Résumé de "Réparer le futur : du numérique à l'écologie" de Inès Leonarduzzi : un essai audacieux sur les conséquences négatives du numérique et sur les moyens d'y faire face, par la fondatrice de Digital For the Planet, spécialiste en développement durable et en stratégie numérique.
De Inès Leonarduzzi, 2021, 222 pages.
Chronique et résumé de "Réparer le futur : du numérique à l'écologie" de Inès Leonarduzzi
Introduction
Inès Leonarduzzi est une entrepreneure digitale dans l'âme. Dès son enfance, elle se passionne pour Internet, qui vient d'apparaître au grand public. Elle est directement fascinée par les univers numériques. Jeune adulte, elle fonde avec deux amis Rouge Moon, une entreprise combinant art et numérique installée à Hong Kong.
Ensuite, elle entreprend une carrière nomade, travaillant à travers le monde en tant que consultante en numérique. Mais l'auteure réalise alors que les technologies, bien que porteuses de progrès, ne sont pas toujours utilisées de manière responsable.
Cette prise de conscience la mène à fonder Digital For The Planet, un mouvement prônant l'écologie numérique. Son objectif est de promouvoir un usage raisonné et juste des technologies, au service du bien commun.
L'écologie numérique
Contrairement à l'approche occidentale traditionnelle, qui traite les problèmes de manière isolée, Inès Leonarduzzi prône une vision globale, inspirée de la pensée orientale. Selon ce point de vue, l'écologie numérique ne s'adresse pas seulement à la question de la protection de l'environnement. Elle implique aussi des actions sociales, économiques et législatives pour protéger l'humain.
Inspirée par plusieurs penseurs de l'écologie, l'auteur cherche à souligner les liens entre pollutions numériques environnementale, intellectuelle et sociale. Son but est de reprogrammer les imaginaires et inventer de nouveaux langages pour faire face à ces enjeux.
"Je définis l’écologie numérique (ou digital ecology) comme l’étude des interrelations entre l’humain, la machine et l’environnement. Elle [l'écologie numérique] préconise des actions à la fois sociales, économiques et législatives, avec pour objectif la protection de l’humain et de l’environnement. Mais il s’agit aussi et avant tout d’un état d’esprit, nécessaire à la bascule d’une société numérique impondérée à un numérique résilient." (Réparer le futur, Introduction)
Digital For the Planet, la grande aventure
En quatre ans, le mouvement Digital For The Planet a accompli de grandes choses. Ce livre en est le témoignage ; il compile des études sur les impacts du numérique et rend hommage à tous ceux et celles qui œuvrent pour un monde numérique plus responsable.
Désormais dans la trentaine et devenue mère, Inès Leonarduzzi dit aussi avoir écrit ce livre pour son fils et pour tous ceux qui sont les plus vulnérables. Elle cherche moins à convaincre qu'à inspirer et à défendre la liberté et la beauté du monde.
Partie 1 — La pollution numérique environnementale
Autrefois perçu comme une solution propre et écoresponsable, le numérique révèle aujourd'hui sa face sombre et polluante. Il a en réalité un impact environnemental considérable. Loin de dépolluer, il contribue aux problèmes environnementaux de façon croissante.
En 2018, le numérique représente plus de 10 % de la consommation électrique mondiale, avec une croissance de 9 % par an. Les centres de données, essentiels au numérique, pourraient devenir plus énergivores que les autres secteurs industriels d'ici 2035.
Chapitre 1 — La fabrication des appareils
1 — Les coulisses du smartphone
En 2020, plus de 14 milliards de smartphones sont en circulation dans le monde, soit plus que le nombre d'humains. À Noida, en Inde, en 2018, Samsung inaugure une usine produisant 330 000 smartphones par jour. Cela montre l'énorme croissance de la production de ces appareils.
Cependant, cette expansion a un coût environnemental élevé. La fabrication d'un smartphone nécessite une grande quantité de matériaux rares et précieux, dont l'extraction contribue à la déforestation, à la pollution et à la dégradation des écosystèmes.
En effet, l'extraction de ces métaux rares requiert des procédés polluants et énergivores. L'auteure donne l'exemple de Baotou en Chine, un site dont la contamination radioactive est très préoccupante.
Il importe de se rendre compte que le numérique, malgré toutes ses qualités, repose sur l'exploitation de ressources limitées. Ce qui menace l'équilibre de la planète.
2 — Le lithium bolivien, au détriment du sel et des lamas
Le lithium, surnommé « or blanc », est un métal rare essentiel à la fabrication de batteries, notamment pour les voitures électriques. En Bolivie, dans le Salar de Uyuni, une vaste réserve de lithium est exploitée au détriment de l'écosystème local et au mépris des droits des travailleurs.
Ainsi, l'usage du lithium est ambigu. D'un côté, il offre des avantages environnementaux, notamment via la production de véhicules électriques sans émission de carbone. D'un autre côté, il pose des problèmes écologiques graves liés à son extraction (contamination des eaux et de la terre, déforestation, etc.).
L'auteure montre ensuite comment les ambitions économiques d'un pays, comme celles du président Evo Morales en Bolivie, intensifient la dégradation des terres et l'exploitation des personnes. Les communautés locales se sentent dépourvues face à des promesses politiques non tenues.
3 — Quelques grammes de Congo
En 2018, au Mali, Inès Leonarduzzi rencontre un homme engagé dans la protection des enfants travaillant dans les mines en République démocratique du Congo (RDC). Le Congo, qui abrite 60 % des réserves mondiales de coltan, est au cœur de l'industrie électronique mondiale.
L'exploitation des minerais est souvent réalisée par des enfants, dans des conditions de travail épouvantables et sans protection sanitaire.
Par ailleurs, les conflits armés autour de ces métaux entraînent une tension et des violences extrêmes, qui touchent aussi bien les humains que la faune et la flore. Les législations, bien qu'existantes, sont souvent insuffisantes pour protéger les travailleurs et l'environnement.
Elle plaide pour plus de transparence dans la chaîne d'approvisionnement des appareils électroniques. Selon elle, des lois plus rigoureuses sont nécessaires afin de minimiser les dommages humains et écologiques liés à l'industrie numérique.
La fabrication de nos appareils électroniques — et en premier lieu des smartphones — représente une part importante de la pollution numérique. Toutefois, d'autres défis se posent une fois ces appareils en circulation. C'est l'objet des chapitres suivants.
Chapitre 2 — Nos usages quotidiens
1 — L'Homo digitalis est un nouveau riche
Notre consommation numérique a explosé en une décennie. Le trafic internet mondial a triplé en cinq ans. Chaque jour, six personnes sur dix se connectent à Internet, ce qui génère 2,5 trillions d'octets de données, avec un impact environnemental équivalent à celui du transport aérien.
Cette dépendance au numérique illustre ce que l'auteure appelle le « syndrome du nouveau riche numérique ». Chaque action en ligne, comme l'envoi d'un selfie, consomme une quantité significative d'énergie. Nous utilisons quotidiennement Internet pour des tâches banales et souvent futiles, sans nous préoccuper des conséquences de nos actes.
Cela dit, la consultante en numérique rappelle que les technologies ne sont pas le problème en soi. En réalité, c'est plutôt l'absence d'alternatives énergétiques durables et l'utilisation excessive et mal informée des ressources qui doivent être mises en cause.
Elle plaide notamment pour une prise de conscience collective de la valeur de l'énergie. De la même manière que l'on apprend à gérer l'argent, nous devons apprendre à gérer nos usages numériques, gourmands en énergie.
Nous devons réfléchir aux sacrifices écologiques qui permettent notre confort numérique afin de chercher des moyens plus durables d'agir.
2 — Internet : une pieuvre de métal gourmande en électricité
Internet repose sur un réseau complexe de câbles en fibre optique — principalement enterrés sous les sols marins — qui assurent 95 % des communications mondiales. Ces câbles, longs de plus de 1,2 million de kilomètres, permettent le flux constant de données nécessaires pour maintenir la connectivité mondiale.
Le "cloud" n'a donc rien d'un espace virtuel au-dessus de nos têtes ! Il est en réalité constitué de centres de données physiques, dont la plupart se trouvent sur terre, et de câbles sous-marins enterrés dans les océans.
Historiquement, ces câbles suivent les mêmes routes que celles utilisées par le télégraphe et le téléphone. Aujourd'hui, ce sont les géants du numérique, comme Google et le reste des GAFAM, qui possèdent, gèrent et transforment à leur avantage ces infrastructures.
Les centres de données, où sont stockées toutes les informations numériques, consomment des quantités massives d'énergie. En 2020, leur consommation mondiale était estimée à 650 térawattheures, principalement pour alimenter les serveurs et refroidir les équipements.
Ces centres, nous dit-on, fonctionnent de plus en plus avec des énergies renouvelables. Mais c'est très insuffisant, selon Inès Leonarduzzi. Ils restent de grands consommateurs d'électricité et nécessitent également d'énormes quantités d'eau pour les besoins de refroidissement.
3 — Internet ne consomme pas que de l'électricité
En effet, Internet consomme une énorme quantité d'eau pour fonctionner, principalement pour refroidir les serveurs dans les centres de données. Ces centres utilisent de l'eau traitée dans des systèmes de climatisation pour éviter la surchauffe des machines.
Par exemple, les 800 data centers de Californie consomment autant d'eau que 158 000 piscines olympiques chaque année. L'eau est souvent évacuée après usage, ce qui contribue au gaspillage de ressources précieuses.
Bien sûr, des ingénieurs cherchent à réduire cette consommation. Le système de "free cooling" utilise l'air frais naturel pour refroidir les machines. D'autres techniques permettent de refroidir les serveurs par immersion dans l'huile ou l'eau.
Des entreprises comme Microsoft avec le projet Natick — qui vise à immerger des serveurs sous l'océan pour les refroidir naturellement— cherchent des alternatives. Cependant, même ces méthodes suscitent des questions quant à leur impact environnemental à long terme.
Par exemple, l'implantation de centres de données dans des régions froides comme la Norvège ou le cercle polaire soulève des questions sur l'équilibre thermique de ces régions. En effet, la chaleur des machines pourrait contribuer au réchauffement de ces zones géographiques.
En réalité, ces stratégies sont souvent motivées avant tout par des considérations financières, même si elles se présentent comme "écologiques".
4 — Les énergies vertes parfois grises
Les énergies renouvelables, comme le photovoltaïque et l'éolien, sont souvent considérées comme des solutions écologiques.
Cependant, leur production et leur infrastructure nécessitent des ressources non renouvelables, notamment des métaux rares, dont l'extraction et le traitement ont un impact environnemental significatif. Le transport, l'installation et le recyclage de ces technologies émettent également des gaz à effet de serre.
De plus, ces installations peuvent perturber les écosystèmes. La faune, comme les oiseaux et les poissons, sont touchés. Par ailleurs, l'auteure constate également des problèmes d'érosion des sols et d'inondation des vallées. Bien que ces énergies émettent peu de CO2, elles ne sont donc pas sans conséquences écologiques.
Nous voyons donc, grâce à ces exemples, que l'engouement pour les technologies "vertes" comme les voitures électriques et les énergies renouvelables doit être accompagné d'une réflexion sur leur véritable impact environnemental tout au long de leur cycle de vie.
En fait, nous devons non seulement améliorer ces techniques, mais aussi repenser nos modes de vie. Comment les rendre plus respectueux de l'environnement ?
5 — Réduire notre impact
Pour traiter cet aspect, Inès Leonarduzzi se remémore une jeune fille solitaire qu'elle croisait chaque matin dans le car scolaire. La disparition soudaine de cette jeune fille, qui souffrait de boulimie, l'a amenée à réfléchir sur la surconsommation numérique, qu'elle compare à un comportement compulsif similaire.
Elle souligne que la surconsommation est l'un des maux les plus préoccupants de notre époque. Le numérique représente 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce n'est pas rien. Pouvons-nous nous désintoxiquer ?
L'auteure prône un changement de comportement progressif et adapté, plutôt qu'une approche radicale. Parmi les actions simples à adopter, elle recommande à minima de :
Conserver ses appareils le plus longtemps possible ;
Privilégier le wifi plutôt que la 4G pour économiser de l'énergie ;
Éteindre sa box internet lorsqu'elle n'est pas utilisée.
Ces gestes simples permettent de réduire l'empreinte numérique tout en réalisant des économies financières et en conservant le confort technologique auquel nous sommes habitués.
Chapitre 3 — Le recyclage
1 — Agbogbloshie
Le bidonville d’Agbogbloshie au Ghana est devenu un cimetière pour les déchets électroniques, principalement expédiés illégalement depuis l'Europe et les États-Unis. Bien que la Convention de Bâle interdise l'exportation de ces déchets vers des pays en développement, ces appareils sont souvent déclarés comme "destinés à la réutilisation".
Sur place, des enfants et adolescents brûlent les appareils pour en extraire des métaux précieux, ce qui est à la fois nocif pour leur santé et l'environnement. Les substances dangereuses comme le plomb, le cadmium et le mercure contaminent les sols, les cours d'eau et l'air, avant de pénétrer dans les organismes vivants.
Malgré quelques initiatives positives — comme la création d'objets d'art à partir de déchets électroniques et des projets de recyclage respectueux de l'environnement —, la situation reste critique.
Alors, que faire ? La consultante en numérique aborde surtout la question de la responsabilité financière des fabricants concernant le recyclage, l'écoconception des appareils et l'amélioration du taux de recyclage.
Pour endiguer ce problème, il est également nécessaire, pour l'auteure, de mesurer et gérer plus efficacement la quantité de déchets électroniques, en promouvant une économie circulaire et en protégeant les travailleurs vulnérables.
2 — Des déchets ou des rejets ?
L'auteure considère que le langage influence notre perception du monde et notre responsabilité,-. Des termes comme "crise" et "déchet", par exemple, portent à confusion. Avec le mot "déchet", par exemple, nous avons l'impression que certains objets sont hors d'usage, alors qu'ils ont encore de la valeur.
Or, dans certaines cultures, rien ne se jette, tout se réemploie. Contrairement à la mentalité occidentale basée sur l'économie de la consommation, ces cultures font preuve d'imagination et d'humilité. Contre notre propension à extraire toujours plus de matériaux, Inès Leonarduzzi plaide ici pour une revalorisation des matériaux existants.
3 — L'économie des flux : et si les déchets créaient de la richesse ?
Notre société continue de valoriser la production de flux, comme en témoigne notre usage du plastique. En France, 5,5 milliards de bouteilles d'eau en plastique sont vendues chaque année. Ce phénomène enrichit les industries pétrochimiques tout en dégradant l'environnement.
Concernant les appareils électroniques, leur durée de vie peut être prolongée par des gestes simples. Nous pouvons, par exemple, remplacer les batteries de nos appareils plutôt que de les jeter.
Trop souvent, les consommateurs changent de téléphone ou d'ordinateur pour des raisons de performance ou sous l'influence de la mode, alors que la plupart de ces appareils fonctionnent encore bien.
La réparation et le recyclage sont des alternatives essentielles pour réduire l'impact environnemental. Consommer avec mesure, en étant conscient de l'impact sur la planète, devient aujourd'hui un signe de modernité.
4 — Le manque d'imagination et de volonté
Pour moins polluer, il faut non seulement réduire notre consommation d’appareils connectés, mais aussi mieux les produire. Cela implique de lutter contre l’obsolescence programmée et de prolonger la durée de vie des appareils en reconditionnant ou en réutilisant leurs composants.
Des initiatives comme les médailles des Jeux Olympiques de Tokyo, fabriquées à partir de déchets électroniques, montrent qu’il est possible de valoriser nos déchets.
Cependant, l'auteure considère que l’obstacle principal à cette transition reste notre manque d’imagination et notre excès d'ego, qui nous poussent à croire que l'économie et l'écologie sont incompatibles.
L'avenir, selon elle, dépendra de notre capacité à adopter une économie circulaire et à mobiliser les citoyens dans ce changement.
5 — S'inspirer des anciens
Pour avancer vers un futur plus durable, il est essentiel de s'inspirer de la nature. Après tout, cette "ingénieure" a bien fait les choses et a des milliards d'années d'expérience !
Le biomimétisme, c'est-à-dire l'innovation inspirée des écosystèmes naturels, offre des solutions ingénieuses qui s'appliquent à tous les domaines industriels, de la construction à l'aéronautique.
Cette approche est encore trop peu explorée. Pourtant, elle montre que la nature fonctionne en cycles sans produire de déchets ni consommer excessivement. L'exemple de la thermorégulation des ours en hibernation illustre comment nous pourrions repenser nos technologies pour qu'elles respectent ces principes naturels d'efficacité énergétique.
Inès Leonarduzzi raconte l'histoire de son grand-père, un homme analphabète mais doté d'une grande sagesse. Il lui avait enseigné que tout ce dont l'humanité a besoin pour résoudre ses problèmes existe déjà, si l'on a les yeux pour le voir et le cœur pour le partager.
Cette leçon rejoint les réflexions des chercheurs modernes qui affirment que nous disposons déjà des ressources nécessaires pour résoudre les grandes crises mondiales, à condition que nous apprenions à mieux les utiliser et les répartir.
Finalement, le biomimétisme n'est pas simplement une approche scientifique, c'est aussi une philosophie de vie qui nous invite à revoir notre rapport au monde et à utiliser les solutions que la nature nous offre tous les jours.
Partie 2 — La pollution numérique intellectuelle
Au-delà de l'impact environnemental du numérique, il existe des formes de "pollutions" numériques moins visibles mais tout aussi préoccupantes. L'illectronisme, ou l'incapacité à utiliser les outils numériques, par exemple, engendre de nouvelles inégalités dans une société de plus en plus dépendante du numérique.
Par ailleurs, l'usage excessif des technologies peut perturber nos capacités cognitives, altérer notre sommeil ou conduire à des dépendances préoccupantes. Ces formes de pollution intellectuelle sont subtiles mais omniprésentes, et elles affectent les individus sans qu'ils en soient toujours conscients.
Pour un numérique véritablement durable, il est crucial de prendre conscience de ces dangers et de développer des stratégies pour s'en prémunir. Comment ? En optimisant l'usage des technologies plutôt qu'en les rejetant.
Pour Inès Leonarduzzi, le défi est d'apprendre à utiliser ces outils de manière intelligente, en renforçant nos capacités cognitives plutôt qu'en les affaiblissant.
Chapitre 1 — L'illectronisme, l'illettrisme électronique
1 — Les laissés-pour-compte du numérique
L’illectronisme, ou l’incapacité à utiliser les outils numériques, touche un nombre croissant de personnes en France, jeunes et personnes âgées. Bien que la majorité des Français possèdent un équipement informatique, beaucoup rencontrent des difficultés avec des tâches simples comme envoyer un e-mail ou remplir des démarches administratives en ligne.
Cette situation est exacerbée par la fermeture progressive des centres administratifs, laissant des milliers de personnes dans l'incapacité d'exercer leurs droits fondamentaux.
Les personnes vulnérables, comme les allocataires de minima sociaux et les demandeurs d’asile, sont particulièrement touchées, car elles peinent à naviguer dans un monde de plus en plus dématérialisé.
L’illectronisme met en lumière une fracture numérique qui transforme le numérique en un outil discriminatoire. Parce qu'ils sont dans l'incapacité d'acquérir ou de se servir des outils numériques, certaines personnes sont privées de leurs droits.
2 — Pourquoi est-ce essentiel de lutter contre l'illectronisme ?
Selon Inès Leonarduzzi, délaisser une partie de la population face à la transition numérique n’est pas seulement une question sociale, c'est aussi une question économique.
En effet, lutter contre l’illectronisme pourrait générer un bénéfice annuel de 1,6 milliard d’euros, notamment via l'optimisation des téléprocédures. Selon l'auteure, l'administration publique pourrait économiser jusqu'à 450 millions d'euros par an.
De plus, les citoyens gagneraient un temps précieux au quotidien, par exemple en simplifiant la prise de rendez-vous médicaux ou les courses en ligne.
Mais pour l'auteure, le véritable problème va au-delà des aspects économiques. Les illectronés, souvent désireux d’apprendre, voient dans le numérique un moyen de rester connectés avec leurs proches.
Mais le déploiement des outils et des formations reste insuffisant. Il faudrait aussi convaincre les réfractaires des avantages qu'ils peuvent tirer de ces outils.
Inès Leonarduzzi souligne enfin que le numérique semble privilégier les populations urbanisées et actives. Pour ceux qui ne souhaitent pas s'équiper d'ordinateurs ou de smartphones, accéder à leurs droits devient un véritable parcours du combattant, ce qui exacerbe le sentiment d'exclusion et de frustration.
Une fracture numérique se creuse, créant ce que la consultante en numérique nomme une "France sans contact", divisée entre les privilégiés et ceux qui sont laissés pour compte dans cette révolution technologique.
Chapitre 2 — L'intelligence humaine à l'épreuve du quotidien
1 — Les enfants : la chair à canon numérique
En tant que mère, Inès Leonarduzzi s'est rapidement interrogée sur l'impact des écrans sur les enfants. Elle souligne que cette question n'a cessé de la préoccuper, même avant sa grossesse.
Lors de ses recherches, elle a découvert que les enfants sont naturellement attirés par les écrans en raison de leur lumière et de leur mouvement. Mais est-ce sans risque ?
Selon Leonarduzzi, les écrans peuvent être à la fois bénéfiques et dangereux pour les enfants.
D'un côté, ils peuvent servir d'outils d'apprentissage, aider les enfants souffrant de troubles d'apprentissage, et même développer certaines compétences cognitives.
Cependant, une exposition excessive peut entraîner des retards de langage, des troubles de l'attention et des difficultés à établir des relations sociales.
Il importe donc d'encadrer strictement l'utilisation des écrans chez les enfants, en adoptant une approche équilibrée qui alterne entre expériences réelles et virtuelles.
Pour aider les parents, Inès Leonarduzzi propose la méthode « EQE » basée sur trois valeurs :
L'équilibre, ;
La qualité ;
L'échange.
Cette méthode encourage les parents à alterner les activités numériques et non numériques, à veiller à la qualité des contenus visionnés par les enfants et à discuter avec eux de leurs expériences en ligne.
Inès Leonarduzzi critique également la réticence des autorités françaises à adopter des mesures de protection plus strictes. À Taïwan, par exemple, l'exposition excessive des jeunes enfants aux écrans est considérée comme une forme de maltraitance.
En France, des efforts sont réalisés pour sensibiliser les parents, mais il reste encore beaucoup à faire pour protéger les plus petits des effets potentiellement nocifs des écrans.
2 — Dors, tu n'es pas un robot !
Une enquête menée en 2016 révèle que plus de 90 % des personnes dormant près de leur téléphone consultent leurs messages la nuit, et 79 % y répondent immédiatement. Ces habitudes, courantes chez les adolescents, ont des effets préoccupants sur la santé.
En activant les récepteurs photosensibles de la rétine, la lumière bleue perturbe le rythme circadien et entraîne des troubles du sommeil, voire des maladies comme l’obésité ou le diabète.
Pour l'auteure, le sommeil devrait être un moment de déconnexion totale. Les adolescents sont particulièrement vulnérables, car le sommeil est crucial pour leur croissance. Des études montrent que les enfants possédant un smartphone dorment moins que ceux qui n'en ont pas, ce qui contribue à un phénomène inquiétant de « dette de sommeil ».
Inès Leonarduzzi souligne l'importance de sensibiliser davantage sur ce sujet, en particulier auprès des jeunes. Elle plaide pour une utilisation plus exigeante et consciente du numérique.
Elle insiste tout particulièrement sur la nécessité d'éduquer les jeunes aux effets néfastes des écrans sur le sommeil et rappelle que peu d'initiatives institutionnelles ou technologiques existent actuellement pour protéger les utilisateurs.
3 — L'hyperconnexion, cette amie toxique
Dans ce chapitre, Inès Leonarduzzi partage son expérience personnelle de stress numérique. Elle raconte comment la surcharge de travail et l'usage intensif de ses smartphones l'ont conduit à une fatigue extrême à un âge précoce.
À 26 ans, la pression constante d'être connectée et disponible en permanence l'a conduit à un épuisement professionnel ou "blurring" — un état où les frontières entre vie personnelle et professionnelle s'effacent complètement.
Pour l'auteure, cette pression est exacerbée par la culture actuelle de l'e-mail, qui est passée d'un mode de communication asynchrone à une exigence de réponse immédiate.
Les employés passent désormais une part significative de leur journée à gérer leurs e-mails, ce qui entraîne non seulement une augmentation du stress, mais aussi une baisse de la productivité.
Cette hyper-connectivité a donné naissance à de nouvelles formes de stress, comme la nomophobie et l'hypovibrochondrie. Ces termes neufs sont révélateurs de l'impact du numérique sur la santé mentale.
Inès Leonarduzzi propose finalement des stratégies concrètes pour réduire le stress numérique, telles que :
Fixer des créneaux horaires pour vérifier les e-mails ;
Désactiver les notifications et organiser ses messages ;
Limiter l'usage du téléphone le soir.
Chapitre 3 — Les algorithmes de l'addiction
1 — L'économie de l'attention
En 2014, Banksy, connu pour ses œuvres politiquement engagées, se détourne brièvement de la politique pour aborder l'addiction aux écrans à travers sa peinture murale Mobile Lovers. L'œuvre montre un couple enlacé, mais chacun est absorbé par son smartphone, ignorant l'autre.
Plus tard cette même année, une autre œuvre de Banksy représente un smartphone prenant racine dans une main, symbolisant son intégration profonde dans nos vies.
Ces deux œuvres illustrent la difficulté de réguler l'utilisation des écrans : nous serions "addicts" ou presque. Pourquoi ?
Selon Inès Leonarduzzi, il est essentiel de comprendre son origine. Elle se réfère, pour cela, à plusieurs chercheurs en sciences sociales. Tout d'abord, elle se réfère à Herbet Simon pour affirmer que nous vivons désormais dans des sociétés riches en information.
Par ailleurs, elle se tourne vers Yves Citton qui explique que l'attention des individus est devenue un enjeu économique crucial.
L'auteure illustre ce dernier point en affirmant que TF1 et Facebook sont avant tout des régies publicitaires, avant même d'être des chaînes de télévision ou des réseaux sociaux ! En effet, ces entreprises captent notre attention pour vendre des espaces publicitaires.
Pour l'auteure, cette course à l'attention mène une forme de pollution numérique intellectuelle. L'omniprésence des écrans, alimentée par ces modèles économiques, conduit à un déclin intellectuel marqué par l'augmentation des troubles de l'attention et de la concentration.
2 — Ceux qui nous piègent depuis la Silicon Valley
Dans la Silicon Valley, l'objectif principal des entreprises technologiques est de créer des applications qui captent le plus grand nombre d'utilisateurs. Comment ? En utilisant des stratégies qui exploitent les biais cognitifs pour encourager l'addiction aux écrans.
Notre attachement aux outils numériques n'est donc pas un simple effet secondaire. C'est une stratégie délibérée conçue par des experts en « expérience utilisateur » (UX designers), souvent formés en sciences cognitives.
Leur mission ? Concevoir des interfaces qui incitent les utilisateurs à réaliser des actions malgré eux, à travers des techniques appelées dark patterns.
Ces dark patterns incluent des mécanismes comme le fil d'actualité infini sur les réseaux sociaux ou les notifications répétitives. Ces techniques créent des habitudes addictives similaires à celles des machines à sous.
L'université de Stanford, par exemple, a été pionnière dans l'enseignement de ces techniques à travers son Persuasive Tech Lab, où des étudiants apprennent à manipuler les comportements des utilisateurs.
Mais l'avenir n'est pas si sombre. Heureusement, Inès Leonarduzzi souligne qu'une nouvelle génération de « designers éthiques » émerge. Ceux-ci cherchent à créer des interfaces qui respectent et aident les utilisateurs et non à les manipuler.
Encore une fois, pour elle, l'enjeu n'est pas de rejeter le numérique, mais de participer à la construction d'un futur numérique plus responsable.