlement de comptes public.
Les Tarahumaras, témoins silencieux de cette mascarade, réagissent comme ils l'ont toujours fait face à l'hostilité et l’absurdité du monde moderne : "ils regagnèrent leurs canyons et s'évanouirent comme un songe, emportant leurs secrets avec eux", laissant derrière eux des records, des légendes… et un profond silence.
Plus jamais aucun ne reviendra à Leadville.
Chapitre XVII - Les confidences de Caballo
Retour au présent dans ce nouveau chapitre…
Le récit de Caballo Blanco touche à sa fin. Assis dans la lumière douce du matin, il lance simplement : "C'était il y a dix ans, et je suis ici depuis."
Caballo raconte à Christopher McDougall comment, après Leadville, il a suivi les Tarahumaras dans les profondeurs des Copper Canyons, abandonnant son ancienne vie, laissant derrière lui l’agitation du monde moderne pour embrasser une vie dépouillée, proche de la terre. Il ne cherchait pas une fuite, confie-t-il. Il cherchait un lieu. "J'avais décidé de trouver le meilleur endroit au monde pour courir et c'était là."
Lentement, douloureusement parfois, il a adopté le mode de vie des Tarahumaras. Fini les chaussures dernier cri : il s’est mis à courir en huaraches (sandales minimalistes). Fini les gels énergétiques : il se nourrit depuis de pinole, un mélange de maïs grillé et d’eau. Il a appris à écouter son corps, à se fondre dans le rythme de la nature. Et il s’est métamorphosé.
Aujourd’hui, il est plus fort et plus rapide que jamais. Il court des distances inimaginables. Ce que des chevaux mettent trois jours à parcourir, lui le fait en sept heures, seul, léger comme un souffle.
Touché, Christopher lui demande de lui enseigner ces techniques. Le lendemain, à l’aube, les voilà alors qui s’élancent ensemble sur les sentiers poussiéreux de Creel. Caballo parle peu, mais ses mots résonnent profondément :
"Pense facile, léger, fluide et rapide. Commence par facile, parce que, si le reste ne vient pas, c'est déjà pas si mal."
Mais Caballo ne se contente pas de courir. Il rêve. Et son rêve est fou : organiser une course unique au monde, au cœur des canyons, entre les meilleurs Tarahumaras et les plus grands ultrarunners américains. Pas pour l’argent. Pas pour les caméras. Pour l’esprit.
Il a même contacté Scott Jurek, le roi incontesté de l’ultrafond aux États-Unis pour l’inviter. S’il accepte… alors peut-être que le monde découvrira enfin ce que signifie vraiment courir libre.
Chapitres XVIII-XIX - Scott Jurek entre en scène
Curieux d’en savoir plus sur son énigmatique compagnon, Christopher McDougall mène l’enquête sur Caballo Blanco. Il interroge les rares personnes qui l’ont croisé, comme Don Allison du magazine "Ultrarunning", mais les réponses sont vagues, presque légendaires. Caballo reste insaisissable, comme un esprit errant des canyons.
Pendant ce temps, le Dr Joe Vigil, lui aussi transformé par son expérience avec les Tarahumaras à Leadville, a finalement renoncé à ses projets d’étude dans les Copper Canyons. Trop isolés, trop complexes. Mais il a gardé leurs principes essentiels : simplicité, joie, légèreté. Et il les a transmis à une autre étoile montante de la course : Deena Kastor, devenue médaillée olympique grâce à cette philosophie venue du fond des canyons.
Mais le récit bascule quand entre en scène Scott Jurek. Christopher McDougall retrace l’itinéraire étonnant de ce coureur hors normes...
Enfant du Minnesota, Scott grandit dans une famille marquée par la maladie de sa mère. Surnommé "Jerker" à l’école à cause de sa maladresse, rien ne le prédestinait à devenir un athlète exceptionnel. Pourtant, à force de volonté, de solitude, et d’heures passées à courir dans les bois enneigés, il se forge un corps et un mental à toute épreuve.
Le résultat ? Sept victoires consécutives à la Western States. Une domination sans précédent dans l’ultramarathon.
Mais c’est à la Badwater, une course infernale dans la fournaise impitoyable de la Vallée de la Mort, que Scott devient une légende. Après un départ désastreux, il s’effondre au 96e kilomètre, incapable de bouger. Il reste "étendu raide pendant dix minutes". Soudain, il se relève. Et repart. Il termine la course, pulvérise le chrono, et établit un nouveau record.
C’est ça, Scott Jurek. Pas un surhomme. Mais un homme qui se relève quand tout dit qu’il ne le peut pas. Là où d'autres champions d’ultra, comme Dean Karnazes, cherchent les projecteurs, les sponsors et les talk-shows, Scott fuit la lumière. Il court pour le dépassement, pas pour la gloire.
Alors quand il reçoit une lettre étrange, presque poétique, signée Caballo Blanco, l’invitant à venir courir une course secrète, au cœur des Copper Canyons, contre les meilleurs coureurs tarahumaras, il n’hésite pas longtemps.
Le défi est fou. L’endroit est inconnu. Les règles sont floues. Mais Scott sent que cette invitation est différente. Et c’est précisément pour ça qu’il ne peut pas dire non.
Chapitre XX - Les préparatifs de la course
Neuf mois plus tard, l’appel de Caballo a fait son chemin. Christopher McDougall est de retour au Mexique, prêt à participer à la course la plus improbable de sa vie.
Caballo, fidèle à son style errant, a passé des semaines à parcourir les canyons pour prévenir les Tarahumaras un par un, sans jamais vraiment savoir qui viendrait ni combien répondraient à l’appel.
Mais ce qui est encore plus incertain, ce sont les Américains. Qui oserait répondre à une invitation aussi floue, dans un endroit aussi reculé ?
À l’aéroport d’El Paso, Christopher McDougall voit débarquer Jenn Shelton et Billy Barnett, deux jeunes ultrarunners à l’allure désinvolte. Ils ressemblent moins à des athlètes d’élite qu’à des "fugueurs en route pour Lollapalooza".
Jenn, "cheveux blé mûr rassemblés en couettes", déborde d’énergie. Billy, vague cousin hippie de Chewbacca, l’air d’"un yéti qui aurait pillé votre tiroir à sous-vêtement", porte un short trop large et semble avoir dormi que par accident ces trois derniers jours. Ils ont mis leurs études entre parenthèses, dépensé le peu qu’ils avaient, juste pour répondre à l’appel du désert.
McDougall leur annonce alors une surprise : Scott Jurek est déjà là, au bar de l'hôtel. Les yeux s’écarquillent. Le mythe est à portée de main. Et comme pour briser la tension, Christopher glisse une suggestion à moitié sérieuse, à moitié désastreuse : "Peut-être que, si vous le faisiez boire, il se dévoilerait un peu."
Il ignore encore que ce conseil, lancé sur le ton de la blague, va très vite lui échapper des mains.
Chapitre XXI - Les premiers rassemblements
L'équipe d'ultrarunners commence à se former dans un hôtel d'El Paso.
McDougall retrouve Scott Jurek, paisible, posé, en train de siroter une bière comme si de rien n’était, sans grand discours ni ego. À l’opposé, déboulent Jenn Shelton et Billy Barnett, nos deux électrons libres qui semblent sortis d’un road trip improvisé, plus proches de Kerouac que de Garmin.
Autour d’eux, d’autres visages complètent l’équipe : Eric Orton, l'entraîneur personnel de l’auteur, Luis Escobar, photographe bourlingueur et coureur d’ultra passionné, et son père, Joe Ramirez, solide, discret, observateur.
Mais alors que la soirée aurait pu s’achever calmement sur une note d’anticipation avant le départ, les choses dérapent. Jenn et Billy décident de "fêter l’aventure" à leur manière. Boissons, rires, virée improvisée… Ils reviennent complètement ivres. Résultat ? Jenn plonge dans la fontaine de l’hôtel en robe de soirée, et ressort avec un œil au beurre noir. Billy vomit dans la baignoire, l’air hilare.
À l’aube, ils doivent pourtant prendre la route pour Creel. Aucun retard n’est permis. Le rendez-vous avec Caballo et les Tarahumaras ne les attendra pas.
Malgré l’état de certains, l’équipe prend alors le départ d’un voyage qui ne ressemble à aucun autre.
Chapitre XXII - L'histoire de Jenn et Billy
Pour comprendre ce duo fantasque que sont Jenn et Billy, McDougall fait un retour en arrière.
Leur histoire commence à Virginia Beach en 2002. Deux maîtres-nageurs, Jenn et Billy donc, se rencontrent sur une plage battue par les vagues. Ils ont en commun le surf, la littérature beat, le goût de l’absurde et de l’intensité. Bukowski, Kerouac, l’instinct. Ils vivent comme ils courent : sans plan.
Un jour, sur un coup de tête, ils s’inscrivent à une course de 50 miles en montagne, sans préparation, sans équipement. Juste pour voir. Et ils y prennent goût.
Jenn, en particulier, révèle un talent brut, presque sauvage. Pour sa toute première course de 100 miles, elle termine deuxième au classement général, battant le record féminin de trois heures. Puis elle frappe encore plus fort : 14h57 à la Rocky Raccoon 100, meilleure performance mondiale féminine.
Mais ce qui fait de Jenn une coureuse à part, ce n’est pas seulement son chrono : c’est sa joie pure de courir. La lumière qu’elle dégage quand elle court. L’auteur décrit une photo d’elle, emblématique où, après 30 miles, Jenn affiche un sourire éclatant : "Elle semble en pleine extase, comme si rien sur Terre ne pouvait égaler ce qu'elle fait ici et maintenant" écrit-il.
Pour elle, poursuit-il, courir n'est pas une question de performance mais une quête spirituelle : "J'ai commencé à courir des ultras pour devenir quelqu'un de bien... un putain de Bouddha qui apporte la paix et la joie au monde."
Et au fond, c’est peut-être ça, le vrai moteur de toute cette histoire : retrouver ce feu sacré, ce sourire en pleine course, cette joie de courir qui rend tout le reste supportable.
Chapitre XXIII - La nouvelle dévastatrice
L’équipe arrive enfin à Creel, la porte des Barrancas. Caballo Blanco les attend. Mais ce qui aurait pu être une réunion pleine de promesses tourne au malaise quand apparaît Barefoot Ted.
Dès les premières minutes, Ted monopolise la conversation. Il parle sans arrêt, débitant anecdotes, théories et opinions avec une énergie inépuisable. Caballo, homme du silence et de la solitude, lutte visiblement pour supporter ce flot de paroles et se referme à vue d’œil. Christopher McDougall assiste alors impuissant à ce clash de tempéraments : l’un carbure à l’extériorisation, l’autre à la résonance intérieure.
Et c’est dans cette atmosphère tendue que Caballo lâche la bombe : Marcelino est mort.
Le jeune prodige tarahumara, celui dont la foulée semblait voler au-dessus des pierres, a été assassiné, probablement par des narcotrafiquants. Une exécution, dans un endroit qui, malgré une si grande beauté, n’apporte aucune protection.
Christopher McDougall est bouleversé. Il se souvient de Marcelino, de sa grâce, de sa lumière, de son talent exceptionnel. Cette nouvelle tragique brise quelque chose dans le groupe, une innocence peut-être.
Malgré cette tragédie, Caballo garde espoir que d'autres coureurs tarahumaras comme Arnulfo et Silvino participeront à la course. Mais Christopher doute. Il sait à quel point les Tarahumaras sont discrets, prudents, méfiants vis-à-vis des étrangers.
La nuit tombe, et le groupe s’installe dans de modestes chalets de montagne. Mais même là, le silence est impossible : Ted parle encore, inlassablement, même en partageant sa chambre avec Scott Jurek, dont la patience est mise à rude épreuve.
Chapitre XXIV - Premières tensions dans l'équipe
Le lendemain matin, l’air est glacial, mais l’énergie est là.
Scott Jurek et Luis Escobar réveillent Christopher McDougall à l’aube pour une petite course de mise en jambes. Bientôt, toute l’équipe suit. Toute, sauf Caballo, visiblement lessivé par une nuit d’insomnie, rongé par l’inquiétude.
Pour Caballo, Creel est un cauchemar : la laideur du tourisme de masse, la corruption rampante, et une nature qu’on assassine à coups de béton. Cette ville, dit-il, incarne tout ce qu’il a fui. Mais les sentiers font leur œuvre. En courant parmi les pins odorants et les aiguilles craquantes, Caballo finit par rejoindre le groupe, comme si l’effort, une fois encore, l’avait reconnecté à lui-même.
Il remarque alors quelque chose de surprenant : McDougall a changé. Plus affûté, plus léger. Onze kilos envolés. La métamorphose due à l’entraînement avec Eric Orton est visible. Caballo, discret mais impressionné, lui glisse un mot d’encouragement.
Mais la sérénité est de courte durée…
La matinée prend, en effet, un tour conflictuel lorsque Ted exhibe fièrement ses Vibram FiveFingers (des "chaussures pieds nus" minimalistes). Caballo blêmit : "Tu n’as pas de vraies chaussures ?" lui demande-t-il. Ted hausse les épaules : il n’a que des tongs.
Et là, Caballo explose : "Ici, c'est pas les San Gué-bri-olz ! Les épines de cactus sont comme des lames de rasoir. Tu t'en mets une dans le pied et on est tous foutus."
La tension monte. Même l’intervention apaisante de Scott a du mal à désamorcer la situation. Les visages se ferment, les esprits s’échauffent.
De retour aux chalets, Caballo disparaît. McDougall le cherche partout, redoutant qu’il n’ait abandonné l’expédition. Et puis, il l’aperçoit, perché sur le toit du bus, silhouette solitaire et déterminée, prêt à partir pour les profondeurs des canyons.
Chapitre XXV - Les trois dures vérités sur les chaussures de course
Dans ce chapitre de "Born to run | Né pour courir", Christopher McDougall change de rythme. Plus qu’un récit de course, c’est une mise en accusation en bonne et due forme.La cible ? Les chaussures de running modernes.
Il s’appuie sur les travaux du Dr Daniel Lieberman, chercheur à Harvard, spécialiste de l’évolution humaine. Selon lui, nos pieds ne sont pas faits pour les baskets épaisses et ce sont elles qui détraquent nos pieds.
"Beaucoup des blessures du pied et du genou dont nous souffrons sont dues en fait aux chaussures qui affaiblissent nos pieds."
L'auteur détaille ces "dure vérité" en trois constats implacables :
Les meilleures chaussures sont les pires : une étude suisse met en évidence que les coureurs chaussés de modèles à plus de 95 $ se blessent deux fois plus que ceux portant des chaussures à moins de 40 $. Autrement dit : plus on paie, plus on casse.
Les pieds aiment être maltraités : les recherches démontrent que l'amorti excessif perturbe l'équilibre naturel du pied. "Plus la chaussure a d'amorti, moins elle protège" lance Christopher McDougall. Nos pieds sont conçus pour s’autoréguler, s’équilibrer, pas pour être enfermés dans un coussin.
Les humains sont faits pour courir sans chaussures : de nombreux experts, comme Alan Webb (recordman américain du mile) et le Dr Gerard Hartmann (kinésithérapeute des plus grands marathoniens), affirment que les exercices pieds nus renforcent les pieds, améliorent la posture et réduisent les blessures.
Christopher McDougall raconte comment Nike, confronté aux preuves scientifiques de l'inefficacité de ses produits, a finalement créé la Nike Free, une chaussure minimaliste commercialisée avec le slogan paradoxal "Courez pieds nus !"
Ironie suprême : l’industrie a réussi à transformer une vérité dérangeante en argument marketing. On enferme à nouveau le pied… pour lui faire croire qu’il est libre.
Chapitre XXVI - La randonnée qui tourne mal
Ce chapitre nous replonge dans le récit.
Le groupe de coureurs entame un trajet vertigineux. La route en lacets qu’il emprunte, taillée à flanc de falaise et ainsi accrochée au vide comme un fil de poussière, s’enfonce à 2400 mètres de profondeur. Au bout de ce serpentin, nichée au fond du canyon : Batopilas, une ancienne ville minière oubliée du monde, où le temps semble s’être arrêté.
C’est là que vit Caballo Blanco, dans une petite hutte de pierre et de terre, construite de ses mains avec des galets remontés un par un depuis la rivière. L’homme conduit le groupe vers cette modeste demeure : un abri spartiate, rugueux, taillé à l’image de son occupant : solitaire, résilient, en marge.
Le lendemain matin, Caballo propose une "petite sortie" d'entraînement. Un sommet voisin, juste pour se dérouiller.
Jenn et Billy, encore vaseux de leur soirée, insistent pour venir, malgré la gueule de bois et le ventre vide. Le groupe part avec une quantité d'eau minimale : Caballo assure qu’ils trouveront de l’eau en chemin. Une source fraîche, dit-il. Inutile de s’encombrer. Mais Christopher décide d’emporter, sur les conseils prudents d’Eric Orton, eau et ravitaillement. Une intuition salvatrice.
Car bientôt, la vérité s’impose : il n’y a pas d’eau. Les sources que Caballo espérait trouver sont à sec. Le soleil tape fort, la pente est raide, et les kilomètres s’enchaînent. Déshydratés, les coureurs doivent redescendre au plus vite.
Et puis, le drame. Dans la confusion des lacets, Jenn et Billy se perdent dans la montagne. Isolés, désorientés, ils n’ont ni eau ni nourriture. Jenn chancelle. La panique monte. McDougall décrit leur peur grandissante :
"Elle [Jenn] était prise de vertiges, comme si son esprit s'était détaché de son corps. Ils n'avaient rien avalé d'autre que la barre énergétique partagée six heures plus tôt et pas bu une goutte depuis midi."
Soudain, dans leur détresse, au détour d’un rocher, les jeunes coureurs tombent sur une mare d’eau croupie, trouble, infestée de moustiques. Repoussante. Mais vitale.
Sans choix, ils remplissent leurs gourdes dans l’eau nauséabonde, trinquent tragiquement avec ironie : "J'ai toujours su que tu finirais par me tuer" lâche Billy avant de la boire pour survivre. Mais Jenn craque : "C'est pour de vrai, Billy... On va mourir ici. On va mourir aujourd'hui."
Mais le destin en décide autrement. Par hasard, Eric et McDougall croisent leur chemin. Ils les retrouvent, choqués, hagards, brûlés par le soleil, vidés, mais vivants. Ils rentrent au village, tremblants, silencieux. L’excès d’insouciance a bien failli coûter cher.
Plus tard, alors que tout le monde tente de digérer l’événement, Caballo s’approche d’Eric, l’air à la fois sérieux et impressionné. Il désigne Christopher du menton, le regard chargé d’une admiration sincère : "C'est quoi ton secret, mec ? (...) Comment tu as retapé ce type ?"
Chapitre XXVII - La métamorphose d'un coureur
Avant d’atteindre les canyons, Christopher McDougall a dû traverser un autre territoire difficile : celui de ses propres limites. Il revient ici sur ce tournant décisif, un an plus tôt, lorsqu’il croise la route d’Eric Orton.
Frustré, bloqué, usé par les blessures à répétition, malgré ses tentatives pour courir "à la Caballo", McDougall se sent à bout. C’est là qu’Eric lui tend la main : il accepte de l’entraîner, mais en échange, il lui demande de lui présenter Caballo.
Le pacte est scellé.
Le travail commence par une rééducation complète de sa manière de courir. Exit les foulées lourdes et les frappes de talon. Eric le guide vers un geste plus naturel, plus souple, plus humain.
Ils croisent aussi Ken Mierke, un kinésithérapeute qui a développé l'Evolution Running, une méthode inspirée de l'observation des coureurs kenyans. Mierke explique alors à Christopher que "les meilleurs marathoniens mondiaux courent comme des élèves de maternelle" : des appuis légers, une cadence rapide, une liberté presque animale. Pas de forçage. Pas de crispation.
Côté nutrition, changement de cap total. McDougall adopte une alimentation inspirée des Tarahumaras : pinole (maïs grillé et moulu), graines de chia, haricots, et beaucoup de légumes verts. Sur les conseils du Dr Ruth Heindrich, il tente même… la salade au petit-déjeuner. Et contre toute attente, ça marche.
Les effets de sa transformation se font sentir partout, dans tous les aspects de sa vie. Son corps fond : 11 kilos en moins. Mais surtout : plus de douleurs. Et ce n’est pas tout, raconte-il :
"Ma personnalité changeait elle aussi. Le côté râleur et la mauvaise humeur que j'imputais à mes gènes italo-irlandais s'estompaient au point que ma femme m'en fit la remarque : "Si c'est dû à l'ultra, je veux bien nouer tes lacets", me dit-elle."
Enfin, le plus grand changement concerne sa relation à la course elle-même. Un matin, courant presque nu dans un champ, il atteint un état de grâce : "une telle impression de facilité, de légèreté, de fluidité et de vitesse que j'aurais pu courir jusqu'au matin."
Finie l’angoisse des longues sorties. Courir est devenu un plaisir, un besoin, comme si son corps retrouvait sa fonction première. Grâce à la méthode d’Eric, combinant technique minimaliste, renforcement musculaire et alimentation saine, McDougall est devenu ce qu’il n’aurait jamais osé imaginer : un ultrarunner. Un vrai. Capable de courir cinq heures d’affilée sans douleur.
Et, dans un éclair de certitude, il le ressent profondément : "Je me sentais né pour courir. Et, selon trois scientifiques iconoclastes, je l'étais bel et bien."
Chapitre XXVIII - La science du "né pour courir"
Dans ce nouveau chapitre de "Born to run | Né pour courir", dense et foisonnant, l’auteur étudie les fondements scientifiques de notre nature de coureurs. Pour cela, il nous emmène là où la biologie, l’anthropologie et l’évolution se rencontrent afin de répondre à une question essentielle : et si nous étions réellement nés pour courir ?
En fait, tout commence avec David Carrier, un jeune biologiste qui, en disséquant un lièvre, fait, un jour, une découverte intrigante : un système biomécanique relie respiration et locomotion. Intrigué, il pousse la réflexion plus loin : et si cette mécanique était aussi présente chez l’être humain ? Et si notre espèce avait évolué spécifiquement pour courir ?
Pour le Dr Dennis Bramble, son professeur, cette théorie est absurde. Les humains, rappelle-il, sont "nuls" en course comparés aux félins ou autres prédateurs. Pourtant, une question s’impose malgré tout : pourquoi l'évolution nous aurait-elle privés de force et de vitesse sans compensation ? Autrement dit, si l’évolution nous a privés de crocs, de griffes, de vitesse… alors qu’a-t-elle mis à la place ?
David Carrier et Dennis Bramble se mettent alors à décortiquer ensemble le corps humain.
Et ce qu’ils découvrent est fascinant : le tendon d’Achille, absent chez les primates, agit comme un ressort. La voûte plantaire amortit et relance. Les fessiers massifs, loin d’être décoratifs, stabilisent la foulée. Et surtout, le ligament nuchal, qui ancre la tête et la maintient droite pendant la course, n'existe que chez les animaux coureurs… et chez nous.
En somme, toutes ces caractéristiques, absentes chez nos cousins primates, sont exactement ce dont on a besoin pour courir de longues distances. "L’être humain a une foulée plus longue qu’un cheval" réalise Bramble, stupéfait. Notre corps n’est pas conçu pour la vitesse explosive, mais pour l’endurance.
Encore plus incroyable : contrairement aux autres mammifères qui ne peuvent respirer qu'une fois par foulée, "les humains sont libres de choisir leur rythme respiratoire". Là où un cheval ou un chien doit respirer à chaque pas, nous, pouvons courir sans caler notre respiration sur nos foulées. Un atout vital pour courir longtemps.
Et ce n’est pas tout. Notre peau, sans fourrure, couverte de glandes sudoripares, nous permet de transpirer en continu, même sous une chaleur écrasante. Un guépard, lui, doit s’arrêter dès que sa température grimpe trop (40°C).
Le Dr. Lieberman de Harvard apporte la pièce manquante du puzzle en remettant au goût du jour une hypothèse : celle de la chasse à l'épuisement, autrement dit la capacité à poursuivre une proie pendant des heures sous le soleil, jusqu’à ce que l’animal, incapable de se refroidir, s'effondre d'hyperthermie. "Si vous êtes capable de courir 10 kilomètres un jour d'été, vous êtes un fléau mortel pour le règne animal" résume Christopher McDougall.
Le chapitre atteint son apogée lorsque l’auteur nous raconte comment Louis Liebenberg, un mathématicien sud-africain, a finalement confirmé cette théorie en chassant aux côtés des Bochimans du Kalahari.
En effet, l’équipe de chasse dont il fut participant traqua pendant des heures un koudou sous un soleil accablant, jusqu'à ce que l'animal finisse par s’écrouler, vaincu par la chaleur. Pour l’auteur, cette pratique ancestrale, toujours vivante chez certains peuples indigènes, témoigne de notre nature première.
Mais alors, si nous sommes conçus pour courir, pourquoi tant de gens détestent ça ?
La réponse, Bramble l’a formulée avec lucidité : nous avons "un corps taillé pour la performance, mais un cerveau constamment à la recherche de l'efficacité". Un paradoxe biologique en somme : ce que notre corps sait faire, notre esprit nous persuade d’éviter de le faire. En d’autres termes : notre formidable évolution nous a donné les outils pour courir, mais notre cerveau, programmé pour économiser l'énergie, nous en dissuade. Ceci explique pourquoi tant de gens détestent courir malgré leur potentiel naturel.
L’auteur nous en fait une démonstration la plus étonnante avec l’histoire de ce coureur qui, à 64 ans, retrouve les performances de ses 18 ans.
"On ne s'arrête pas de courir parce qu'on vieillit", conclut l'auteur, "on vieillit parce qu'on arrête de courir".
Chapitre XXIX - La rencontre avec les Tarahumaras
L’aube n’est pas encore levée, et déjà Caballo frappe à la porte de Christopher McDougall. Le moment tant attendu est arrivé : aujourd’hui, ils doivent rencontrer les Tarahumaras.Mais rien n’est certain. Après des mois d’attente, viendront-ils vraiment ? Et surtout, les Américains seront-ils à la hauteur de ces coureurs légendaires, qui semblent jaillir d’un autre temps ?
Caballo est nerveux. Pas à cause du défi physique, non. Il redoute le bruit. L’agitation. L’ego. Il redoute Barefoot Ted, ce moulin à paroles qu’il compare, sans ironie, à un avertisseur de voiture. "S'il saoule les Rarámuri de paroles, ils vont vraiment se sentir mal", confie-t-il à McDougall, hanté par les souvenirs de Rick Fisher, dont les manières tapageuses avaient déjà fait fuir certains d’entre eux.
Le petit groupe s’engage le long de la rivière, guidé par la lumière bleutée de la lune décroissante. Les chauves-souris dansent au-dessus de leurs têtes, l’air est encore frais, les pas s’enchaînent dans un silence respectueux. Caballo mène l’allure à un rythme soutenu, comme s’il voulait s’assurer que seuls ceux qui en sont dignes atteindraient le rendez-vous.
Au point de rencontre convenu, les heures passent sans que personne n’apparaisse. Tout est désert. Puis, soudain, les voilà. McDougall raconte avec émotion : "À peine avais-je eu le temps de ciller, qu'ils avaient surgi de la forêt pour se matérialiser sous nos yeux". Parmi eux, se trouvent Arnulfo Quimare et son cousin Silvino Cubesare, mais aussi Manuel Luna, le père de Marcelino, l'adolescent assassiné.
Christopher est ému. Il s’approche de Manuel, la gorge nouée : "Je connaissais votre fils. Il a été d'une grande bonté avec moi, un véritable caballero." Manuel, d’une voix douce lui répond : "Il m'a parlé de toi. Il voulait venir."
Le moment est suspendu, solennel, mais détend l’atmosphère :
"Les émouvantes retrouvailles entre Manuel et Caballo mirent tout le monde à l’aise. Les autres membres de l’équipe de Caballo passaient des uns aux autres, échangeant le salut tarahumara qu’il leur avait appris, ce frôlement fugace du bout des doigts à la fois moins brutal et plus intime qu’une vieille poignée de main énergique."
Caballo reprend la parole. Il présente chaque membre du groupe non par son nom, mais en lui attribuant un totem animal : Luis devient "El Coyote", Eric "El Gavilán" (le faucon), Billy "El Lobo Joven" (le jeune loup), et Jenn "La Brujita Bonita" (la jolie sorcière).
Ce dernier surnom déclenche quelques sourires chez les Tarahumaras, en souvenir de la "bruja" Ann Trason, qu’ils avaient affrontée à Leadville.
Et puis vient le tour de Scott Jurek. Caballo le nomme "El Venado" (le cerf). Un silence suit. Même le stoïque Arnulfo semble surpris. Est-ce un message codé ? se demande l'auteur. Un message rappelant la stratégie de chasse utilisée contre Ann Trason lors de la course de Leadville, où le cerf symbolisait la proie à traquer ?
L'atmosphère, déjà chargée d'émotions, est alors interrompue par Barefoot Ted qui se présente lui-même. Il bondit en mimant un chimpanzé et se proclame "El Mono", tout en agitant ses grelots pour les faire tinter (un accessoire qu’aucun Tarahumara ne porte).Les Rarámuris, médusés, le regardent, muets d’étonnement.
Le groupe reprend enfin sa marche. Mais Silvino reste, comme dans le jeu de balle traditionnel où il surveille ses coéquipiers, en retrait en arrière, silencieux : "Par habitude" dit-il simplement. Mais Eric, lui, voit autre chose. Il observe Arnulfo qui scrute attentivement Jurek : "Peut-être que la course a déjà commencé" murmure-t-il.
Chapitre XXX - La grande course commence
Dans le 30ème chapitre de "Born to run | Né pour courir", Christopher McDougall nous embarque au cœur d'Urique à la veille de la course. Le paisible village niché au fond du canyon s’anime comme un stade en pleine ébullition.
En effet, ici, l’événement qui oppose les légendaires coureurs tarahumaras aux ultrarunners américains fait vibrer tout le monde : enfants, anciens, commerçants, tous vivent au rythme de la rumeur des pas à venir. Ce n’est plus seulement une course. C’est un festival d’âmes et de légendes.
Dans les rues, chaque coureur est devenu un personnage. Chacun d’entre eux est désormais connu par le totem que Caballo lui a attribué : "Partout où nous allions, nous étions hélés : Hola, Brujita ! Buenos días, señor Mono !".
Les paris vont bon train. Certains jurent par Arnulfo, le héros local, invincible sur ces terres. D’autres parient sur Scott Jurek, le coureur venu du froid, mystérieux "Cerf" à l’allure tranquille.
Christopher McDougall observe la similarité frappante entre ces deux hommes issus de cultures diamétralement opposées : "Ils avaient abordé leur discipline aux deux extrémités de l'Histoire et s'étaient rencontrés au milieu", note-t-il après les avoir vus courir côte à côte.
L’un vient du cœur du Mexique ancestral, l’autre des sentiers battus de l’ultra américain moderne. Et pourtant, dans leur foulée, dans leur silence, dans leur manière de flotter plutôt que de forcer, on ne distingue plus le champion moderne du coureur indigène. Ils sont devenus frères d’allure.
Et derrière la légende sportive, Christopher McDougall perçoit une vérité plus profonde chez Scott Jurek : contrairement à ce que l’on pourrait croire, à son image de compétiteur acharné, Scott n’est pas ici pour battre les autres, ni pour dominer. Il a compris ce que les Tarahumaras savent depuis toujours : on ne court pas pour nous mesurer les uns aux les autres. On ne court pas les uns contre les autres. On court les uns avec les autres. La course n’est pas une rivalité,c’est une communion. Un lien. Un acte d’amour partagé plus qu'une simple performance.
Alors, le soir venu, Caballo lève son verre. Il porte un toast à ces "Más locos", ces fous, ces illuminés "qui voient des choses que les autres ne voient pas". Ces rêveurs assez audacieux pour croire qu’on peut courir ensemble autrement et qui sont aujourd’hui réunis pour vivre ensemble quelque chose d'extraordinaire : la plus grande course de tous les temps.
"- (…) La course de demain sera l’une des plus grandes de tous les temps et qui pourra la voir ? Seulement les dingues. Seulement les Más locos.
Aux Más locos ! crièrent les coureurs attablés en trinquant avec leurs bouteilles de bière. Caballo blanco, le vagabond solitaire des Hautes Sierras, sorti de son isolement, était désormais entouré d’amis. Après des années de déceptions, douze heures le séparaient de la réalisation de son rêve.
Demain, vous verrez ce que voient les fous. Le coup de pistolet sera tiré à l’aube, parce qu’il faudra courir longtemps.
VIVE CABALLO !"
Chapitre XXXI - Le duel des champions
Le grand jour est là.À l’aube, les rues d’Urique s’éveillent en fête, habillées de guirlandes de fleurs fraîches, bercées par les accords des mariachis. Les regards brûlent d’impatience.
Les coureurs s’alignent sur la ligne de départ, des Tarahumaras silencieux aux Américains fébriles, tous conscients que ce qu’ils s’apprêtent à vivre n’aura rien d’ordinaire.
Le parcours, imaginé par Caballo, est une épreuve démoniaque : 80 kilomètres de chemins escarpés, près de 2000 mètres de dénivelé, une boucle sauvage à travers les canyons. Pas de bitume. Pas de répit.
Au coup de pistolet, les Tarahumaras d’Urique partent à un train d'enfer, leurs sandales claquant contre les pierres. Arnulfo, Silvino, Scott se détachent, filant dans un silence concentré.
McDougall, plus sage, reste en arrière, décidé à courir pour lui, à son rythme. Le paysage est sublime, mais la tension monte. Au détour d’un sentier, il aperçoit un serpent corail lové sur la piste. Son sang se glace. Finalement, l’animal est mort, mais l’adrénaline est bien réelle. Ici, tout peut arriver.
De son côté, Jenn Shelton, la "Brujita", livre une bataille sans merci. Après une chute brutale, le genou meurtri, le bras ensanglanté, elle voit les Tarahumaras la dépasser sans un regard pour elle. Mais elle se relève. Et court.
"Elle était sur le point de s’évanouir. Sa rotule semblait cassée et l’un de ses bras était en sang".
Et pourtant, elle revient. Elle remonte, et atteint la quatrième place, portée par cette force obscure qu’ont ceux qui refusent d’abandonner.
Le sommet de la course approche. Et là, contre toute attente, Arnulfo et Silvino prennent la tête, dépassant Scott. Ce dernier se lance alors dans une poursuite acharnée. Le Cerf devient chasseur. Il revient sur eux, avec cette foulée fluide et précise, forgée par des années d’ultrafond, mais guidée aujourd’hui par quelque chose de plus grand : le respect.
La dernière ligne droite est magistrale. Les trois hommes ne luttent plus les uns contre les autres, mais dans une même cadence, une même offrande.
Arnulfo franchit la ligne en premier, suivi de Scott puis de Silvino. Et dans un geste de respect d’une élégance rare, Scott s’incline devant Arnulfo.Un instant suspendu. La foule exulte. Ce n’est pas une défaite. C’est un hommage.
Bien plus tard, McDougall franchit la ligne à son tour, après douze heures de lutte, les jambes tremblantes mais le cœur gonflé. Il est accueilli par la communauté comme un frère. Pas comme un héros, mais comme un coureur. Un des leurs.
Chapitre XXXII - L'histoire de Caballo
Dans le dernier chapitre de "Born to run | Né pour courir", le mystère autour de Caballo Blanco s’efface enfin : le Cheval Blanc tombe le masque. Et ce qu’il révèle n’est pas un mythe, mais un homme. Complexe, bouleversant, profondément libre.
Il s’appelait Michael Randall Hickman.
Fils d’un sergent des Marines, élevé dans la rigueur et la discipline, il choisit pourtant une voie radicalement différente. Boxeur amateur, il se faisait appeler Gypsy Cowboy, un surnom à mi-chemin entre la poussière des rings et la quête d’un ailleurs. Il mettait K.O. ses adversaires lors de matchs clandestins pour payer ses études en religions orientales. Et pourtant, le jeune homme sensible qu’il était pleurait après ses combats, incapable de faire la paix avec la violence.
À Maui, il rencontra Smitty, un ermite des montagnes qui courait la nuit, pieds nus sur les sentiers volcaniques. Ce fut une révélation. Michael découvrit que courir pouvait être une prière, une manière de disparaître tout en se retrouvant.
Il prit alors un nouveau nom : Micah True. Un hommage au prophète Michée, porteur de vérité, et à un chien fidèle rencontré sur la route. Il cherchait un sens.
Il traversa ensuite une rupture amoureuse douloureuse suivie d’un accident grave à vélo. Il eut alors cette révélation :
"Peut-être que je ferais mieux de trouver un sens à ma vie. Je l'ai cherché partout, mais je ne l'ai trouvé qu'en courant".
Alors il devint ce que personne n’attendait : Caballo Blanco, un coureur sans maison, sans fortune, mais riche d’espace et de silence. Il se perdit volontairement dans les canyons du Mexique, où il trouva ce qu’il avait toujours cherché : une tribu, une cause, sa liberté.
Et puis, la boucle se referme.
Seulement quelques semaines après la grande course, McDougall nous apprend que Caballo s’est éteint, lors d’une sortie en solitaire. Son cœur, après avoir tant donné, s’est arrêté doucement. Il est retrouvé mort sur un sentier, seul, comme il avait choisi de vivre.
Ce jour-là, comme un ultime clin d’œil du destin, des témoins affirment avoir vu un groupe de chevaux sauvages s’arrêter à distance. Parmi eux, un cheval blanc.
Conclusion de "Born to run | Né pour courir " de Christopher McDougall
Quatre idées clés à retenir du livre "Born to run | Né pour courir"
1 - L'être humain est biologiquement programmé pour être un coureur d'endurance exceptionnel
Christopher McDougall nous démontre, preuves scientifiques à l'appui, que notre anatomie tout entière est conçue pour la course de fond.
Le tendon d'Achille qui agit comme un ressort, les fessiers massifs qui stabilisent la foulée, notre capacité unique à transpirer pour réguler la température : tout nous destine à être des prédateurs d'endurance.
Contrairement aux idées reçues, nous ne sommes pas des coureurs médiocres, mais des machines biologiques parfaitement adaptées à la chasse à l'épuisement.
Une révélation qui bouleverse notre perception de nos propres capacités physiques.
2 - Les chaussures modernes sont davantage un problème qu'une solution
L'auteur porte un regard critique implacable sur l'industrie des chaussures de running.
Plus surprenant encore, les études révèlent que les coureurs utilisant des chaussures haut de gamme se blessent deux fois plus que ceux portant des modèles basiques. Les Tarahumaras, avec leurs simples sandales en pneu, nous enseignent qu'un pied libre et fort constitue la meilleure protection.
Cette approche minimaliste remet en question des décennies de marketing sportif.
3 - La course doit retrouver sa dimension de plaisir et de communion
Au cœur du récit de Christopher McDougall se trouve ce message fondamental : nous avons perdu la joie de courir.
Les Tarahumaras ne courent pas pour battre des records, mais par amour du mouvement et esprit de communauté. "Born to run" nous montre que lorsque la course redevient célébration plutôt que souffrance, elle révèle son potentiel transformateur.
Cette philosophie s'oppose radicalement à notre approche occidentale obsédée par la performance et la compétition.
4 - L'aventure humaine authentique existe encore dans notre monde moderne
À travers son périple dans les canyons mexicains et sa rencontre avec des personnages hors du commun comme Caballo Blanco, l'auteur nous prouve que l'aventure véritable demeure possible.
Cette quête nous rappelle qu'au-delà des technologies et du confort moderne, l'essence de l'humanité réside dans le dépassement de soi et la connexion à nos instincts primitifs.
Qu'est-ce que la lecture de "Born to run | Né pour courir" vous apportera ?
Au-delà de la dimension purement sportive de la course à pied , "Born to run" est un ouvrage qui vous reconnecte à ce que votre corps sait faire depuis toujours, mais que vous aviez peut-être oublié. À travers son enquête palpitante, Christopher McDougall vous amène en effet à mieux connaître votre potentiel, qui se trouve, selon lui, bien au-delà du simple effort physique.
Avec lui, vous vous libérez aussi des idées reçues sur la performance, des diktats technologiques, des chaussures trop épaisses et des stratégies trop complexes. Vous redécouvrez la course comme un art simple, naturel et joyeux, où chaque foulée devient un pur plaisir et un acte de liberté.
Mais "Born to Run | Né pour courir" est aussi un livre de transformation personnelle. Il vous invite à écouter votre corps plutôt qu’à le contraindre, à chercher le plaisir plutôt que la douleur, à comprendre que la véritable puissance vient de l’alignement entre le corps, le souffle et l’esprit.
Et surtout, il vous montre que l’excellence ne réside pas dans ce qu’on ajoute, mais dans ce qu’on retrouve : une forme de pureté, d’humilité, d’authenticité. À l’arrivée, ce n’est pas seulement votre manière de courir qui change, mais votre rapport à l’effort, à la nature, aux autres… et à vous-même.
Pourquoi lire "Born to run" ?
"Born to run" mérite sa place dans votre bibliothèque pour deux raisons majeures :
D'abord, il révolutionne votre compréhension du corps humain et de ses capacités insoupçonnées, vous donnant envie de tester vos propres limites avec un regard neuf.
Ensuite, il livre un récit d'aventure authentique et captivant qui vous transporte dans un univers où l'exploit sportif rejoint la quête existentielle.
Cette lecture s'impose comme un antidote salutaire à notre époque de surconsommation technologique. Il nous rappelle que nos plus grandes victoires naissent souvent de la simplicité et du retour aux sources.
Points forts :
Le récit d'aventure captivant mêlant enquête journalistique et épopée humaine.
Les révélations scientifiques intéressantes sur notre nature de coureurs et le running en général.
La remise en question, à mes yeux salutaire, de l'industrie du running moderne.
La philosophie inspirante qui se dégage au-delà de la course à pied.
Points faibles :
Certains passages scientifiques peuvent ralentir le rythme narratif.
L'idéalisation parfois excessive de la culture tarahumara.
Ma note :
★★★★★
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