Résumé de "La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle" de Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar : ce livre nous alerte sur la déferlante technologique à venir et décortique le dilemme majeur qu'elle nous pose : comment avancer sur l'étroite "ligne de crête" entre les bénéfices révolutionnaires des nouvelles technologies et les risques existentiels sans précédent que ces dernières font peser sur nos sociétés et notre humanité.
Par Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar, 2023, 375 pages.
Titre original : "The Coming Wave: The instant Sunday Times bestseller from the ultimate AI insider", 2023, 332 pages.
Chronique et résumé de "La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle" de Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar
Glossaire de quelques termes-clés
Un glossaire présente les concepts essentiels et définit les termes techniques qui apparaissent dans l'ouvrage "La Déferlante".
On y comprend, par exemple, ce que sont l'endiguement, les vagues technologiques et les différents types d'intelligence artificielle (IA, IAG et IAC) ou encore la ligne de crête et le grand pacte.
Prologue
Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar démarrent leur livre avec un texte généré par une intelligence artificielle. Une façon bien à propos de poser le décor. La question est simple, et vertigineuse à la fois : "Que représente la vague technologique à venir pour l’humanité ?"
L’IA, dans sa réponse, dresse un parallèle entre les technologies émergentes et les grandes inventions historiques (la découverte du feu, l’invention de la roue ou celle de l’électricité). Mais cette fois, fait-elle remarquer, les enjeux sont décuplés et à double tranchant. L’intelligence artificielle et les biotechnologies promettent, en effet, des avancées phénoménales… mais portent aussi, en elles, des menaces majeures.
C’est, en somme, un avertissement : la révolution n’est pas en train de se préparer, elle est déjà là.
Chapitre 1 - L'impossible endiguement
1.1 - Une vague aussi vieille que l’humanité
Le premier chapitre de "La Déferlante" s’ouvre sur une métaphore forte : celle de la vague.
Une vague qui traverse l’histoire humaine. Depuis les mythes du déluge présents dans toutes les civilisations jusqu’aux transformations historiques, l’image de la vague illustre, en fait, parfaitement les mouvements technologiques qui ont façonné l'humanité.
1.2 - La mécanique implacable du progrès
Les auteurs observent qu’à travers les siècles, les technologies fondatrices obéissent à une loi immuable : elles deviennent progressivement moins chères, plus accessibles, et finissent par se répandre partout. C’est la mécanique même du progrès humain. Et cette prolifération est au cœur de l'histoire d'Homo technologicus, cet "animal technologique" que nous sommes fondamentalement.
1.3 - Une nouvelle vague, deux révolutions
Aujourd’hui, une nouvelle vague technologique est en train de déferler, plus puissante que jamais. Celle-ci est centrée sur deux technologies transformatrices : l'intelligence artificielle et la biologie synthétique.
Ensemble, elles permettent de manipuler les deux fondements de notre monde : l'intelligence et la vie elle-même.
1.4 - Le rêve devenu réalité : l’IA en action
Mustafa Suleyman partage ensuite son parcours de co-fondateur de DeepMind, en 2010, à une époque où leur ambition, l’idée de reproduire l’intelligence humaine, semblait encore relever de la science-fiction. Moins de quinze ans plus tard, ce qui paraissait farfelu est devenu réalité : reconnaissance faciale, traduction instantanée, génération de textes ou d’images, composition musicale… L’IA a franchi un seuil que peu imaginaient si proche.
1.5 - Entre bénéfices et menaces : le dilemme du XXIe siècle
Dans le même temps, la biologie synthétique avance à grands pas, rendant possible une reprogrammation du vivant.
Mais cette double révolution nous place face à un dilemme majeur : ces technologies promettent d'extraordinaires bienfaits (avancées médicales, énergies propres), mais elles comportent aussi des risques cataclysmiques (cyberattaques massives, pandémies planifiées).
1.6 - L’étroite ligne de crête
Les réactions possibles à ces risques ne sont guère plus rassurantes : autoritarisme technologique imposant une surveillance massive ou rejet luddite conduisant à la stagnation.
Nous nous retrouvons ainsi sur une étroite "ligne de crête" entre dystopie techno-autoritaire et catastrophe.
1.7 - Le déni face au danger ou canaliser plutôt que contrôler
Les auteurs pointent enfin notre "aversion au pessimisme" : cette tendance à détourner le regard face aux menaces existentielles. Cette réaction émotionnelle, particulièrement présente dans les milieux technologiques et du pouvoir, nous rend incapables d'affronter lucidement la vague qui arrive.
Pourtant, refuser de voir le danger ne l’empêche pas d’arriver.
C’est alors précisément l’ambition de ce livre "La Déferlante" : rompre avec cette naïveté, dépasser cette aversion pour examiner la possibilité d'un "endiguement". La possibilité d’une voie qui ne consisterait pas à contrôler ces technologies puissantes ni à renoncer à ses bienfaits, mais à tenter de canaliser la vague avant qu’elle ne nous submerge..
Partie I - Homo technologicus
Chapitre 2 - Une prolifération sans fin
2.1 - Une mécanique technologique universelle
Dans ce deuxième chapitre, Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar retracent l'histoire des technologies à travers l’idée que, dans nos civilisations, toute technologie suit toujours un chemin prévisible : chaque grande avancée se déploie comme une vague qui finit par tout recouvrir.
Pour illustrer ce phénomène, les auteurs prennent l'exemple du moteur à combustion interne. Initialement coûteux et peu répandu, il est aujourd’hui omniprésent. C’est ainsi toujours le même scénario : une invention apparaît, son coût baisse, elle devient plus accessible et finit par proliférer partout.
2.2 – L’humain façonné par ses propres créations
Certaines technologies, dites d’usage général, changent tout sur leur passage. Le feu, l’agriculture, l’écriture, l’électricité : chacune a bouleversé nos sociétés jusque dans leurs fondations.
Les auteurs vont plus loin : "nous ne sommes pas seulement les créateurs de nos outils. Nous sommes, jusqu’au niveau biologique et anatomique, leur produit" écrivent-ils. En d’autres termes, nous ne façonnons pas seulement nos outils, ce sont eux qui nous transforment.
Le feu, par exemple, a modifié notre biologie même, en réduisant notre système digestif et en favorisant le développement de notre cerveau.
2.3 - Une accélération sans précédent
Cette dynamique, préviennent Suleyman et Bhaskar, ne fait que s’accélérer. Selon leur observation, l'accélération est d’ailleurs la norme dans l'histoire technologique.
Si les premières vagues (outils de pierre, feu) se sont étalées sur des millénaires, les dernières (électricité, informatique) se sont déployées à une vitesse fulgurante. En à peine 50 ans, la production mondiale d’électricité est passée de 8 à 600 térawattheures. Quant aux puces électroniques, leur puissance a été multipliée par 17 milliards depuis les années 1970.
2.4 - La prolifération comme loi naturelle
"La prolifération est la valeur par défaut" résument finalement les auteurs. Qu'il s'agisse de l'imprimerie qui a conquis l'Europe en quelques décennies, ou des smartphones adoptés par des milliards de personnes en quelques années dans le monde entier, le schéma reste invariable : innovations, baisse des coûts, demande accrue, diffusion massive.
Ce cycle s’auto-alimente, se renforce de lui-même, irrésistible, impossible à enrayer. Et c’est cette logique, aussi fascinante qu’implacable, qui sous-tend la vague à venir..
Chapitre 3 - Le problème de l'endiguement
3.1 - Endiguer ou être dépassé
Le chapitre 3 de "La Déferlante" aborde la question de notre capacité à contrôler les technologies que nous créons.
Les auteurs définissent l'endiguement comme "la capacité globale de contrôler, de limiter et, au besoin, d'abandonner des technologies". Pour les auteurs, c’est un impératif de plus en plus urgent à mesure que les outils que nous développons gagnent en puissance et en portée.
3.2 - Quand les inventions échappent à leurs créateurs
Mustafa Suleyman évoque aussi le phénomène des "effets de revanche" : ces détournements imprévus d’une invention par rapport à son usage initial. Thomas Edison, par exemple, avait été consterné de voir son phonographe utilisé principalement pour la musique plutôt que pour enregistrer des pensées, comme il l'avait imaginé.
3.3 - Des tentatives d’endiguement ratées, fragiles ou insuffisantes
L'histoire montre que, malgré de nombreuses tentatives (interdiction de l'imprimerie par l'Empire ottoman, luddisme, fermeture du Japon aux influences étrangères), l'endiguement a rarement réussi. Les auteurs notent :
"Là où il y a de la demande, la technologie se développe, gagne du terrain et trouve toujours des utilisateurs."
La seule exception relative concerne les armes nucléaires. Leur endiguement partiel tient à une combinaison unique de facteurs : coût prohibitif, complexité technique, peur existentielle et efforts diplomatiques sans précédent. Mais même cet exemple reste fragile, avec des accidents évités de justesse et une prolifération continue.
D’autres tentatives modernes d’endiguement, comme le Protocole de Montréal (contre les CFC) ou les moratoires sur les manipulations génétiques, ont eu des résultats mitigés : trop limités, trop temporaires, trop contournables.
3.4 - Le vrai défi : apprendre à freiner
Pour les auteurs, le vrai grand défi du XXIe siècle n’est plus dans le déploiement de nouvelles technologies : cette étape est en cours, voire déjà franchie. Non, le véritable enjeu désormais, est d'apprendre à l'endiguer efficacement. Et face à la vague technologique qui s'apprête à déferler, ce défi s'annonce particulièrement complexe et plus urgent que jamais.
Partie II - La prochaine vague
Chapitre 4 - La technologie de l'intelligence
4.1 - Le jour où l’intelligence artificielle est devenue réelle
Mustafa Suleyman entame ce chapitre avec un souvenir qui a marqué un tournant dans sa perception de l’intelligence artificielle : le moment où celle-ci est devenue une réalité tangible pour lui.
Nous sommes en 2012, dans les bureaux de DeepMind à Londres. Un algorithme, DQN, apprend seul à jouer au jeu Breakout et découvre une stratégie étonnante : percer un "tunnel" dans les briques pour maximiser son score. Pour Suleyman, c’est un choc : "J'étais sidéré. C'était la première fois que j'observais le fonctionnement d'un système très simple, très élégant, capable d'acquérir de précieuses connaissances".
Mais cette percée modeste préfigurait une révolution plus importante…
4.2 - AlphaGo et l’intelligence non humaine
En effet, quelques années plus tard, en 2016, cette révolution prend de l’ampleur. AlphaGo, toujours conçu par DeepMind, bat le champion du monde Lee Sedol au jeu de go. Le fameux "coup 37", d’abord considéré comme une erreur par les commentateurs, s’avère en réalité un mouvement inédit, jamais imaginé en des milliers d’années de pratique humaine. Plus impressionnant encore, les versions suivantes d’AlphaGo apprennent seules, sans aucune donnée humaine. C’est un saut d’échelle dans l’autonomie des machines.
4.3 - D’atomes à bits… à l’intelligence et la vie
Mustafa Suleyman prend alors du recul et remet ces avancées dans une perspective historique plus large.
Jusqu'à récemment, explique-t-il, la technologie se concentrait sur la manipulation des atomes. Puis, avec l’informatique, nous sommes passés aux bits.
Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle ère : celle où nous manipulons les deux fondements universels de la réalité : l’intelligence et la vie.
Cette convergence explosive, où IA et biologie synthétique s’entrelacent dans un "cycle crépitant de catalyses croisées", marque le début de ce que les auteurs appellent une "explosion cambrienne" technologique : un enchaînement vertigineux de découvertes qui s’auto-alimentent.
4.4 - L’IA dans nos poches et nos vies
L'émergence spectaculaire de l'apprentissage profond commence en 2012 avec AlexNet, un modèle qui révolutionne la vision par ordinateur.
Mustafa Suleyman raconte comment ce domaine, autrefois marginal, s'est rapidement imposé. L’IA s’est immiscée partout : dans nos smartphones, nos voitures à présent autonomes, nos diagnostics médicaux. Elle s’est fondue dans le quotidien :
"L'IA n'émerge plus. Elle est présente dans les produits, services et appareils que vous utilisez quotidiennement."
4.5 - La montée vertigineuse des grands modèles
Mais le tournant majeur survient avec l'avènement des grands modèles de langage (LLM). Mustafa Suleyman détaille ici comment ces modèles fonctionnent, avec l'auto-attention et l'autocomplétion.
L'évolution est fulgurante : de GPT-2 avec ses 1,5 milliard de paramètres, on passe en quelques années seulement, à des modèles qui en comptent des dizaines de milliers de milliards. "La quantité de calculs servant à entraîner les plus grands modèles a augmenté de façon exponentielle" souligne-t-il, précisant que "en moins d'une décennie, la masse de calcul utilisée pour entraîner les meilleurs modèles d'IA du monde s'est allongée de neuf zéros".
Malgré les critiques sur les limitations de l'IA actuelle, l'auteur défend l'hypothèse de scaling : à mesure que les modèles grandissent, leurs performances continueront de s'améliorer, possiblement jusqu'à dépasser l'intelligence humaine. Parallèlement, l'efficacité aussi progresse. L’auteur mentionne, à ce propos, comment sa propre société, Inflection AI, a créé des modèles 25 fois plus petits mais tout aussi performants que leurs prédécesseurs.
4.6 - L’IA Capable : au seuil d’un nouveau test de Turing
Plutôt que de s’égarer dans les débats sur la conscience des machines (comme l’anecdote célèbre autour de LaMDA), Suleyman préfère ici se concentrer sur une approche pragmatique : il s’intéresse alors aux capacités concrètes des systèmes d'IA, à ce que ces systèmes savent faire.
Il introduit un concept clé : l’Intelligence Artificielle Capable (IAC). Un cran au-dessus des IA actuelles, mais sans atteindre la superintelligence. Une IAC serait capable de réussir ce que l’auteur appelle un "test de Turing moderne" : accomplir des tâches complexes avec autonomie, comme créer et gérer une entreprise rentable.
4.7 – L’IA, une métatechnologie : une technologie qui fabrique les autres
Pour Mustafa Suleyman, l’IA marque un tournant sans précédent dans l’histoire humaine. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas une simple innovation de plus : l’intelligence artificielle est une "métatechnologie", dit-il.
"L'IA n'est pas une simple technologie de plus ; elle est bien plus profonde et plus puissante que cela. [...] C'est une métatechnologie transformatrice, la technologie derrière la technologie et tout le reste, elle-même productrice d'outils et de plateformes".
L’IA est une technologie qui crée les autres, une plateforme capable de transformer tous les domaines à son contact. Elle n’est pas seulement une révolution parmi d’autres : elle est la révolution qui reconfigure toutes les autres.
Chapitre 5 - La technologie du vivant
5.1 – L’humain, co-auteur de l’évolution
Dans le 5ème chapitre de leur livre "La Déferlante", Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar montrent que l’humanité n’est plus seulement spectatrice de l’évolution… elle en devient l’auteure, en réécrivant l'histoire de la vie elle-même. Après 3,7 milliards d'années d'évolution naturelle, nous sommes désormais capables de lire, modifier et même écrire le code génétique. Une révolution d’une ampleur comparable à celle apportée par l’intelligence artificielle.
5.2 - De l’ADN à l’ingénierie du vivant
Les auteurs retracent alors les grandes étapes de cette transformation, depuis la découverte de la structure de l’ADN par Watson et Crick jusqu’au séquençage complet du génome humain. Mais ce qui a véritablement accéléré la révolution, c’est l’effondrement spectaculaire des coûts du séquençage de l’ADN. The Economist parle d’une "courbe de Carlson" : alors que la loi de Moore prédit un doublement tous les deux ans, le coût du séquençage a, lui, chuté mille fois plus vite. D’un milliard de dollars en 2003 à moins de 1 000 dollars aujourd’hui.
5.3 - CRISPR : des ciseaux pour réécrire la vie
Le tournant majeur arrive en 2012, avec la découverte de CRISPR par Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier.
Cette technique, que les auteurs comparent à des "ciseaux à ADN" permet de modifier avec une précision inédite l’ADN de n’importe quel organisme. CRISPR a littéralement "démocratisé la biologie" : pour quelques milliers d’euros, on peut aujourd’hui se procurer un kit complet de génie génétique. Et pour 25 000 dollars, un synthétiseur d’ADN personnel.
5.4 - Guérir, nourrir, rajeunir : les promesses de la bio-ingénierie
Mustafa Suleyman présente les applications stupéfiantes de cette révolution : on parle de thérapies géniques capables de soigner des maladies incurables, de cultures agricoles résistantes aux changements climatiques, de nouveaux matériaux biologiques, et même de technologies d’extension de la longévité humaine. L’entreprise Altos Labs, par exemple, a levé 3 milliards de dollars pour travailler à ralentir le vieillissement, voire à "inverser le cours du temps" en matière de vieillissement cellulaire.
5.5 - Quand l’IA résout les mystères du vivant
Le chapitre culmine sur un exemple de convergence entre IA et biologie : le projet AlphaFold, conçu par DeepMind.
Ce système d'IA a résolu "un des plus grands problèmes de la biologie" : prédire la structure des protéines à partir de leur séquence génétique. Une tâche qui prenait traditionnellement des mois, réalisée ici en quelques heures.
Dans une avancée spectaculaire, DeepMind a ensuite publié la structure de 200 millions de protéines, rendant instantanément accessible au monde ce qui aurait autrement pris des décennies de travail.
5.6 - Une supervague technologique en marche
Mustafa Suleyman conclut en soulignant que ces deux domaines - intelligence artificielle et biologie synthétique - convergent pour former une "supervague" technologique.
Une force de transformation d’une puissance inédite, qui va remodeler notre monde à une vitesse et une échelle jamais vue.
Chapitre 6 - La vague s'amplifie
6.2 - Une vague n’arrive jamais seule
Les vagues technologiques, rappelle Mustafa Suleyman, ne déferlent jamais seules. Elles ne se limitent jamais à une ou deux technologies isolées : elles forment des grappes de technologies interconnectées qui surgissent approximativement au même moment. En gros, quand une innovation surgit, elle en entraîne souvent d’autres dans son sillage.
Ces technologies d’usage général agissent, en fait, comme des catalyseurs : elles stimulent, accélèrent l’innovation dans de nombreux domaines simultanément.
6.2 - La robotique atteint la majorité : des robots spécialisés, autonomes, invisibles, redoutables
Les auteurs nous plongent d'abord dans le monde de l'agriculture robotisée.
Ils nous emmènent chez John Deere, entreprise emblématique qui, autrefois, révolutionna les champs avec un simple soc de charrue en acier… et qui fabrique aujourd’hui des robots agricoles autonomes.
Derrière cette évolution spectaculaire, un constat : la robotique n’est plus un rêve de science-fiction, elle est déjà là, et elle s’installe discrètement dans notre quotidien. Des fermes automatisées aux entrepôts d’Amazon, elle s’infiltre partout.
Mais oubliez les humanoïdes façon cinéma. Les robots actuels sont loin de ressembler aux fantasmes de la pop culture : ils sont spécialisés, taillés pour des tâches précises, souvent invisibles, mais redoutablement efficaces. Leur précision, leur endurance et leur fiabilité dépassent largement celles des humains, et ils deviennent de plus en plus abordables. En cinq ans, "le coût d'un bras de robot a chuté de 46 %". Ce seul chiffre annonce une diffusion massive dans les années à venir.
6.3 - Quand le robot devient arme
Un fait divers survenu à Dallas vient illustrer la portée symbolique et éthique de cette transition.
Lors d’un incident tragique, la police a utilisé un robot désamorceur de bombes pour neutraliser un tireur embusqué. Un robot tueur, en plein cœur d’une grande ville américaine…
Ce recours inédit a suscité la controverse, mais il a surtout marqué une étape : celle où la robotique ne se limite plus aux tâches industrielles ou logistiques, mais entre dans la sphère de la sécurité et de la force létale.
C’est bien ici la preuve, s’il en fallait, que la vague s’amplifie… et qu’elle redéfinit déjà les règles du jeu.
6.4 - La suprématie quantique
En 2019, Google annonce avoir franchi un cap historique en atteignant ce qu’elle appelle la "suprématie quantique". Son ordinateur quantique aurait réalisé en quelques secondes un calcul qu’un ordinateur conventionnel aurait mis… 10 000 ans à accomplir. Un exploit symbolique, mais révélateur du potentiel gigantesque de cette technologie.
Les auteurs de "La Déferlante" expliquent que la puissance de ces machines augmente de façon exponentielle : à chaque qubit ajouté, la capacité de calcul double. C’est une croissance phénoménale.
Si l’informatique quantique en est encore à ses débuts, ses implications sont déjà prodigieuses :
D’un côté, elle menace les fondements de notre cybersécurité : la plupart des systèmes de chiffrement actuels pourraient être pulvérisés le jour où ces ordinateurs deviendront suffisamment puissants : un événement redouté, surnommé le "Q-Day".
De l’autre, elle ouvre des possibilités extraordinaires : modélisation de réactions chimiques complexes, optimisation de réseaux logistiques, avancées spectaculaires en science des matériaux…
Mustafa Suleyman note que cette technologie est encore balbutiante et nous sommes encore loin d’un usage quotidien. Toutefois, l’intensité des recherches et les milliards investis montrent clairement que l’informatique quantique jouera, un jour, un rôle crucial dans la vague technologique qui s’annonce.
6.5 - L’énergie : carburant de la civilisation
Autre composant majeur de cette nouvelle vague technologique : l’énergie.
Pour illustrer son rôle fondamental, les auteurs proposent une équation qui en dit long : (Vie + Intelligence) × Énergie = Civilisation moderne.
En d’autres termes, sans énergie, ni la vie, ni l’intelligence (humaine ou artificielle) ne peuvent prospérer. Or, nous sommes à l’aube d’un basculement majeur : d’ici 2027, l’énergie renouvelable devrait devenir la première source de production d’électricité dans le monde.
6.6 - Fusion nucléaire : l’aube d’un monde sans limites ?
Mais l’horizon va bien au-delà du solaire ou de l’éolien. Mustafa Suleyman revient sur la percée récente en fusion nucléaire réalisée à la National Ignition Facility de Livermore. Pour la première fois, une réaction a produit plus d’énergie qu’elle n’en a consommé. Une avancée longtemps considérée comme un rêve de science-fiction.
La fusion, source d’énergie propre, abondante et quasi illimitée, pourrait un jour bouleverser notre rapport au monde matériel : en réduisant drastiquement les coûts de production, en libérant l’innovation, et en permettant à d’autres technologies de s’épanouir sans contrainte énergétique. Si elle reste encore en phase expérimentale, elle incarne un potentiel de rupture totale.
6.7 - La vague qui suit la vague : les nanotechnologies, vers une maîtrise atomique de la matière
Mustafa Suleyman lève ici les yeux vers un horizon plus lointain pour évoquer une autre révolution en gestation : celle des nanotechnologies avancées.
Si l’intelligence artificielle agit sur l’information et la biotechnologie sur le vivant, les nanotechnologies, elles, promettent de prendre le contrôle de la matière au niveau atomique. C’est l’ultime aboutissement de notre pouvoir technologique : manipuler le réel à l’échelle la plus fondamentale.
Dans un tel monde, les atomes ne seraient plus de simples blocs de construction passifs, mais des éléments activement réorganisés, contrôlables selon nos besoins, nos usages, nos désirs.
Les implications sont encore largement théoriques, mais elles pourraient là aussi transformer radicalement notre rapport à la matière en incarnant un glissement vers une totale maîtrise de notre environnement physique.
6.8 - De l’ère de la connaissance à l’ère de l’impact
Pour les auteurs de "La Déferlante", ce qui rend la vague actuelle unique et la distingue des précédentes, ce n’est pas seulement la puissance brute des technologies, mais sa capacité à "réduire le coût de l'action à partir de l'information".
Autrement dit, nous ne nous contentons plus de traiter ou de transmettre de l’information : nous sommes en train de la convertir directement en action sur le monde réel, à grande échelle.
Ainsi, nous ne sommes plus simplement à l’ère de la connaissance. Nous sommes à l’ère de l’impact immédiat, une ère où notre capacité d'agir sur le monde physique se démocratise.
Chapitre 7 - Quatre caractéristiques de la vague à venir
7.1 - Une nouvelle ère de puissance décentralisée
Le chapitre 7 de "La Déferlante" commence par raconter, comment au début de l’invasion russe en Ukraine, une petite unité de trente soldats ukrainiens équipés de drones artisanaux a réussi à immobiliser une colonne militaire russe s'étendant sur 40 kilomètres. Une poignée d’hommes, quelques drones et une bonne stratégie ont suffi à déjouer une armée parmi les plus redoutées du monde.
Cet épisode symbolise parfaitement la nature de la vague technologique qui s’annonce, et ses effets bouleversants. Mustafa Suleyman identifie quatre grandes caractéristiques qui la définiront.
7.2 - L'asymétrie : un transfert de pouvoir colossal
La première caractéristique est l’asymétrie.
En effet, les nouvelles technologies donnent à des acteurs disposant de peu de ressources un pouvoir disproportionné.
Dès lors, un petit groupe, voire un individu isolé, peut désormais, grâce à des outils peu coûteux mais redoutablement efficaces, défier une grande puissance établie. Un programme d’IA peut produire plus de texte que toute l’humanité réunie. Une simple expérience mal encadrée en biologie pourrait, à elle seule, déclencher une pandémie mondiale.
Mais cette asymétrie joue dans les deux sens. Plus nos sociétés deviennent interconnectées, plus elles deviennent vulnérables. Une faille unique, un bug, une attaque ciblée peut maintenant "ricocher à toute allure à travers le monde", c’est-à-dire provoquer une réaction en chaîne à l’échelle planétaire.
7.3 - L'hyper-évolution : une accélération sans fin
La deuxième caractéristique, c’est l’hyper-évolution.
La vitesse de l’innovation explose. Si l’Internet a déjà révolutionné le monde numérique, nous assistons aujourd’hui à une accélération similaire dans le monde physique. "L'innovation dans le "monde réel" pourrait commencer à évoluer à une allure numérique" avertissent les auteurs.
Grâce à l’IA, on conçoit déjà de nouveaux matériaux, des véhicules aux formes organiques impossibles à fabriquer avec des outils conventionnels. La simulation informatique remplace peu à peu les laborieuses phases d’expérimentation.
Résultat : les cycles de développement se raccourcissent, l’innovation devient continue, auto-renforcée.
7.4 – L’omni-usage : plus, c'est plus
Troisième caractéristique : l’omni-usage.
Là où les technologies d’hier étaient souvent conçues pour un usage spécifique, celles de la vague à venir sont d’une polyvalence extrême.
Cette généralité rend les technologies actuelles à la fois incroyablement puissantes et dangereusement imprévisibles. Un exemple glaçant : une IA, initialement conçue pour découvrir de nouveaux médicaments, a généré, en six heures, "plus de 40 000 nouvelles molécules potentielles d'une toxicité comparable à celle des armes chimiques les plus dangereuses". Non par malveillance, mais simplement parce qu’elle pouvait.
D’autres systèmes, comme Gato de DeepMind, peuvent accomplir plus de 600 tâches différentes. Cette capacité à tout faire, ou presque, rend leur contrôle bien plus complexe.
Finalement, plus une technologie peut servir à tout, plus il est difficile de limiter ses usages au bien.
7.5 - L'autonomie et au-delà : les humains seront-ils dans la boucle ?
Enfin, la dernière caractéristique, peut-être la plus radicale : l’autonomie croissante des systèmes.
Pour la première fois dans l’histoire, la technologie commence à fonctionner sans supervision humaine directe. "Garder les humains "dans la boucle"", comme on dit, pourrait rester souhaitable… mais ne sera plus indispensable.
Et ce n’est pas tout : plus ces systèmes sont avancés et gagnent en autonomie, plus ils deviennent opaques. Les réseaux neuronaux fonctionnent comme des "boîtes noires" : leurs décisions échappent à l’analyse. Ces systèmes deviennent trop complexes pour être entièrement compris, même par leurs créateurs.
7.6 – Le renversement de position de l’humain
En conclusion, les auteurs évoquent le "problème du gorille" : l’humain a dominé les gorilles, non pas par sa force, mais par son intelligence. Alors… que se passera-t-il si une entité plus intelligente que nous apparaît ? Si nous devenons, à notre tour, les gorilles de l’histoire ?
Chapitre 8 - D'irrésistibles motivations
Pourquoi la vague technologique est-elle si difficile à freiner ?
Dans ce nouveau chapitre, Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar examinent les motivations profondes qui alimentent son expansion : cinq forces puissantes, enracinées dans nos sociétés, nos institutions et nos instincts. C’est ce mélange de géopolitique, de science, d’économie, de survie… et d’ego, qui rend tout véritable contrôle si complexe.
8.1 – La fierté nationale, nécessité stratégique
Tout commence avec un choc symbolique : en 2016, le programme AlphaGo bat le champion de go Lee Sedol en Corée du Sud.
Plus de 280 millions de spectateurs suivent ce match en Asie. En Chine, cet évènement est vécu comme une véritable "crise Spoutnik" dans le domaine de l'IA. Cette défaite galvanise le gouvernement chinois, qui en réponse, lance l’année suivante un ambitieux "Plan de développement de la nouvelle génération d'intelligence artificielle" visant à faire de la Chine "le principal centre mondial d'innovation de l'IA" d'ici 2030.
Les auteurs documentent alors la montée spectaculaire de la Chine dans le domaine technologique : explosion des publications scientifiques, percée dans les brevets, avance en informatique quantique. Mais la compétition dépasse le duopole sino-américain. L’Inde s’impose, d’autres nations tracent leur stratégie.
Dans cette course internationale aux armements technologiques, "choisir de limiter son développement technologique" lancent les auteurs, "c'est faire le pari de la défaite".
8.2 – Le culte de l’ouverture scientifique
La deuxième motivation est l'impératif d'ouverture qui domine la recherche scientifique.
Mustafa Suleyman décrit ici comment le système de publication, d'évaluation par les pairs et de reconnaissance académique pousse inexorablement vers le partage des découvertes : les chercheurs sont jugés sur leurs publications, les financeurs privilégient les travaux ouverts, et même les géants de la tech doivent publier pour attirer les meilleurs talents.
Cette dynamique crée finalement un écosystème mondial où l'information circule librement, les découvertes s’échangent, les innovations se diffusent.
Tenter de tout centraliser ou verrouiller devient alors illusoire.
8.3 – Le potentiel économique : une occasion à 100 000 milliards de dollars
Le potentiel économique colossal constitue une troisième "motivation irrésistible".
Les auteurs racontent comment, au XIXe siècle, l'essor des chemins de fer britanniques a déclenché "probablement la plus grande bulle spéculative de l'histoire", mais a néanmoins transformé durablement le pays.
Aujourd’hui, les projections donnent le vertige : 15 700 milliards de dollars de croissance grâce à l’IA d’ici 2030, 4 000 milliards grâce à la biotechnologie. À plus long terme, la vague pourrait générer "environ 100 000 milliards de dollars de PIB supplémentaire".
Avec de telles perspectives, comment imaginer que les États ou les entreprises freinent volontairement leur élan ?
8.4 - Les défis planétaires qui appellent des solutions technologiques
Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar exposent ensuite comment les défis mondiaux pressants - changement climatique, crise énergétique, alimentation d'une population croissante - nous poussent vers les nouvelles technologies.
Face à des crises globales, la vague technologique apparaît, en effet, comme une alliée incontournable, capable d’apporter potentiellement des solutions.
Les auteurs citent des exemples concrets : des IA capables de concevoir des enzymes décomposant le plastique, des simulations quantiques pour imaginer de nouvelles batteries, des innovations agricoles pour nourrir une population croissante.
Ils réfutent le "technosolutionnisme naïf", mais reconnaissent que "penser que nous pourrons relever les défis majeurs du siècle sans les nouvelles technologies est tout aussi absurde".
8.5 - L'ego humain, moteur discret mais bien réel
Enfin, dernière motivation souvent sous-estimée mais terriblement humaine : l’ego.
L'ego des chercheurs et innovateurs. Leur quête de reconnaissance, de gloire intellectuelle, d’accomplissement personnel. Mustafa Suleyman le dit clairement : motivés par "la perspective d'accomplir une percée ou de mettre leur nom sur une publication marquante", les scientifiques et ingénieurs veulent entrer dan l’histoire, publier l’article décisif, faire “la” découverte.
L’auteur cite J. Robert Oppenheimer à ce propos : "Quand vous voyez quelque chose de techniquement séduisant, vous allez de l'avant et vous le faites, et vous ne vous demandez ce que vous pourrez en faire qu'une fois que vous avez réussi à le faire."
8.6 - L’addition irrésistible de cinq forces
En conclusion, ces cinq motivations - géopolitique, scientifique, économique, existentielle et personnelle - convergent pour former une dynamique puissante, irrésistible, rendant l’endiguement technologique extrêmement difficile.
Vouloir freiner cette vague revient à affronter des courants profonds, systémiques, universels. Comme le résument les auteurs : "C'est le problème d'action collective suprême."
Partie III - États d'échec
Chapitre 9 - Le grand pacte
9.1 - Le pacte fondateur entre citoyens et État
La 3ème partie du livre "La Déferlante" commence par rappeler le socle sur lequel repose notre organisation politique : un pacte implicite entre les citoyens et l'État-nation.
Ce pacte repose sur l'idée que la centralisation du pouvoir, malgré ses risques, apporte plus de bienfaits que de dangers.
Ainsi, en échange du monopole de la violence légitime et d’un certain contrôle, l’État s’engage à garantir paix, sécurité et prospérité. Un compromis imparfait mais historiquement considéré comme efficace.
9.2 - Un pacte en crise face à la technologie
Oui, mais voilà, aujourd’hui, ce pacte vacille, commence à s’essouffler. Et la technologie est en grande partie responsable de cette fragilisation. Mustafa Suleyman pose alors la question de fond :
"Si l'État est incapable de coordonner l'endiguement de cette vague, incapable de veiller à ce qu'elle apporte un bénéfice net à ses citoyens, quelles sont les options pour l'humanité ?"
9.3 - Institutions paralysées, tech en accélération
L'auteur partage son expérience personnelle pour illustrer cette tension.
Avant de faire carrière dans l'IA, Mustafa Suleyman a travaillé au gouvernement et dans le secteur associatif. Il a pu y observer directement les forces et les insuffisances des institutions.
Il raconte son expérience notamment lors des négociations climatiques de Copenhague en 2009, où il tenta de rassembler ONG et scientifiques autour d’une position cohérente commune. Ce fut un échec : "Il a été impossible d'arriver à un consensus sur quoi que ce soit. Pour commencer, personne n'a pu se mettre d'accord sur les données scientifiques, ou sur la réalité de ce qui se passait sur le terrain."
Fragmentation, inertie, manque de coordination : ce travail, comme celui à la mairie de Londres, lui a ainsi montré les limites criantes des structures institutionnelles.
Dans le même temps, l’auteur observait l’ascension éclair des géants de la tech : Facebook atteignait 100 millions d’utilisateurs en un temps record, pendant que les gouvernements piétinaient sur des décisions cruciales.
Ce contraste influença profondément la décision de Suleyman se tourner vers la technologie, perçue comme un levier d’action plus rapide, plus efficace.
9.4 - Chaque grande technologie redéfinit les structures de pouvoir
Pour les auteurs, technologie et ordre politique sont intimement liés. Les technologies ont toujours eu des implications politiques profondes, de l'écriture qui a permis de standardiser l'administration jusqu'aux armes qui ont consolidé le monopole de la violence étatique.
Aujourd’hui, la vague à venir pourrait pousser les États dans deux directions opposées, toutes deux périlleuses :
D’un côté, l’érosion des démocraties libérales, incapables de suivre le rythme, jusqu’à devenir des "gouvernements zombies", vidés de leur substance, de leur pouvoir réel.
De l’autre, l’essor de super-États autoritaires, dopés par la technologie, ouvrira la porte à des "Léviathans sous stéroïdes", des régimes capables de surveillance et de contrôle d'une puissance sans précédent.
9.5 - Le besoin vital de nouveaux États
Pour juguler cette déferlante, concluent les auteurs, il faudrait des États d’un nouveau type : des "États sûrs d'eux, agiles, cohérents, qui rendent des comptes à leur population". Des gouvernements capables de réguler sans bloquer, d'équilibrer intérêts et incitations, de répondre à des défis qui dépassent les frontières tout en coordonnant leurs actions à l'échelle internationale.
Malheureusement, pointent les auteurs, la réalité est tout autre : nos institutions sont de plus en plus fragiles, lentes, divisées, souvent incapables de se réformer face à un défi aussi monumental. Et c’est là, selon eux, que réside l’un des plus grands risques du XXIe siècle.
Chapitre 10 - Amplificateurs de fragilité
10.1 Des acteurs minuscules capables de frapper des cibles géantes.
Le chapitre s’ouvre sur un récit d’une cyberattaque aussi spectaculaire qu’inquiétant : en 2017, l’attaque par rançongiciel WannaCry paralyse le système de santé britannique.
En quelques heures, celle-ci s’est propagée dans 150 pays. Plus troublant encore, le logiciel malveillant utilisé était basé sur une technologie développée par la NSA américaine, avant d’être volée et retournée contre ses propres alliés, les infrastructures occidentales.
Pour Mustafa Suleyman, cette cyberattaque incarne parfaitement ce qu’il appelle "l'asymétrie non endiguée en action" : la capacité pour de petits groupes, ou même des individus, de frapper des structures massives, avec une efficacité disproportionnée.
Et selon lui, ce n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. L’avenir pourrait être peuplé d’IA autonomes, capables de détecter, d’exploiter les failles de nos systèmes et d’adapter en temps réel des attaques contre les systèmes les plus sensibles.
10.2 - La démocratisation imminente de l'accès au pouvoir
La tendance de fond, expliquent les auteurs, est claire : l’accès au pouvoir est en train de se démocratiser. Comme Internet a réduit le coût d’accès à l’information, la prochaine vague technologique réduit celui de l’action. Exercer un pouvoir concret sur le monde, qu’il s’agisse de communiquer, de nuire, d’influencer, ou d’innover, devient de plus en plus facile, rapide, et accessible :
"Sur le modèle de la baisse des coûts du traitement et de la diffusion de l'information à l'ère de l'Internet grand public, la prochaine vague fera chuter le prix à payer pour agir sur le monde, pour passer à l'action, pour exercer du pouvoir."
10.3 - Un monde sous tension : quand la technologie fragilise nos fondations
Les auteurs de "La Déferlante" passent en revue plusieurs domaines où cette tendance amplifie des fragilités déjà existantes :
Les robots armés et drones autonomes => la violence devient dramatiquement bon marché
L’assassinat du scientifique nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh en est un exemple glaçant : exécuté à distance par un "tireur d'élite high-tech informatisé" télécommandé via satellite. En une décennie, le prix des drones militaires a été divisé par mille ("décru de trois zéros"). Résultat : ce qui relevait autrefois des arsenaux d’État est désormais à portée de groupes non-étatiques, voire de particuliers.
La mésinformation et les deepfakes => la confiance sociale vacille
Les technologies de manipulation de l’image et du son menacent les fondements de nos sociétés. Lors des élections locales de 2020 en Inde, un politicien s’est adressé à ses électeurs dans un dialecte qu’il ne parlait même pas, grâce à un deepfake. Et ce n’est qu’un début. Demain, ces vidéos seront "complètement interactives", ultra-ciblées, personnalisées, adaptées aux vulnérabilités spécifiques de chaque individu.
La biotechnologie => les laboratoires sont sous tension
Les accidents biotechnologiques, comme les fuites de laboratoire, constituent un autre risque majeur. Même les laboratoires ultra-sécurisés ne sont pas à l’abri. Les auteurs rappellent l’exemple de l’épidémie de la "grippe russe" de 1977, probablement échappée d'un laboratoire, qui a fait 700 000 morts. Malgré les protocoles de sécurité les plus stricts, "entre 1975 et 2016, des chercheurs ont dressé la liste d'au moins 71 expositions délibérées ou accidentelles à des pathogènes hautement infectieux".
L’automatisation => la fin du travail tel que nous le connaissons
Enfin, l'automatisation du travail menace de bouleverser les équilibres sociaux. Contrairement aux visions optimistes d’une "collaboration homme-machine", l'auteur prend position dans ce débat :
"Ces outils n'augmenteront l'intelligence humaine que temporairement. Ils nous rendront plus intelligents et plus efficaces pendant un moment [...], mais ils sont, fondamentalement, destinés à nous remplacer en tant que main-d'œuvre."
10.4 - Un mouvement unique, aux visages multiples
Mustafa Suleyman conclut en soulignant que tous ces phénomènes ne doivent pas être vus séparément. Ils sont les manifestations multiples d’un même mouvement cohérent : la baisse spectaculaire du coût de l’action dans un monde hyperconnecté. Ce changement ne profite pas seulement aux "acteurs malveillants et solitaires" ou aux "start-ups agiles" : il redistribue le pouvoir à travers l’ensemble de la société, et, ce faisant, rend nos systèmes plus performants… mais aussi plus fragiles que jamais.
Chapitre 11 - L'avenir des nations
Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar inaugurent ce chapitre avec une métaphore historique éloquente : l'étrier.
Cette invention apparemment anodine a bouleversé l’art de la guerre et accéléré l’émergence du féodalisme en Europe.
Pour les auteurs, c’est un exemple révélateur : parfois, une technologie minuscule peut entièrement reconfigurer l’ordre politique et social. Ce qui se profile aujourd’hui suit la même logique, mais à une échelle radicalement plus vaste.
Les technologies à venir soumettront l’État-nation à deux forces simultanées, et profondément contradictoires centralisatrices et décentralisatrices : la concentration extrême du pouvoir… et sa fragmentation accélérée.
11.1 - Concentrations : les rendements composés de l'intelligence
Les auteurs nous ramènent d’abord dans le passé, à l’époque où la Compagnie britannique des Indes orientales était devenue une véritable puissance politique contrôlant plus de terres et de personnes que l'Europe entière.
Ils établissent un parallèle avec notre époque, où des méga-corporations acquièrent déjà un pouvoir rivalisant avec celui des États.
Aujourd’hui, Apple par exemple vaut à elle seule plus que l’ensemble des entreprises du FTSE 100 britannique. Tandis que le total des revenus des entreprises du Fortune Global 500 représente 44 % du PIB mondial.
Et ce n’est qu’un début. Cette concentration va s'intensifier avec la vague technologique à venir.
Les auteurs décrivent comment la dématérialisation des produits en services permettra aux grandes entreprises de contrôler des secteurs entiers de l'économie : à mesure que les produits sont stockés dans le cloud, mis à jour à distance, contrôlés par logiciels, les grandes entreprises capturent toujours plus de valeur. Avec la combinaison de l’IA, des biotechnologies et de technologies de fabrication avancées l’automatisation avancée, "un écart d'intelligence infranchissable " se dessine entre ceux qui maîtrisent ces outils et les autres.
11.2 - La surveillance, ou le propergol de l'autoritarisme
L’autre menace vient de l’État lui-même. Quand la technologie est utilisée non pour émanciper, mais pour surveiller, elle devient un levier autoritaire d’une efficacité redoutable.
Mustafa Suleyman prend l’exemple du Xinjiang, en Chine, où reconnaissance faciale omniprésente, collecte de données, contrôle algorithmique et pistage permanent des citoyens créent une société de surveillance totale. Mais il signale : cette dérive de surveillance n'est pas l'apanage des régimes autoritaires.
Londres, par exemple, rivalise avec Shenzhen en nombre de caméras par habitant. Des entreprises privées occidentales, comme Vigilant Solutions, collectent et vendent des données de géolocalisation à grande échelle.
Le danger ultime de ces systèmes : la fusion de toutes ces données en un "panoptique high-tech global" capable non seulement d’observer chaque mouvement, mais aussi d’anticiper, voire de diriger, les comportements humains.
11.3 - Fragmentations : le pouvoir au peuple
Mais en miroir, les mêmes technologies qui permettent cette concentration du pouvoir facilitent paradoxalement sa fragmentation : l’émergence de nouveaux pouvoirs, plus diffus, plus localisés. Les auteurs prennent l'exemple du Hezbollah, cette "entité hybride" qui fonctionne comme un État dans l'État au Liban. Un exemple parmi d’autres pour illustrer comment de petites organisations peuvent désormais assumer des fonctions traditionnellement réservées aux États sans en être un.
Demain, des communautés, même modestes, pourraient s’organiser en quasi-sociétés autonomes. Grâce à l’énergie solaire à bas coût, aux écoles pilotées par IA, à l’impression 3D ou à la fabrication locale automatisée, vivre “hors système” pourrait devenir une option réaliste. Une vie connectée, mais affranchie des grandes structures étatiques.
11.4 - La vague montante de contradictions
En conclusion, les auteurs insistent sur le caractère paradoxal de ces évolutions.
La vague technologique qui vient concentre le pouvoir tout en le dispersant. Elle provoque ainsi simultanément centralisation et décentralisation, amplification des pouvoirs existants et émergence de nouveaux centres de pouvoir.
Elle renforce les superstructures tout en donnant naissance à des micro-sociétés. Internet en avait déjà esquissé les contours, avec l’émergence simultanée de géants monopolistiques et d’une myriade de communautés indépendantes, mais la prochaine vague portera ces contradictions à un niveau inégalé.
Les auteurs nous avertissent que ces tensions internes antagonistes vont mettre l'État-nation sous pression, jusqu'à un possible point de rupture.
Entre Léviathan technologique et tribalisme autonome, les contours du "dilemme majeur du XXIe siècle" se dessinent là : comment gouverner un monde où tout, simultanément, se centralise et se dissout ?"
Chapitre 12 - Le dilemme
Nous arrivons ici au cœur du livre : le nœud du problème, le point de bascule.
Dans ce 12ème chapitre de "La Déferlante", les auteurs examinent les issues possibles de la vague technologique : celles-ci sont toutes inconfortables. À mesure que le pouvoir technologique s’accroît, l’humanité se retrouve coincée entre plusieurs formes de catastrophe.
12.1 - Catastrophe : l'échec ultime
Le chapitre débute par un rappel sombre : l'histoire humaine est jalonnée de catastrophes.
Famines, guerres, pandémies : certaines ont décimé jusqu'à 30 % de la population mondiale. Ce qui change avec la vague technologique à venir, c’est l’échelle et la rapidité des risques : nous ne repoussons plus seulement les limites du progrès, mais nous repoussons aussi plus loin les limites du danger que nous encourons.
Mustafa Suleyman reconnaît que la majorité des technologies seront utilisées à des fins bénéfiques, mais affirment que les cas marginaux d'usage malveillant peuvent entraîner des conséquences dévastatrices. Aussi, sans méthodes d'endiguement efficaces, la probabilité de catastrophes comme une pandémie planifiée devient inquiétante.
12.2 - Variétés de catastrophes
Les auteurs décrivent plusieurs scénarios catastrophiques plausibles : attaques d'essaims de drones armés, dissémination de pathogènes sur mesure, ou campagnes de désinformation ultraciblées. Ils nous invitent à imaginer ces événements se produisant simultanément, dans des centaines de lieux différents.
Et cela ne concerne pas uniquement l’IA. D'autres risques existent : guerres déclenchées accidentellement par des systèmes autonomes, sabotages d'écosystèmes entiers, ou pandémies artificielles à transmissibilité élevée. Un virus avec un taux de reproduction de 4 et un taux de mortalité de 50 % pourrait causer plus d'un milliard de morts en quelques mois.
12.3 - Le virage dystopique
Face à ces menaces, la réaction prévisible des gouvernements sera de chercher à tout contrôler. Et là se dessine un autre péril : le glissement vers une société de surveillance totale. Prévenir la catastrophe nécessiterait une supervision permanente de "chaque laboratoire, chaque usine, chaque serveur, chaque nouvel élément de code, chaque brin d'ADN synthétisé"
Une entreprise titanesque… et incompatible avec la liberté. Les auteurs de "La Déferlante" rappellent à quel point les mesures de confinement du COVID, jugées inimaginables peu de temps avant, ont été acceptées en urgence. Qu’en serait-il après une attaque biotechnologique ou un désastre technologique majeur ? Cela pourrait déclencher une réaction similaire mais permanente.
Ce serait le scénario de l’IAtocratie : un ordre répressif, où la peur légitime un régime autoritaire et hyper-technologique, et dans lequel la sécurité s'obtient au prix de la liberté.
12.4 - La stagnation : un autre genre de catastrophe
Mais l’alternative - renoncer complètement au progrès technologique - n’est pas plus attrayante.
Car "la civilisation moderne signe des chèques que seul un développement technologique continu peut encaisser" écrivent les auteurs. Une façon de rappeler que l'histoire des civilisations est celle de leur effondrement, et que seule l'innovation continue nous a permis d'échapper à ce destin jusqu'à présent.
En effet, notre civilisation, selon Mustafa Suleyman, fonctionne à crédit sur l’innovation. Sans elle, nous serions incapables de relever le défi démographique, à la raréfaction des ressources ou encore au dérèglement climatique.
Un moratoire technologique global, même bien intentionné, pourrait entraîner une lente agonie civilisationnelle. Cela ne ferait que nous conduire vers "une autre forme de dystopie, un autre genre de catastrophe" lancent l’auteur.
Le dilemme, au fond, est celui-ci :
Si nous accélérons, nous risquons l’effondrement.
Si nous freinons, nous risquons l’asphyxie.
Si nous voulons tout contrôler, nous risquons la tyrannie.
Aucune de ces issues n’est satisfaisante. C’est le dilemme majeur, le nœud existentiel du XXIe siècle : coincés entre risque catastrophique, surveillance dystopique et stagnation délétère.
La seule voie viable, conclue Mustafa Suleyman, est de réussir l’impossible : tirer parti des bénéfices de la vague technologique tout en évitant ses abîmes. Un défi colossal, qui engage rien de moins que l’avenir de l’humanité.
Partie IV - Franchir la vague
Chapitre 13 - L'endiguement doit être possible
Cette dernière partie du livre "La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle" est celle de la réponse, du sursaut.
Mustafa Suleyman y partage un aveu personnel : à l’origine, il voulait écrire un livre optimiste sur l’avenir de la technologie. Mais la pandémie de COVID-19, en suspendant le monde, lui a donné le temps de réfléchir, et l’occasion de voir les choses autrement. Il en est sorti avec une conviction plus lucide : un bouleversement sismique approche, il est inévitable, et il ne sert à rien de s’en détourner. Nous devons l'affronter directement.
13.1 - Le prix de la dispersion des idées
Face à cette déferlante technologique, la réponse facile est de crier "Régulation !". Mais pour Mustafa Suleyman, ce réflexe, aussi compréhensible soit-il, relève de l’aversion au pessimisme. Il cache une forme d’évitement, une manière de ne pas regarder le problème en face. Et cette solution apparemment évidente se révèle insuffisante quand on l'examine de près.
En effet, les réponses actuelles sont, en réalité, complètement éparpillées. Les débats sur la technologie se déroulent en discussions fragmentés en silos : ici l’IA, là la biologie, ailleurs les drones… sans vision d’ensemble. Et sans reconnaissance que tous ces phénomènes font partie d'une même vague.
Les gouvernements, même animés des meilleures intentions, sont débordés. Ils gèrent plusieurs crises à la fois, et manquent cruellement d’expertise technique pour comprendre les technologies qu’ils sont censés encadrer.
De plus, le rythme effréné de l'innovation technologique, remarque l’auteur, dépasse largement celui de la législation : "La technologie évolue d'une semaine à l'autre. Rédiger et faire adopter une législation prend des années."
L’écart se creuse alors, dangereusement.
13.2 - La régulation ne suffit pas
Mustafa Suleyman prend alors l’exemple de la loi européenne sur l’IA, souvent citée comme modèle. Malgré ses mérites, elle illustre parfaitement, selon lui, les limites de l’approche réglementaire : critiquée pour être à la fois trop stricte et trop permissive, trop favorable aux entreprises et trop contraignante pour l’innovation. Le compromis devient flou, inefficace.
Plus fondamentalement, l'auteur explique pourquoi la régulation seule échouera : elle ne peut pas contrer la course géopolitique, la pression économique, la quête de prestige scientifique qui propulsent la vague technologique.
Chaque nation veut contenir les risques… sans perdre sa place dans la course. C’est une contradiction insoluble, qui rend tout accord international stable quasi impossible. Tant que ces forces restent intactes, la régulation seule ne pourra jamais suffire, observe ainsi l’auteur.
13.3 - L'endiguement revisité : un nouveau grand pacte
Face à ces limites, Mustafa Suleyman propose de repenser l’endiguement, qu’il redéfinit ici comme "la capacité de limiter drastiquement ou même de supprimer entièrement les effets négatifs de la technologie".
Il ne s’agit pas d’enfermer les technologies dangereuses dans une "boîte magique" ou de parier naïvement sur l’autorégulation. Il imagine plutôt un système complexe et coordonné : fait d’un ensemble de mesures techniques, culturelles et réglementaires.
Pour évaluer la possibilité réelle d’endiguer une technologie, l’auteur propose une série de questions stratégiques :
Est-elle omni-usage ou limitée à un usage précis ?
Se dématérialise-t-elle facilement ?
Son coût et sa complexité chutent-ils rapidement ?
Existe-t-il des alternatives viables ?
Ses effets sont-ils asymétriques ?
Présente-t-elle des caractéristiques autonomes ?
Confère-t-elle un avantage stratégique géopolitique décisif ?
Sert-elle plutôt l’attaque ou la défense ?
Son développement est-il contraint par des ressources rares ?
Ces critères permettent d’anticiper les difficultés à la contrôler, et d’imaginer des leviers d’action réalistes.
13.4 - Avant le déluge
Ce chapitre se conclut sur une mise en garde, mais aussi un appel à l’action.
Mustafa Suleyman reconnaît la difficulté à faire comprendre l'urgence de la situation, la comparant au défi du changement climatique. Contrairement au réchauffement climatique, note-t-il, il n'existe pas, pour le risque technologique, d'indicateurs objectifs universellement reconnus ni d’images fortes. Les risques sont abstraits, invisibles : pas de parties par million de CO2 à mesurer, pas d'images d'ours polaires en détresse ou de forêts en feu pour cristalliser l'attention du public.
Et pourtant, le danger est là, réel, proche, mais pas irréversible. Oui, malgré tout, l'auteur reste convaincu que nous pouvons encore agir : "la vague à venir vient réellement, mais elle n'a pas encore déferlé sur nous" lance -t-il.
Il reste donc un peu de temps. Pas pour l’ignorer, mais pour nous préparer. Pour imaginer un nouveau pacte, à la hauteur de ce qui arrive.
Chapitre 14 - Dix étapes vers l'endiguement
Dans le dernier chapitre du livre "La Déferlante", Mustafa Suleyman présente une feuille de route en dix étapes pour tenter de contenir la vague technologique avant qu’elle ne nous submerge.
Il les présente comme des cercles concentriques, partant des mesures techniques concrètes pour s'élargir progressivement vers les transformations culturelles et sociales nécessaires.
L’idée n’est pas de freiner le progrès, mais de lui imposer un cadre robuste, intelligent, et surtout collectif.
14.1 - Étape 1 => Sécurité : un programme apollo pour la sécurité technique
Les auteurs commencent par réclamer un engagement massif en faveur de la sécurité technique.
Ils insistent : il faut lancer un effort mondial, à la hauteur du programme spatial Apollo, dédié à la conception de mécanismes de sécurité dans l’intelligence artificielle. Il cite l’exemple du RLHF (apprentissage par renforcement à partir de retours humains), qui a permis de corriger en partie les biais racistes dans les premiers modèles de langage.
Car jusqu’à aujourd’hui, dénonce Mustafa Suleyman, l’investissement dans la recherche sur la sécurité reste dérisoire : en 2021, seule une centaine de chercheurs dispersée dans de grands laboratoires du mondetravaillaient à temps plein sur la sécurité de l’IA. En 2022, à peine 300 ou 400. Un chiffre ridiculement bas au regard des enjeux.
Face à ce déficit, l’auteur préconise un "programme Apollo pour la sécurité" qui mobiliserait des centaines de milliers de personnes et imposerait à chaque entreprise de consacrer au moins 20 % de ses ressources aux questions de sécurité.
14.2 - Étapes 2 à 5 => De l'audit aux entreprises
Dans les deux étapes suivantes, Mustafa Suleyman développe une série de stratégies complémentaires :
Mettre en place des systèmes d'audit rigoureux pour garantir la transparence et l'intégrité des technologies avancées.
Exploiter les "points d'étranglement" (comme les semi-conducteurs avancés) pour ralentir temporairement la diffusion technologique, et avoir ainsi le temps de déployer des garde-fous.
Responsabiliser les entreprises : ce sont les entreprises qui conçoivent les technologies, elles doivent donc aussi en porter les conséquences. Mustafa Suleyman partage ses propres expériences chez DeepMind et Google, où il a tenté (souvent sans succès) d’instaurer des formes de gouvernance qui équilibrent profit et responsabilité sociale.
14.3 - Étapes 6 et 7 => Des gouvernements aux alliances
Les auteurs rappellent, dans les étapes suivantes, le rôle fondamental des États-nations et de leur coopération.
Ils doivent, selon eux :
Renforcer leur expertise technique interne pour ne plus être à la traîne face aux géants du numérique.
Rééquilibrer la fiscalité pour favoriser le travail plutôt que le capital : dans un monde où l’IA automatise le travail, il faut commencer à envisager une fiscalité qui taxe le capital, et notamment les grandes sociétés elles-mêmes, pas uniquement leurs profits ou leurs actionnaires.
Au niveau global, les auteurs du livre "La Déferlante" soulignent que des accords internationaux sont possibles : l’interdiction des armes laser aveuglantes en est un exemple. Ils appellent à la création d’une autorité internationale d’audit sur l’IA, capable de surveiller les percées critiques et de tirer la sonnette d’alarme avant qu’un seuil dangereux ne soit franchi.
14.4 - Étapes 8 à 10 => De la culture à la ligne de crête
Les dernières étapes de cette feuille de route vont au-delà des institutions. Elles touchent à notre culture collective. Les auteurs de "La Déferlante" appellent à :
Développer une culture de la sécurité, comparable à celle du monde de l’aviation qui a réussi à réduire drastiquement les accidents grâce à un apprentissage systématique des erreurs : un système où l’erreur est analysée, documentée, partagée, et où chaque incident fait progresser la sécurité globale.
Un mouvement populaire mondial. Rien ne changera sans pression citoyenne. Comme dans tous les grands tournants historiques, "le changement se produit quand les gens le réclament".
Cette partie se termine avec la métaphore de la ligne de crête, un sentier étroit, escarpé, périlleux, à mi-chemin entre deux abîmes : d'un côté la catastrophe provoquée par une technologie hors de contrôle, de l'autre la dystopie d'une surveillance totale. Comme pour la démocratie libérale, explique Mustafa Suleyman, il n'y a pas de destination finale sûre, mais plutôt un équilibre perpétuel à maintenir.
14.5 – "Affronter le grand dilemme du XXIème siècle doit être possible"
Enfin, l'auteur interroge : "L'endiguement de la vague à venir est-il possible ?". "Malgré les preuves convaincantes de l’impossibilité de réaliser l’endiguement, je reste un optimiste invétéré" répond-il, avant de poursuivre :
"Ce n’est pas parce que l’endiguement est un terrible défi que nous devons nous en détourner ; il faut y voir un appel à l’action, une mission générationnelle à laquelle nous devons tous faire face. Si nous - nous, l’humanité - sommes capables de modifier le contexte par un foisonnement de mouvements, d’entreprises et de gouvernements nouveaux et engagés, par des motivations révisées, des ressources techniques, des connaissances et des garde-fous renforcés, nous pourrons créer les conditions qui nous permettront de nous engager sur ce sentier périlleux avec une lueur d’espoir."
Bien sûr, conclut Mustafa Suleyman :
"Transformer fondamentalement nos sociétés, nos instincts humains et les modèles de l’histoire exigera un effort formidable. Rien ne garantit que nous y parviendrons. Cela paraît impossible. Pourtant, affronter le grand dilemme du XXI ème siècle doit être possible. Nous devons tous nous faire à la perspective de vivre avec les contradictions de cette ère de changement exponentiel et de déploiement de pouvoirs. Imaginer le pire, s’y préparer, tout donner. Suivre obstinément la ligne de crête. Conquérir un monde au-delà des élites insistantes et arrivistes. Si suffisamment de gens s’engagent dans la construction de ce "nous" insaisissable, ces lueurs d’espoir se transformeront en brasiers de changement."
Sur cette note lucide mais résolument tournée vers l’action, les auteurs terminent leur livre. Ils ne proposent ni utopie naïve ni fatalisme désabusé, mais un plan. Une stratégie. Un espoir. En somme, si nous voulons éviter le pire sans renoncer au meilleur, nous devons apprendre à canaliser la vague… avant qu’elle ne nous emporte.
La vie après l'anthropocène
Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar clôturent leur ouvrage par le récit des luddites, ces tisserands qui, au début du XIXe siècle, sabotaient les métiers mécaniques qui menaçaient leurs emplois, leur savoir-faire et leur mode de vie. Leur révolte fut instinctive, presque désespérée, mais comme toujours, finalement vaine.
Les auteurs voient dans cette réaction un parallèle avec notre époque : nous sommes, nous aussi, confrontés à une vague technologique déstabilisante, mais cette fois, il ne suffira pas de résister. Il nous faudra réussir à l’endiguer intelligemment.
Il reconnaît que la peur face à ces mutations est légitime, qu’un réflexe de rejet est naturel. Mais refuser le changement ne l’empêchera pas d’advenir. La seule voie raisonnable consiste à le canaliser, à le plier à notre volonté collective, au service du bien commun.
Les auteurs esquissent alors un futur possible, ni utopique, ni dystopique, mais profondément transformé. Un monde où les IA seraient nos "acolytes", nos "confidentes", nos "collaboratrices" quotidiennes. Où les usines produiraient localement, en circuit court, avec une efficacité optimisée par l’automatisation. Où le génome humain, devenu une "donnée élastique", permettrait des avancées radicales dans la santé et la longévité.
Mais à une condition : que nous restions aux commandes.
La technologie, martèlent-ils, ne doit jamais être une finalité en soi. Elle n’a de valeur que si elle amplifie notre humanité, si elle élève notre existence, si elle reste au service de nos valeurs, et non l’inverse. "L'endiguement doit réécrire l'histoire" en adaptant la technologie à nos besoins plutôt que l'inverse en somme.
Dès lors, il ne s’agit pas seulement d’éviter la catastrophe, ni de freiner le progrès, mais de redéfinir le sens même de l’innovation. De choisir délibérément les directions que prendra cette vague, et non de s’y abandonner passivement.
Et c’est, concluent-ils, "un défi monumental", le défi central du XXIe siècle, dont dépendra "la qualité et la nature de la vie quotidienne" pour les siècles à venir.
Les auteurs
Cette section en fin d’ouvrage nous en apprend un peu plus sur les auteurs de "La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle" :
Mustafa Suleyman, cofondateur de DeepMind puis vice-président chez Google, dirige aujourd'hui Inflection AI. Avant sa carrière dans la tech, il avait quitté ses études à Oxford pour lancer un service téléphonique de soutien psychologique.
Michael Bhaskar est écrivain et éditeur britannique, auteur de plusieurs livres dont "Human Frontiers".
Conclusion de "La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle" de Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar
- Trois idées fortes à retenir du livre "La Déferlante"
Idée clé n°1 : Une supervague technologique inédite déferle, combinant intelligence artificielle et biologie synthétique
Selon les auteurs, Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar, nous assistons à une convergence historique sans précédent : pour la première fois dans l'histoire humaine, nous manipulons simultanément les deux fondements universels de la réalité : l'intelligence et la vie elle-même.
Cette "supervague" se caractérise par quatre traits distinctifs :
L'asymétrie => permettant à de petits acteurs d'exercer un pouvoir disproportionné,
L'hyper-évolution => une accélération continue de l'innovation,
L'omni-usage => des technologies polyvalentes aux applications infinies,
L'autonomie croissante des systèmes.
Les auteurs démontrent avec force, exemples à l'appui (d'AlphaGo à CRISPR), que cette vague n'est plus une perspective d'avenir mais une réalité déjà en marche, portée par cinq motivations irrésistibles :
La compétition géopolitique,
L'impératif scientifique,
Les perspectives économiques colossales,
Les défis planétaires pressants,
L'ego humain.
Idée clé n°2 : Le "grand pacte" entre citoyens et États vacille face à l'incapacité d'endiguer cette déferlante
"La Déferlante" expose comment les structures traditionnelles de pouvoir se fissurent sous la pression technologique.
Les États-nations, fondés sur le monopole de la violence légitime, se retrouvent dépassés par des technologies qui redistribuent le pouvoir de façon chaotique.
D'un côté, nous risquons l'émergence de "Léviathans sous stéroïdes" : des régimes autoritaires dopés par la surveillance technologique.
De l'autre, la fragmentation du pouvoir pourrait conduire à l'érosion des démocraties libérales, transformées en "gouvernements zombies" vidés de leur substance.
Mustafa Suleyman illustre cette tension par son expérience personnelle : témoin de l'inertie institutionnelle lors des négociations climatiques de Copenhague, puis de l'ascension fulgurante des géants technologiques, il saisit l'ampleur du décalage entre la vitesse de l'innovation et celle de la gouvernance.
Idée clé n°3 : L'endiguement intelligent reste possible mais exige une transformation radicale de nos approches
Loin de sombrer dans le fatalisme, les auteurs de "La Déferlante" tracent une voie d'espoir pragmatique : la "ligne de crête", cet équilibre précaire entre catastrophe et dystopie.
Leur plan en dix étapes - du renforcement massif de la sécurité technique à la création d'une culture mondiale de la prudence technologique - démontrent que l'endiguement n'est pas une utopie.
Cependant, cela nécessite de repenser fondamentalement nos sociétés : un investissement colossal dans la recherche sur la sécurité (comparable au programme Apollo), la responsabilisation des entreprises technologiques, une coordination internationale renforcée, et surtout, l'émergence d'un mouvement populaire mondial.
L'enjeu n'est pas de freiner le progrès mais d'adapter la technologie à nos besoins plutôt que l'inverse, créant ainsi les conditions d'un "nous" collectif capable de canaliser la vague avant qu'elle ne nous submerge.
- Qu'est-ce que cette lecture vous apportera ?
"La Déferlante" partage une grille d'analyse des plus pertinentes pour comprendre les bouleversements en cours et à venir. Contrairement aux discours technophiles naïfs ou aux prophéties catastrophistes, Mustafa Suleyman et Michael Bhaskar vous proposent une lecture nuancée et informée des enjeux technologiques majeurs.
Vous découvrirez les mécanismes profonds qui rendent ces transformations si difficiles à contrôler, ainsi que des leviers d'action concrets pour influencer leur progression.
Par ailleurs, ce livre élargit notre perception des innovations actuelles : vous cesserez ainsi de les considérer comme des gadgets isolés pour comprendre qu'elles s'inscrivent, en fait, dans une dynamique systémique plus vaste.
En tant qu'entrepreneur, manager ou citoyen, vous gagnerez en clairvoyance stratégique face aux défis de votre secteur et développerez une vision prospective pour anticiper les mutations de notre époque. L'ouvrage vous donne aussi les clés pour participer activement à la construction d'un avenir technologique aligné sur les valeurs humaines.
- Pourquoi lire "La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle"
"La Déferlante" est un livre pépite, une synthèse brillante des enjeux technologiques contemporains portée par l'expertise unique de Mustafa Suleyman, pionnier de l'intelligence artificielle chez DeepMind.
Deux raisons majeures rendent, à mes yeux, cette lecture indispensable :
D'abord, l'ouvrage démystifie les technologies émergentes en les replaçant dans une perspective historique cohérente, ce qui permet de dépasser les effets de mode pour vraiment saisir les transformations durables en cours.
Ensuite, il vous prépare concrètement aux décisions de fond que nous devrons tous prendre, individuellement et collectivement, pour dessiner l'avenir technologique de l'humanité.
Dans un monde où l'accélération technologique redéfinit les règles du jeu économique, politique et social, ce livre devient un livre de chevet incontournable pour appréhender avec discernement cette nouvelle ère et contribuer activement à l'émergence d'un futur souhaitable.
Points forts :
L'expertise de qualité de Mustafa Suleyman, co-fondateur de DeepMind et son témoignage unique.
La vision systémique remarquable : les auteurs analysent la convergence technologique comme un phénomène global cohérent.
L'équilibre entre réalisme et espoir : le contenu évite autant l'optimisme naïf que le pessimisme paralysant.
Les solutions concrètes et viables : l'ouvrage propose un plan d'action en 10 étapes pragmatiques et applicables.
Points faibles :
La densité technique parfois intimidante : certains passages nécessitent des connaissances préalables en IA.
L'horizon temporel flou : les échéances des transformations annoncées restent imprécises.
Ma note :
★★★★★
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